1°) Histoire d’une sélection : entre exigences scientifiques et critères de faisabilité

La phase d’exploration

Au commencement de cette recherche, la constitution de notre corpus a été effectuée de manière exploratoire. Nous avons dans un premier temps rassemblé l’ensemble des documents publicitaires et techniques autour des téléphones mobiles que nous pouvions trouver. Pour ce faire, les techniques suivantes ont été utilisées : la recherche sur le web, en bibliothèque, le recueil dans les lieux de distribution, le repérage dans les magazines et le mailing (constructeurs, opérateurs, musées, collectionneurs…). Un nombre conséquent de documents (environ 1500), sous format papier et électronique, a ainsi été accumulé : fiches produits, fiches techniques, spots publicitaires de constructeurs, d’opérateurs, de distributeurs, publicités presse, magazines promotionnels, etc.

A l’issue de cette phase, un constat s’imposait. L’hétérogénéité et la quantité des données rassemblées ne permettaient pas un traitement itératif rigoureux. De plus, dater avec précision la diffusion de ces documents constituait un obstacle supplémentaire pour une analyse diachronique. Les informations sur le contexte de production de ces données sont, en effet, fragmentaires. Quand et comment chaque document a-t-il été produit ? A quelle occasion ? Dans quelle zone géographique a-t-il été diffusé ? Ces questions ont été soulevées mais sans trouver de réponses claires et précises ni auprès des industriels (opérateurs et constructeurs) ni auprès des agences publicitaires 595 .

Une autre logique de recherche devait donc être adoptée. Nous avons décidé d’orienter notre recherche à partir d’une chronologie des produits et services relevant du secteur de la téléphonie mobile. Notre enquête a tenté de répertorier l’ensemble des modèles de mobiles et services des opérateurs en fonction de leur date de commercialisation. A partir de cette chronologie, nous espérions dater les documents recueillis et combler les lacunes de notre corpus. Malheureusement, les informations concernant les dates de commercialisation des produits et services sont non seulement délicates à obtenir, mais surtout, elles sont contradictoires.

  • Les sites des équipementiers n’indiquent pas l’ensemble des dates de commercialisation de leurs modèles. Les communiqués de presse renseignent exclusivement sur les produits récents. Quant aux pages « actualité » ou « événement », elles informent sur les modèles « à venir ». Les « dates de sortie » des modèles plus anciens ne sont pas indiquées sur les sites des constructeurs. Dater les modèles anciens à partir des informations diffusées sur ces sites est impossible. A ce propos, nous pouvons nous interroger sur le caractère stratégique d’une telle démarche. Dans un secteur où la valorisation passe par la nouveauté, n’est-il pas préférable d’éviter de renseigner cette donnée sur les fiches techniques ? En effet, ne pas indiquer la date de commercialisation des modèles anciens n’est-ce pas une tactique pour évincer ce critère de sélection ?
  • Sur les sites des distributeurs et des offreurs de services connexes (« déblocages », conseils d’achat) 596 , des dates de commercialisation d’un grand nombre de modèles sont disponibles. Mais d’un site à l’autre, ces dates sont variables. Les écarts sont conséquents. Ils peuvent excéder dix mois. Les contradictions entre ces dates conduisent à douter de leur véracité. De plus, après quatre années de commercialisation, les modèles ne sont plus référencés sur ces sites. Pour quelles raisons ? Doivent-ils être oubliés car ils ne sont plus commercialisés ? Une impression d’obsolescence rapide des modèles a ainsi pu être relevée. La quête perpétuelle de la « nouveauté » semble s’accompagner d’une désuétude hâtive et d’une forme « d’oubli » des modèles antérieurs.

Ajoutons qu’au cours de cette phase de recherche, nous avons pu entrevoir trois principales limites à l’élaboration d’un corpus sur notre thème.

  • Tout d’abord, nous avons appris que les modes d’emploi de téléphones mobiles ne sont pas archivés à la BNF 597 . Etant édités et imprimés à l’étranger, ils échappent au système français du dépôt légal.
  • Ensuite, l’archivage des documents publicitaires de type tracts ou publicités presse est aléatoire. Ils ne sont pas répertoriés dans une base de données. Seuls les spots publicitaires télévisuels sont archivés à l’INA 598 depuis 1995. Le BVP 599 se charge de la gestion et de l’étiquetage de ces films (système automatique informatisé). L’INA reçoit ensuite les archives et complète sa base de données 600 .
  • Enfin, le manque de collaboration des services marketing et techniques des constructeurs, de leurs agences de publicité ne facilite pas la constitution d’un corpus homogène et sans faille. De manière paradoxale, ces organismes considèrent que ces données sont devenues stratégiques 601 . Les transmettre comporte pour eux un risque concurrentiel. Ils préfèrent donc ne pas les communiquer.

A l’issue de cette exploration, nous disposions d’une quantité conséquente de documents de nature hétérogène. La variété de ces productions discursives (conditions de production, de diffusion, support...) et la difficulté pour les classer suivant leur période de diffusion, nous ont conduite à circonscrire notre étude. Une phase de sélection a donc suivi cette exploration. Son objectif a consisté à délimiter les contours d’un corpus afin de garantir une certaine homogénéité pour l’analyse.

Notes
595.

Voir « extraits de questionnaires » en annexe p. 366.

596.

Sites référençant les dates de commercialisation : http://www.lesmobiles.com, http://www.mobiles-actus.com (classement par date de commercialisation), http://www.pdafrance.com, http://www.deblocagediscount.com/…

597.

Bibliothèque Nationale de France

Informations issues d’un échange de courrier avec différents services de la BNF.

598.

Institut National de l’Audiovisuel

599.

Bureau de Vérification de la Publicité

600.

Donnée obtenue à partir d’une conversation téléphonique avec le service documentation du BVP en juin 2007.

601.

Elles ont pourtant été diffusées auprès d’un large public avant notre étude.