5°) Bilan des apports et enjeux

L’ensemble des réflexions sur l’insertion sociale des objets techniques quel que soit leur statut – innovations, biens de consommation, objets d’utilisation – souligne la complexité des processus de conception, de diffusion et d’appropriation. Entre déterminisme technique et social, les perspectives les plus pertinentes montrent finalement une étroite intrication entre technique et social, entre conception et appropriation, entre concepteurs et usagers. Or c’est une approche en terme de cadres qui nous semble la plus à même de penser ensemble ces divers éléments.

A plusieurs reprises, nous sommes aussi revenue sur des questions liées à la temporalité : temps long de formation des usages, temps court des innovations technico-commerciales, évolution des imaginaires socio-techniques, développement des pratiques, etc. Le facteur temps est essentiel dans toute approche de l’insertion sociale de la technique. En fonction de la période choisie, de la phase sur laquelle on se focalise, les appréhensions des objets techniques diffèrent et les résultats divergent. Cette caractéristique nous a amenée à adopter une approche diachronique et à porter notre attention sur une période capitale dans le processus d’insertion sociale d’un objet technique à travers l’exemple du téléphone mobile : celui du passage d’objet « nouveau » à celui d’objet banal.

En outre, nous avons pu constater que les imaginaires et représentations socio-techniques jouaient un rôle central dans l’activité technique que ce soit au moment de la conception, de la diffusion ou de l’appropriation : les imaginaires sont à la fois une ressource à l’innovation, une stratégie argumentative de mobilisation lors de la diffusion et un cadre de référence pour la formation des premiers usages. D’où l’intérêt de questionner l’insertion sociale des objets techniques contemporains à travers l’étude de leurs imageries et imaginaires. D’autant plus, d’ailleurs, que les TIC, objets techniques contemporains par excellence, ont une propension particulière à être le support d’utopies et d’idéologies – caractéristique due non seulement à leur statut de « nouveauté » mais surtout à leur sphère d’activité (information, communication, culture).

Enfin rappelons que les imaginaires socio-techniques ne sont ni fixes ni univoques. « Les imaginaires (et même l’imagerie) d’une innovation ne sont pas stables, mais ils évoluent, passant par des phases de consensus euphorique ou sceptique, d’affrontements et de débats, même passionnels, puis ils se stabilisent avec la diffusion de l’innovation et le développement des appropriations » 144 . Cette phrase de P. Musso résume bien les points de vue que nous avons développés. Toutefois, cette idée d’une stabilisation progressive des imaginaires amène une remarque essentielle. Si, en effet, la confrontation effective des usagers avec l’objet technique les conduit à une forme de désenchantement et à adopter une distance plus critique face aux discours utopistes, il n’en reste pas moins que les stratégies discursives semblent s’adapter à ce phénomène. Autrement dit, comment se traduit la stabilisation des usages et des imaginaires du côté des usagers dans les discours d’accompagnement ? Assiste-t-on notamment, dans le discours publicitaire, à une stabilisation des représentations elles aussi, ou au contraire à la mise en place de nouvelles imageries afin d’entretenir le désir de l’objet ? Questions auxquelles nous nous proposons de répondre à travers l’étude d’un cas plus particulier : celui du téléphone mobile.

Notes
144.

P. Musso, « L’imaginaire au service de "l’innovention" », FING, Université de Printemps de la FING, juin 2005.