Le développement du GSM (Global System for Mobile Communications)

La mise au point de la norme GSM répond avant tout à un projet politique : celui de développer une norme commune européenne pour les télécommunications mobiles. Au cours des années 70, plusieurs réseaux de radiotéléphones analogiques sont développés dans les pays d’Europe mais ils ne sont pas compatibles entre eux. Les marchés des équipements de radiocommunication sont donc limités à chaque pays. Dès lors, au début des années 80, dans le sens d’une unification de l’Europe et de la création d’un marché européen, des collaborations 186 se mettent en place visant à l’adoption d’une norme cellulaire analogique commune. Ces différents programmes n’aboutissent pas. Ils ont toutefois permis aux différents opérateurs européens de se rapprocher et de créer en 1982, au cours de la CEPT 187 , le GSM, Groupe Spécial Mobile. Ce groupe de travail est chargé de travailler sur un nouveau système de radiotéléphonie cellulaire commun. Au cours des années suivantes 188 , les collaborations entre la France, l’Allemagne et les pays scandinaves continuent mais avec une modification essentielle de la finalité des recherches : il s’agit maintenant de mettre au point une norme commune numérique. La standardisation numérique vise à :

Différents projets de recherche sont donc menés de front 190 , dont ceux du GSM, et plusieurs solutions de normes numériques sont proposées (GSM, CT2, DECT, etc.). Après maints tests et négociations, le GSM est finalement adopté comme norme numérique commune européenne en mai 1987 191 .

Les années 80 sont donc une période à la fois de déploiement dans le monde de réseaux analogiques de standards divers (NMT 192 dans les pays nordiques, RC2000 puis NMT-F en France, TACs en Angleterre et en Allemagne de l’ouest, RTMI/RTMS en Italie, AMPS 193 aux Etats-Unis, etc.), et de recherches intensives sur la mise au point de systèmes de radiotéléphonie numériques.

Au début des années 90, la radiotéléphonie GSM, dite de 2ème génération, devient opérationnelle en Europe 194 . L’adoption d’un standard unique a permis un développement rapide des réseaux numériques sur le territoire européen. A la fin de l’année 1992, treize réseaux sont ouverts dans sept pays européens. L’élargissement du marché a par ailleurs induit une baisse des coûts de production des terminaux et des équipements de réseaux pour les constructeurs. Ils ont pu réaliser des économies d’échelle permettant une baisse des prix d’achats 195 .

En France, deux opérateurs commercialisent en 1992 un service de radiotéléphonie numérique : France Télécom, avec Itinéris (ouverture en juillet), et la SFR (ouverture en décembre). Ces sociétés ont obtenu un an auparavant, via la DGPT 196 une extension de leurs licences d’exploitation en vertu d’un cahier des charges strict ; elles ont notamment 5 ans pour desservir 85% de la population française.

Durant les premières années de commercialisation, les services GSM sont opérationnels dans les grandes agglomérations. Les offres sont tournées vers les professionnels. Les prix d’acquisition d’un terminal sont d’ailleurs encore élevés. Le marché reste donc restreint. Toutefois, dès le mois de décembre 1994, le nombre d’abonnés aux réseaux GSM dépasse celui des abonnements aux services analogiques 197 . Ces derniers ne cesseront d’ailleurs de décroître jusqu’à leur disparition définitive à la fin des années 90.

