Les données quantitatives de la diffusion du téléphone mobile en France

Si les analyses ethnographiques des usages du téléphone mobile sont rares, les données quantitatives sur le taux de pénétration du téléphone mobile sont, quant à elles, nombreuses et surtout disparates. Par exemple : au milieu de l’année 2004, le taux de pénétration du téléphone mobile était de 70% selon l’ARCEP 286 , 67% selon le CREDOC, et la SOFRES dénombrait 65% de possesseurs. Cette disparité, liée principalement à la nature des unités statistiques prises en compte, fait problème 287 . Pour inhérente qu’elle soit à tous les travaux sur des résultats d’enquêtes nationales, elle nous invite à considérer ces données avec précaution. Néanmoins, si la nature des unités statistiques choisies engendre des disparités, l’évolution de ces chiffres reste similaire. Ainsi, la croissance ou la décroissance du nombre d’abonnés n’est, quant à elle, pas contestable. Pour notre analyse nous nous référerons principalement aux données de l’ARCEP 288 et indiquerons avec le plus de détails possibles les informations sur les modalités d’obtention. Voici donc les chiffres sur la diffusion de la radiotéléphonie en France que nous avons recueillis auprès de l’ARCEP.

Illustration 12. Evolution des abonnés au radiotéléphone de 1985 à 2006
Date 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991
Nombre d’abonnés 114 9 482 39 254 98 338 179 500 283 506 373 395
Date (au 31/12 de l’année) 1992 1993 1994 1995 1996
Services analogiques
Abonnés RC2000 324 000 323 000 201 600 153 600 94 000
Abonnés SFR NMT 450 111 000 140 000 143 900 142 600 118 200
Total 435 000 463 000 345 500 296 200 212 200
Services numériques
Abonnés FT numérique 289 - 56 000 369 200 700 700 1 336 600
Abonnés SFR numérique - 10 000 89 200 305 500 823 700
Abonnés Bouygues Telecom - - - - 90 200
Total - 66 000 458 400 1 006 200 2 250 500
Total 435 000 529 000 803 900 1 302 400 2 462 700
Date (au 31/12 de l’année) 1997 1998 1999 2000 2001
Services analogiques
Abonnés RC2000 44 400 9 700 - - -
Abonnés SFR NMT 450 80 500 37 500 - - -
Total 124 900 47 200 - - -
Services numériques
Abonnés FT numérique 3 036 100 5 542 600 10 051 000 14 310 800 17 822 700
Abonnés SFR numérique 2 151 100 4 213 800 7 334 800 10 159 800 12 555 300
Abonnés Bouygues Telecom 505 200 1 406 500 3 233 200 5 210 700 6 619 400
Total 5 692 400 11 162 900 20 619 00 29 681 300 36 997 400
Total 5 817 300 11 210 100 20 619 00 29 681 300 36 997 400
Taux de pénétration (en %) 9,98 19,20 34,30 49,40 61,60
Date (au 31/12 de l’année) 2002 2003 2004 2005 2006
Abonnés Orange 290 19 215 500 291 20 328 600 21 251 500 21 599 778 22 467 305
Abonnés SFR 13 546 900 14 724 400 15 819 800 16 608 999 17 227 540
Abonnés Bouygues Telecom 5 822 900 6 630 100 7 468 400 7 970 659 8 721 561
Total 38 585 300 41 683 100 44 539 700 46 179 436 48 416 406 292
Taux de pénétration en % 64,00 69,10 73,90 79,70 293 85,70

L’ARCEP considère comme abonné au radiotéléphone tout titulaire d'une carte SIM inscrit à l'Enregistreur de Localisation Nominal (HLR) de l'opérateur. Le taux de pénétration est obtenu en divisant le nombre total de clients au radiotéléphone par l’effectif global de la population en France.

Ces données indiquent que le seuil fatidique des 50% du taux de pénétration est atteint au cours de l’année 2001. Le nombre d’abonnés entre 1997 et 1999 double chaque année. Nous assistons donc à une forte croissance à cette période. Entre 1997 et 2000, « le rythme de croissance est exceptionnel puisqu’il atteint les 410% » 294 . Cet accroissement se visualise clairement à l’aide du graphique suivant.

Illustration 13. Le taux de pénétration du téléphone mobile en France entre 1997 et 2006
Illustration 13. Le taux de pénétration du téléphone mobile en France entre 1997 et 2006

Ce fort accroissement du nombre d’abonnés au téléphone mobile à la fin des années 90 est significatif pour les analystes de la démocratisation de cet objet technique contemporain. Evidence, certes, puisque le modèle de la diffusion a montré que plus le taux de pénétration dans une population est élevé, plus les caractéristiques des utilisateurs se rapprochent de celles de la population globale. Toutefois, c’est bien à partir de 1996, lorsque Bouygues Telecom intègre le marché de la téléphonie mobile en France et lance la facturation au forfait, qu’une accélération de la diffusion se laisse constater. A cette période, on bascule dans un marché grand public 295 .

En outre, cette explosion du nombre d’abonnés en un temps record fait du téléphone mobile un objet singulier dans l’histoire des télécommunications. « C'est l'outil de communication qui a connu la plus forte croissance pendant la décennie de 1990. En France, le nombre d'abonnés est passé de 250 000 en 1991 à 30 millions en janvier 2001, alors qu'il a fallu trois quarts de siècle à la téléphonie fixe pour atteindre un niveau comparable » 296 . Rappelons tout de même que c’est dans les années 70, suite à une politique volontariste, que la diffusion du téléphone fixe auprès du grand public s’est intensifiée en France. En 1973, on n’y dénombrait que 5 462 millions d’abonnés contre 20 277 en 1983 297 . Entre le 14 février 1876, jour du dépôt de brevet de G. Bell, et les années 70, c’est une période de gestation pour le téléphone fixe en France 298 .

