Typologie des publicités : le rôle des conceptions de la consommation

En tant que genre discursif, la publicité regroupe une diversité d’énoncés. Cette variété appelle de fait des tentatives de classification. Plusieurs typologies existent. Trois d’entre elles nous semblent pertinentes pour notre étude. Tâchons donc de les aborder et de souligner leur intérêt dans notre perspective.

Selon B. Cathelat, quatre courants de pratiques publicitaires peuvent être distingués en fonction de leur conception des mécanismes d’influence psychologiques et sociaux. Il propose ainsi de différencier :

Cette publicité est surtout rationnelle et informative sur le produit. Elle consiste à convaincre un consommateur rationnel en l’informant et lui démontrant logiquement les qualités du produit face à ses concurrents éventuels. Le psychosociologue relie ce type de publicité à une conception rationaliste du consommateur et au modèle AIDA 478 .

Le principe de cette catégorie est de choquer le consommateur ou de lui répéter, matraquer le message publicitaire. Suivant cette perspective, le consommateur n’est pas considéré comme un être uniquement rationnel. Il a des attitudes réflexes. Certains automatismes mentaux sont inconscients. Cette catégorie s’appuie entre autres sur la théorie des réflexes conditionnés 480 et le behaviorisme 481 . Elle se fonde sur les principes de conditionnement du consommateur.

Ce type de publicité vise à influencer la conduite du consommateur en s’adressant à ses motivations profondes. Elle cherche à le séduire, à satisfaire ses besoins fondamentaux par la suggestion. Elle exploite le désir du produit par le symbolique. Le client n’est pas envisagé comme un être passif, sans subjectivité. Cette conception du consommateur est notamment reliée à la Gestalt-théorie 483 , aux travaux de K. Lewin et de S. Freud.

Reliée au courant des culturalistes, la quatrième catégorie conçoit le consommateur comme un sujet social, avec des codes, des valeurs, une culture. Ce type de publicité consiste donc à inscrire le produit dans des codes sociaux, des modes de vie. Il doit devenir l’expression d’une appartenance.

La classification proposée par B. Cathelat adopte une vision historique des types de publicité en fonction de l’émergence et de l’évolution des modèles théoriques de la psychologie de la consommation. Toutefois, ces variétés de publicités cohabitent encore actuellement. Si la typologie de B. Cathelat permet de cerner l’évolution des stratégies publicitaires (avènement d’un type de stratégie publicitaire par période) et des modèles du consommateur, elle nous semble encore être effective. Ainsi, cette classification peut nous être utile dans une approche diachronique des publicités contemporaines.

Une autre modélisation permettant de catégoriser les stratégies publicitaires nous paraît aussi particulièrement pertinente pour notre étude. Il s’agit du mapping 485 sémiotique des valeurs de la consommation d’A. Semprini 486 . A la suite des travaux de J.-M. Floch 487 , A. Semprini propose, en effet, de construire un mapping à partir de quatre modalités de valorisation : pratique, utopique, critique et ludique. Arrêtons nous un instant sur ces modalités en fonction de l’exemple qui nous intéresse. La valorisation pratique renvoie aux valeurs d’usage, c’est-à-dire aux valeurs concrètes et utilitaristes. Dans le cadre du téléphone mobile, elle consistera à mettre en avant la finalité fonctionnelle de l’objet. Elle le présente suivant sa dimension instrumentale. La valorisation utopique est associée aux valeurs de base, c’est-à-dire aux valeurs projectives et futuristes. Un modèle de mobile sera, dans ce cas, présenté comme relié à un projet utopiste (la liberté ou l’ubiquité par exemple). La valorisation critique s’ancre sur le jugement et l’évaluation. Elle consiste en une prise de distance critique en fonction de systèmes de références externes au produit. Un modèle de portable sera alors traité sous le mode de l’évaluation critique ; la prise de photos avec son mobile permet, par exemple, de dépasser les barrières linguistiques lors d’un voyage à l’étranger. La valorisation ludique repose sur des valeurs comme l’adhésion ou la complicité. Elle exploite le rapport émotionnel et fusionnel avec l’objet. Le mobile sera présenté, dans cette logique, suivant sa dimension sensible et émotive : il sera montré comme une source de plaisir.

Nous avons choisi de ne pas détailler plus en avant la géographie du mapping. L’intérêt est, dans notre perspective, d’appréhender ce modèle comme un outil d’analyse. Il peut, en effet, nous permettre de positionner les spots publicitaires de notre corpus en fonction de leur mode de valorisation principal, et de voir, de surcroît, si ce mode évolue.

Les publicités peuvent enfin être distinguées en fonction de leurs supports (télévision, presse, radio, affichage…). Chaque média a des particularités qui entrent en considération dans la production de la signification. Il ne s’agit ici nullement d’abonder dans le sens de la fameuse déclaration de M. McLuhan : « le médium c’est le message ». Toutefois, nous considérons que la forme aussi participe à la constitution de la signification 488 . Autrement dit, les spots publicitaires ont des particularités induites par la nature de leur support.

En somme, il n’existe pas une publicité mais des publicités. De surcroît, les réflexions en psychologie, les conceptions des processus de consommation et de communication sont essentielles dans la configuration prise par les publicités. Leur forme et leur contenu sont liés aux conceptions théoriques d’une époque. Les recherches en sémiologie constituent en ce sens une ressource lors de la construction d’un message publicitaire.

Notes
477.

B. Cathelat, op. cit., pp. 106-108.

478.

AIDA : attirer l’Attention, susciter l’Intérêt, provoquer le Désir, déclencher l’Achat.

479.

B. Cathelat, op. cit., pp. 109-114.

480.

I.P. Pavlov est l’initiateur de cette théorie. Après avoir montré l’existence de réflexes conditionnés ou acquis chez les animaux, il a généralisé ses thèses à la psychologie humaine.

481.

Le behaviorisme (de « behaviour » (comportement)) est une doctrine d’origine américaine qui étudie les réactions observables déclenchées par un stimulus externe.

482.

B. Cathelat, op. cit., pp. 114-122.

483.

Théorie psychologique de la forme.

484.

B. Cathelat, op. cit., pp. 122-125.

485.

Mapping : représentation graphique en deux dimensions permettant de visualiser un positionnement

486.

Voir Andreas Semprini, Le marketing de la marque, Les Editions Liaisons, Paris, 1992, pp. 73-103.

487.

Voir Jean-Marie Floch, Sémiotique, marketing et communication : sous les signes, les stratégies, Paris, PUF, 2002 (1ère édition 1990). Les travaux de J.M. Floch s’appuient sur la sémiotique greimassienne notamment par le recours au carré sémiotique.

488.

Sur la relation entre la forme et la construction de la signification voir le travail de J.F. Tétu sur l’évolution des mises en pages des journaux in Maurice Mouillaud et Jean-François Tétu, Le journal quotidien, Lyon, PUL, 1989.