C’est aussi en 1994 que Bouygues Telecom 198 obtient une licence d’exploitation pour son réseau numérique DCS 1800 199 . Il devient ainsi le troisième opérateur mobile sur le marché français. La situation de duopole s’achève plus concrètement en 1996, lors de l’ouverture du réseau Bouygues au grand public. Cette année constitue un réel tournant dans l’histoire de la radiotéléphonie et plus largement dans celle des télécommunications ; non seulement du fait de l’arrivée de Bouygues sur le marché de la téléphonie mobile mais aussi suite à la modification du cadre législatif réglementant le secteur des télécommunications en France. Le 26 juillet, en effet, est promulguée une loi qui fixe les modalités d’ouverture du marché français des télécommunications à une concurrence totale à partir du 1er janvier 1998.Elle crée aussi l’ART 200 , un organisme indépendant chargé de veiller à la régulation de la concurrence dans le secteur des télécommunications. Dans le secteur du mobile, cette institution est désormais responsable de la délivrance des licences d’exploitation. A cela s’ajoute le changement de statut de France Télécom. Exploitant autonome de droit public depuis 1990, l’opérateur historique devient officiellement société anonyme à capitaux majoritairement publics. Certes, dans le domaine de la radiotéléphonie, la libéralisation avait été amorcée dès le milieu des années 80 ; ce marché était déjà en concurrence. Toutefois, cette situation était très réglementée et France Télécom conservait un statut particulier. Le changement de cadre législatif modifie plus en profondeur le fonctionnement du secteur des télécommunications françaises. Dans le domaine qui nous intéresse, l’institution d’un système de licences expérimentales attribuées par un organisme indépendant constitue un des changements majeurs. 1996 marque donc un tournant symbolique dans la libéralisation du secteur de la téléphonie mobile.

L’arrivée de Bouygues a aussi pour effet de dynamiser le marché de la téléphonie mobile ; la présence de ce troisième concurrent encourage une modification de l’offre de services et des grilles tarifaires 201 . Dès cette année, une baisse des prix et une augmentation du nombre de services sont, en effet, constatables 202 .

Illustration 5. Evolution des tarifs pour un forfait de 2h
Illustration 5. Evolution des tarifs pour un forfait de 2h Source : T. Pennard, « Comment analyser le succès du téléphone mobile ? », working paper, septembre 2001.

Rappelons par ailleurs que Bouygues est l’instigateur en France de la facturation au forfait 204 , une innovation reprise par France Télécom et SFR. Enfin, T. Pennard note qu’« avec l’entrée de Bouygues, la concurrence s’est rapidement déplacée sur les prix d’accès et notamment le prix d’acquisition des terminaux, indispensables pour téléphoner » 205 . L’ensemble de ces changements s’accompagne d’une (et est accompagné par une) augmentation du nombre d’abonnés aux services GSM 206 . C’est le principe du cercle vertueux. Certes, ces modifications tarifaires ne peuvent expliquer à elles seules l’essor spectaculaire que connaît le téléphone mobile au milieu des années 90 207 . Toutefois des liens peuvent être relevés entre ces évolutions économiques et l’avènement d’un marché grand public 208 . D’une part, la baisse du coût d’entrée rend le produit accessible à des revenus plus modestes. D’autre part, l’instauration du système des forfaits permet une meilleure segmentation du marché 209 pour les opérateurs.

En outre, l’essor du GSM s’appuie, à notre avis, sur des pratiques existantes notamment celles des systèmes de radiomessagerie (Tam-Tam, Tatoo, Kobby). Le succès de ces dispositifs techniques, dans les années 90, constitue un « terreau » pour l’insertion sociale du GSM.

La fin des années 90 est un moment-clé dans l’histoire de la diffusion du téléphone mobile en France. Entre 1997 et 1999, le nombre d’abonnés aux services GSM croît de manière considérable ; le taux de croissance annuel dépasse les 100%. Cette période se caractérise par :

  • une recherche intensive sur les normes de diffusion, afin d’augmenter le débit de transmission de données (GPRS 210 , EDGE 211 et UMTS 212 ), mais aussi sur l’ergonomie des services susceptibles d’être proposés par les opérateurs ;
  • une concurrence entre les opérateurs au niveau des forfaits et des tarifs d’acquisition d’un premier modèle de téléphone mobile. Toutefois, le récent rapport de la DGCCRF 213 a infirmé la transparence des relations entre les opérateurs durant cette période. Rappelons que Bouygues, Orange et SFR ont été condamnés pour ententes illicites sur la répartition du marché entre 1997 et 2003 214 . Néanmoins, au-delà de ces accords illégaux, une baisse des tarifs est constatable dans les chiffres ;
  • une augmentation du nombre des abonnés au GSM, tendant à une « démocratisation » dans la mesure où la fracture économique devient moins prégnante 215 .
Notes
186.

