2°) Au-delà de l’idéologie, les rôles des discours d’accompagnement

Quels rôles les discours d’accompagnement peuvent-ils jouer dans le processus d’insertion sociale des TIC ? Apporter une réponse à cette question n’est pas une tâche facile. Ce sera pourtant notre objectif dans les pages suivantes. Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous souhaitons formuler deux remarques. La première concerne l’influence de ces discours. La seconde aborde la logique que nous avons choisi d’adopter dans notre travail d’élucidation..

  • Nous ne visons nullement ici à remettre en cause les travaux sur les effets des médias. On sait depuis longtemps que les discours médiatiques n’ont qu’une influence limitée sur leur récepteur. Ce dernier, en effet, est loin d’être passif à leur égard. Rappelons brièvement l’évolution des questionnements et positionnements quant à cette problématique. Dans les années 30, les chercheurs ont une vision propagandiste des médias. Adoptant les postulats behavioristes, ils considèrent que les médias disent à leurs récepteurs ce qu’il faut penser 413 . Après la Seconde Guerre mondiale, la position diffusionniste devient de plus en plus prégnante. Les travaux montrent l’importance des personnes relayant les discours médiatiques : les leaders d’opinion 414 . Les chercheurs exposent alors des modèles montrant que les effets des médias sont indirects ou limités. La position face aux discours médiatiques n’est plus celle de la « piqûre hypodermique » mais devient celle de l’agenda 415  : les médias prescrivent l’ordre du jour. Les travaux des Uses and gratifications (dès les années 70) et les Cultural Studies (années 60) minimisent encore le rôle de ces discours. D’une part, le questionnement évolue. La question centrale n’est plus « qu’est-ce que les médias font aux gens » mais « qu’est-ce que les gens font des médias ? » D’autre part, les travaux anglo-saxons soulignent le rôle actif du récepteur dans la construction du sens du message et l’importance du contexte de réception. Cette rapide rétrospective devrait suffire à démontrer la nécessité de relativiser les effets des discours médiatiques. Nous poserons donc que les discours d’accompagnement des TIC ne peuvent pas avoir d’influence directe sur les usagers des dispositifs techniques. Ces derniers ne sont pas passifs face aux productions discursives.
  • Deuxièmement, notre perspective est ici proche de celle de l’analyse de discours. Elle consiste, en effet, à inscrire ces discours dans des phénomènes sociaux plus larges. Elle interroge la construction de la signification en fonction d’un contexte particulier. Elle questionne le rôle des productions discursives dans la construction de l’identité des objets techniques contemporains. Ainsi, nous avons choisi d’adopter une approche globalisante des discours pour ensuite cerner les particularités liées à notre questionnement : celles relatives au processus d’insertion sociale des techniques.

A l’instar de J.-F. Tétu, nous considérons que tout discours a une triple dimension : une dimension cognitive (il vise un savoir), une dimension sémiotico-esthétique (il produit du sens, du sensible) et une dimension pragmatique (il vise une action, à faire agir). Les travaux sur l’appropriation des objets techniques contemporains énoncent des conclusions entrant en résonance avec ces caractéristiques. La question qui se pose alors à nous est la suivante : comment ces trois dimensions se traduisent-elles dans le cadre d’un questionnement sur l’insertion sociale des objets techniques contemporains ?

Notes
413.

Voir les travaux de H. Lasswell, S. Tchakhotine, et de l’école de Chicago.

414.

Voir les travaux de P. F. Lazarsfeld.

415.

Voir Maxwell. E. McCombs, Donald L. Shaw, « The agenda-setting function of mass media? », Public Opinion Quaterly, n° 36, 1972, pp. 176-187.