1°) Des signes in absentia : ellipses et autres omissions

Entre 1996 et 2006, dans l’ensemble des spots publicitaires de notre corpus, nous avons constaté la récurrence d’une ellipse. Elle concerne la mise en images des opérations à effectuer pour telle ou telle utilisation du mobile. Deux absences sont aussi récurrentes. La première concerne la représentation du contenu des conversations téléphoniques « classiques » (hors SMS et MMS). La deuxième renvoie à la représentation du fonctionnement du téléphone mobile. Elles ne constituent nullement des ellipses dans la mesure où elles ne sont pas induites par la narration. Toutefois, nous considérons qu’elles s’apparentent à cette figure de rhétorique. Elles constituent, en effet, des passages sous silence, des omissions signifiantes.

Avant d’aborder plus en détail l’ellipse relevée, deux remarques s’imposent : l’une terminologique, l’autre liée aux conditions d’énonciation des spots publicitaires. Tout d’abord, précisons que dans le langage courant, l’ellipse se définit comme « une omission syntaxique ou stylistique d'un ou plusieurs éléments dans un énoncé qui reste néanmoins compréhensible » 631 . Dans la terminologie propre à la théorie du cinéma, l’ellipse renvoie à une « procédure discursive consistant à passer sous silence un moment des événements racontés tout en laissant le soin et la possibilité au spectateur de reconstituer mentalement ce moment » 632 . Afin de bien comprendre cette notion, il est nécessaire de distinguer le temps du récit de celui de l’histoire. Lors d’une ellipse le temps du récit est de zéro alors que le temps de l’histoire n’est pas nul. Il peut aller d’une heure à plusieurs années. L’amplitude d’une ellipse est, en effet, très variable. C’est dans cette seconde perspective que nous nous situons. L’ellipse est, pour nous, un élément d’histoire qui ne donne pas lieu à une narration. Ajoutons que dans les spots de notre corpus, l’ellipse constatée résulte en partie du montage de la bande-images pour représenter une scène (raccordement) 633 . Le montage est, en effet, signifiant. Il assure quatre fonctions : syntaxique (il organise), sémantique (il produit du sens), discursif (il inscrit dans un genre de discours) et énonciatif (il affiche ou dissimule l’énonciation) 634 .

Ensuite, rappelons les contraintes inhérentes au format des spots publicitaires. Ces derniers sont généralement courts. Ils varient entre 15 secondes et 1 minute 30 635 . Dans notre corpus, la majorité avoisine les 30 secondes. Ainsi, dans les « spots-récit » 636 , l’ellipse est logiquement une figure récurrente 637 . Elle permet de jouer sur la durée du spot publicitaire, de la réduire et de baisser le coût de diffusion. Elle est donc souvent utilisée pour élaborer une version courte d’un spot publicitaire. Notre corpus comporte d’ailleurs plusieurs spots publicitaires dont la différence repose sur la durée. Dès lors, interroger les dissemblances entres ces deux versions semble pertinent : l’ellipse porte-t-elle sur l’omission de certains plans ou sur leur durée ? Cela dit, l’ellipse n’est pas exclusivement due au format des spots publicitaires, elle est aussi un artifice technique pour valoriser et séduire. F. Vanoye et A. Goliot-Lété précisent, en effet, que cette figure est fréquente dans les spots pour les produits ménagers ; elle porte souvent sur le travail à effectuer. La durée des spots implique donc un recours à l’ellipse mais cette figure a aussi un effet sur la construction de la signification véhiculée par le message publicitaire.

Notes
631.

« Ellipse », Le nouveau petit Robert, Paris, dictionnaire Le petit Robert, 2001.

632.

Jean Bessalel, André Gardies, « Ellipse », in 200 mots-clés de la théorie du cinéma, CERF, 1992, p. 76.

633.

Selon C. Metz, une séquence diffère d’une scène notamment par le fait qu’elle comporte de brèves ellipses internes.

634.

J. Bessalel, A. Gardies « Montage » op. cit. pp. 143-145.

635.

Anne Goliot-Lété, Francis Vanoye, Précis d’analyse filmique, Paris, Nathan, 1997, p. 91.

636.

Par « spot-récit », nous entendons les films publicitaires dans lesquels une histoire est narrée. Nous parlerons aussi de « spot narratifs ». Cette précision nous permet de les distinguer des spots descriptifs où le produit promu fait l’objet d’une simple description.

637.

A. Goliot-Lété, F. Vanoye, op. cit., p. 94.