S’inspirant fortement des réflexions d’E. Rogers sur la diffusion des innovations, ce modèle formalise, suivant une conception mécaniste, le processus d’adoption d’une innovation par une communauté donnée. L’innovation doit être comprise ici au sens large ; ce peut être un objet concret mais aussi une idée ou une pratique considérée comme nouvelle : « An innovation is an idea, pratice or object that is perceived as new by an individual or other unit of adoption » 78 . Toutefois, d’un point de vue empirique, les travaux relevant de cette approche ont porté majoritairement sur le cœur de nos préoccupations : l’adoption des « nouveaux » objets concrets.
Suivant ce modèle, la diffusion d’une innovation est un processus communicationnel : « Diffusion is the process by which an innovation is communicated through certain channels over time among the members of social system. It is a special type of communication, in that the messages are concerned with new ideas » 79 . Ce processus est appréhendé suivant l’évolution dans le temps du taux d’adoption ou taux de diffusion, c’est-à-dire le pourcentage d’individus ayant adopté l’innovation dans un système social donné. Cette conception quantitative de la diffusion, se résumant à l’adoption ou au refus d’adoption d’une innovation, permet de déterminer un rythme d’adoption compris comme la vitesse à laquelle une innovation est adoptée par un système social donné. Graphiquement l’évolution de ce taux se traduit, comme l’avait pressentie G. Tarde 80 , par une courbe en S (S-shaped diffusion curve).
Dans le temps, l’adoption de l’innovation passe logiquement d’un groupe restreint d’adoptants à un groupe plus large, puis à un bassin de plus en plus représentatif de la population générale. Ce phénomène conduit E. Rogers à catégoriser les adoptants suivant cinq profils en fonction de leur rapidité à adopter l’innovation comprise comme leur position face au changement. Il distingue :
G. A. Moore montre, par ailleurs, que la réussite du passage entre les innovateurs-premiers adeptes et la première majorité (renommés dans la méthode CAUTIC 82 respectivement les passionnés et les pragmatiques) est un moment-clé lors de la diffusion des innovations 83 .
La classification et la répartition des profils d’adoptants de Rogers s’illustrent à travers la courbe en cloche suivante (Bell Curve) :
Le modèle d’E. Rogers envisage l’adoption d’une innovation par un individu ou une organisation comme un processus décisionnel en cinq phases allant de la première exposition de l'usager à l'innovation, jusqu'à la confirmation ou le rejet de l’adoption de l’innovation. Dans un premier temps, l’individu prend connaissance de l’innovation. C’est la phase d’information (knowledge). Pendant cette phase, les médias jouent un rôle central. Ensuite, vient la phase de persuasion (persuasion) ; l’individu commence à prendre position par rapport à l’innovation par le biais de la recherche d’informations. E. Rogers accorde aux proches un rôle prépondérant durant cette période. La troisième phase dite de décision (decision) correspond au moment où l'individu s'engage dans des activités lui permettant d'adopter ou de rejeter l'innovation. Durant la phase d’application (implementation), quatrième étape du processus, l'individu essaye l’innovation en l’utilisant au quotidien et ainsi l’évalue. Enfin vient la phase de confirmation (confirmation) où l'individu cherche à obtenir des informations venant renforcer son choix d’adoption ou de refus de l’innovation.
Au-delà des critiques classiques du modèle de la diffusion, concernant sa linéarité, son absence de prise en considération de la phase de conception, des détournements d’usage 84 et des phénomènes de rejet après adoption, cette approche appelle plusieurs remarques :
C’est donc suivant ces trois remarques que nous nous positionnerons par rapport à la théorie diffusionniste.
Everett M. Rogers, Diffusion of Innovations, 4ème éd., New York, Free Press, 1995, p. 11.
Ibid., p. 6.
Voir Gabriel Tarde, Les lois de l’imitation, Paris, F. Alcan, 1890.
Source : E. M. Rogers, Diffusion of Innovations, 1983.
CAUTIC : Conception Assistée par l'Usage pour les Technologies, l'Innovation et le Changement. P. Mallein, entre autres chercheurs, a participé à la mise au point de la méthode CAUTIC à la fin des années 90. Cette dernière est commercialisée par la société Ad’Valor.
Geoffrey A. Moore, Crossing the Chasm: Marketing and Selling High-Tech Products to Mainstream Customers, Harper Business, 2002
Dans la 3ème édition de Diffusion of Innovations, E. Rogers cherche à palier ce manque. Il utilise la notion de ré-invention pour désigner la façon dont les utilisateurs modifient une innovation durant la phase d’adoption.
Voir B. Miège, op. cit., p. 146.
Voir les profils présentés ci-dessus.
P. Chambat, « Communiquer, relier », Communication et lien social : usages des machines à communiquer, Paris, Descartes, 1992, p. 11.
Pour une présentation détaillée du modèle de P. Flichy, voir ci-après « le modèle de la circulation », pp. 47-52.
Victor Scardigli, Les sens de la technique, Paris, PUF, 1992, p. 33. L’auteur précise que cette période s’étend en moyenne entre 30 et 40 ans.