France/Royaume Uni (1981-1982) puis France/RFA (1983-1984).

187.

Conférence Européenne des administrations des Postes et Télécommunications

188.

La décision officielle de passage au numérique date de 1984 (Cahiers d’histoire des télécoms et de l’informatique, AHTI, n°6, 2006, p. 50).

189.

Voir Arnaud Jagoda, Marc de Villepin, Les télécommunications mobiles, Paris, Eyrolles, 1991, pp. 107-108.

190.

1982 : lancement du projet Marathon, projet de téléphonie mobile numérique par le CNET.

191.

En 1987, signature du Mémorandum MOU pour la mise en œuvre du système cellulaire numérique européen par treize pays européens.

192.

Nordic Mobile Telephone.

193.

Advanced Mobile Phone System.

194.

Le premier réseau GSM est opérationnel en juillet 1991 en Finlande. Il est testé à Paris durant cette période.

195.

Voir Thierry Pennard, « Comment analyser le succès du téléphone mobile ? », working paper, septembre 2001, p. 6.

196.

Direction Générale des Postes et Télécommunications

197.

Selon les chiffres du service documentation de l’ART, durant le mois de décembre 1994, les abonnements aux services numériques sont au nombre de 458 400, contre 345 500 pour les services analogiques.

198.

Relevons que, de manière quelque peu paradoxale, « Telecom » dans le nom de cette société s’écrit sans accent contrairement à celui de « France Télécom » qui en comporte.

199.

La norme DCS 1800 a été définie par l’ETSI (European Telecommunications Standards Insitute). Il s’agit de la norme du radiotéléphone GSM transposée dans la bande de fréquences 1800 MHz alors que la norme GSM précédente utilisait la bande 900 MHz.

200.

Autorité de Régulation des Télécommunications (mise en place le 5 janvier 1997)

201.

Les travaux de T. Pennard permettent de retracer comme suit l’évolution des offres et forfaits : - novembre 1996 : premiers paquets cadeaux ; le pack Itinéris coûte 1490 F et le pack Bouygues 1390 F ; - mars 1997 : Itinéris lance ses forfaits, suivi de SFR ; - mai 1997 : baisse du prix des packs (à partir de 690 F chez SFR, de 590 F pour OLA – avec 420 F de frais de mise en service) ; - juillet 1997 : début des forfaits avec doublement des heures ; - de septembre à décembre 1997 : poursuite des promotions d’accès (offres d’heures gratuites, pack SFR à 165 F, téléphone offert par Bouygues) ; - janvier 1998 : fin de la plupart des promotions et de la prime de bienvenue (le prix des packs oscille entre 790F et 990F) ; - Depuis juillet 1998 : relance des promotions et baisse des prix ; - Janvier 2000 : lancement du forfait Millenium proposant les communications gratuites en heures creuses.

202.

T. Pennard, « Comment analyser le succès du téléphone mobile ? », working paper, septembre 2001, p. 6.

203.

Source : T. Pennard, « Comment analyser le succès du téléphone mobile ? », working paper, septembre 2001.

204.

Ce système de tarification existait déjà au Royaume Uni

205.

Voir T. Pennard, « Comment analyser le succès du téléphone mobile ? », working paper, septembre 2001.

206.

Voir ci-après « Les approches quantitatives de l’équipement en téléphone mobile dans la société française » pp. 92-110.

207.

Voir ci-dessus « L’insertion sociale des objets techniques contemporains » pp. 38-58.

208.

Voir T. Pennard, « Comment analyser le succès du téléphone mobile ? », working paper, septembre 2001.

209.

En 1997, France Télécom ajuste ses offres en lançant OLA et Mobicarte.

210.

General Packet Radio Serive

211.

Enhanced Data rates for GSM Evolution

212.

Universal Mobile Telecommunications System

213.

Ce rapport a été publié par la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) en juillet 2004.

214.

Ces ententes ont été appelées dans la presse : « Yalta des mobiles ».

215.

Voir ci-après « Les approches quantitatives des de l’équipement en téléphone mobile dans la société française » pp. 92-110.