Toutefois, si l’explosion du nombre d’abonnements au téléphone mobile GSM dans la seconde moitié des années 90 est incontestable, notre histoire du développement du téléphone mobile en France a souligné que les premiers radiotéléphones de voiture sont bien antérieurs. Au-delà des apparences suscitant des discours emphatiques 299 , l’insertion sociale du téléphone mobile en France s’est faite progressivement et a commencé à se construire il y a longtemps. Comme pour toutes les inventions, l’accroissement parfois brutal du taux de pénétration ne doit pas faire oublier le long parcours qui a précédé 300 . Cela dit, la vitesse de diffusion du téléphone mobile en France, comparée à celle d’autres machines à communiquer, reste indéniablement spectaculaire.

Les données de l’ARCEP montre en outre un tassement dans la croissance entre 2001 et 2003, et qui atteint son paroxysme en septembre 2002. Ce constat nous semble essentiel dans notre perspective d’appréhension de l’évolution des stratégies discursives des constructeurs. Dans un marché ne connaissant plus l’euphorie des années précédentes, quels sont les arguments publicitaires des constructeurs ? Est-ce que ce tassement a une forme d’influence sur les représentations socio-techniques du téléphone mobile ? Ces questions pourront trouver une réponse au travers de notre analyse.

En outre, et pour corroborer les conclusions d’Y. Mallein et P. Toussaint 301 , notons que cette période correspond au développement des téléphones mobiles GPRS permettant un débit plus important. Ce sont les téléphones équipés du WAP 1.2, les téléphones avec appareil photo numérique intégré, etc. En résumé, c’est une période où les constructeurs proposent des terminaux de plus en plus sophistiqués, où les fonctionnalités se multiplient. Comment expliquer ce paradoxe – si paradoxe il y a – entre le développement d’une offre « alléchante » et un tassement de la croissance ? Nous voudrions proposer deux pistes de réflexion à ce sujet :

  • Le développement de ces innovations technico-commerciales et l’accroissement du nombre de modèles pendant cette période 302 peuvent être interprétés comme un moyen de remédier à ce tassement en relançant la demande.
  • Les chiffres de l’ARCEP recensent les détenteurs de cartes SIM et ne prennent donc pas en considération les changements de modèle de téléphone mobile. Obtenir des données sur les changements de modèle pendant cette période pourrait nous permettre d’évaluer le succès de cette offre. Malheureusement, ces informations sont jugées stratégiques par les opérateurs et sont donc particulièrement difficiles d’accès.

Les données présentées nous permettent donc de relever deux éléments principaux : une forte croissance entre 1997 et 2000 et un tassement de la croissance à partir de 2001.

Notes
286.

Source : observatoire des mobiles (http://www.art-telecom.com/). L’ART (Autorité de Régulation des Télécommunications) est devenue l’ARCEP au cours de la réalisation de notre manuscrit (mai 2005). Nous avons donc choisi d’utiliser le nom actuel de l’organisme dans le corps du texte. En revanche, le nom utilisé pour indiquer les références des sources respecte les dates de localisation des documents.

287.

Voir Corinne Martin, « Les représentations du téléphone portable chez les jeunes adolescents », Actes du Xe colloque bilatéral franco-roumain, 1ère conférence internationale francophone en Sciences de l’Information et de la Communication, Bucarest, 28 juin–2 juillet 2003.

288.

Ces données sont détaillées en annexe. Voir pp. 360-365

289.

Lancement d’Itinéris en juillet 1992

290.

Initéris, Ola et Mobicarte deviennent Orange en juin 2001

291.

Les chiffres indiqués correspondent au parc d’abonnés de chaque opérateur (Métropole et DOM). Voir l’étude du marché de la téléphonie mobile en France sur le site de l’ARCEP.

292.

Avec les abonnés agrégés des MVNO (1 392 093) ce chiffre s’élève à 49 808 499 à la fin de l’année 2006.

293.

Taux calculé sur la base du recensement de 1999. Le calcul basé sur le recensement de 2006 donne un pourcentage moins élevé (76,1% pour 2005 et 81,8% pour 2006).

294.

Lettre n° 37 de l’ART.

295.

Voir T. Pennard, « Comment analyser le succès du téléphone mobile ? », working paper, septembre 2001.

296.

P. Flichy, « Télécommunications, usages des outils de communication », Encyclopædia Universalis, 2005, [on line] [www.universalis-edu.com]

297.

Chiffres issus de Richard Lauraire, Le téléphone des ménages français, Paris, La documentation française, 1987.

298.

Laurence Bardin, « Du téléphone fixe au portable », Cahiers Internationaux de sociologie, V. 112, 2002, p. 97-122.

299.

Voir les titres des articles de presse.

300.

Voir V. Scardigli, op. cit.

Dans La société conquise par la communication, B. Miège explique que cette dimension historique est fondamentale car il importe toujours « de se positionner par rapport au temps, le "temps court" des étapes de l'innovation, et le "temps long" des mouvements sociaux sur lesquels prennent appui les changements impliqués par l'adoption des nouvelles techniques » (p. 157).

301.

Les qualités intrinsèques des techniques ne peuvent expliquer à elles seules le succès d’une innovation.

302.

Cette affirmation s’appuie sur nos propres constatations : pour chaque constructeur nous avons observé une croissance du nombre de modèles chaque année. Notons que les constructeurs n’ont malheureusement pas souhaité nous répondre précisément sur ce point en nous communiquant leurs propres données.