La représentation des procédures d’usages

Dans les spots publicitaires de notre corpus, nous avons remarqué l’utilisation d’ellipses pour représenter les utilisations du téléphone mobile. Lorsqu’un spot met en scène une utilisation, comme passer un appel téléphonique, prendre une photographie, ou enregistrer une vidéo, etc., la séquence est brève ; elle se résume à quelques plans (trois ou quatre) de courte durée avec un enchaînement simple (cut). L’ensemble des manipulations nécessaires à la réalisation de telle ou telle utilisation n’est donc pas montré au spectateur. Pour illustrer notre propos, nous avons sélectionné l’exemple de trois mises en scène d’utilisations différentes pour laquelle l’ellipse sur les procédures est présente.

Tout d’abord, dans le spot du Nokia 8110, le spectateur voit l’utilisateur émettre un appel téléphonique. Or la bande-images ne montre ni l’ouverture du téléphone, ni la composition du numéro…La bande-son ne laisse, par ailleurs, entendre aucun bruit de composition de numéro ou de sonnerie. Le temps du récit est égal à zéro alors que le temps de l’histoire est de quelques secondes. Quant à la réception de l’appel téléphonique, la juxtaposition des deux plans qui se succèdent élude aussi les manipulations requises par l’utilisatrice pour rendre la réception effective (ouverture, décrochage).

Illustration 42. Extrait du spot publicitaire du Nokia 8110
Illustration 42. Extrait du spot publicitaire du Nokia 8110

Ensuite, dans le spot Motorola du Timeport, l’accès effectif à Internet se résume à deux plans. Entre un seul appui sur le téléphone et le plan proposant l’accès à Internet, le temps écoulé entre les plans est de 40 millisecondes. Or le contenu du mode d’emploi pour le mobile promu indique la nécessité de plusieurs actions avant l’accès effectif à Internet. En outre, même si l’utilisateur représenté a paramétré les raccourcis de son mobile, il a dû au préalable activer son mobile qui se trouvait dans son sac à dos (soit le mettre sous tension, soit le déverrouiller).

Illustration 43. Extrait du spot publicitaire du Motorola Timeport L7089
Illustration 43. Extrait du spot publicitaire du Motorola Timeport L7089

Enfin, un dernier exemple concerne la mise en scène de la prise d’une photographie à l’aide de son mobile. Dans un des spots visant à promouvoir le Nokia 3650, une scène montre la composition d’un MMS. Deux plans permettent au spectateur d’identifier l’utilisation mise en scène. Toutefois, un ensemble d’opérations sont passées sous silence (activer son téléphone, accéder au menu « photographie », écrire le texte, rechercher le contact, etc.).

Illustration 44. Extrait du spot publicitaire du Nokia 3650
Illustration 44. Extrait du spot publicitaire du Nokia 3650

L’ellipse est donc une figure récurrente lors de la mise en scène d’utilisations du mobile. Notons que cette figure est plus facilement identifiable dans les spots narratifs que dans les films descriptifs ou contemplatifs 638 . Elle semble de surcroît, s’accroître dans les spots les plus récents de notre corpus. Les manipulations de l’objet paraissent s’amoindrir avec le temps. Par exemple, dans le spot pour les Nokia 7260-7270-7280, diffusé en janvier 2005, les plans ne montrent pas les utilisateurs représentés appuyant sur leur téléphone pour émettre ou recevoir un appel. Le simple fait de coller le téléphone contre leur oreille met en scène ces utilisations. Cela dit, nous restons volontairement prudente sur cette évolution pour deux raisons. Premièrement, l’accroissement des spots contemplatifs peut fausser notre interprétation. Les téléphones mobiles sont, en effet, dans ces spots, de plus en plus représentés en cours d’utilisation. Deuxièmement, l’amplitude des ellipses sur les procédures semble dépendre des caractéristiques du mobile promu. Le perfectionnement de certains composants techniques (l’optique d’une caméra, la capacité de stockage de la mémoire pour la musique…) peut impliquer le recours à un ou deux plans de manipulations dans des spots récents 639 . Ainsi, au cours de la même période de diffusion, deux spots pour des mobiles comportant des fonctionnalités similaires recourent à des ellipses d’amplitude variée. Toutefois, dans les spots récents, les mises en scène d’utilisations présentes depuis 1996 comme téléphoner ou envoyer un SMS, font l’objet d’ellipses plus amples qu’auparavant. Les procédures d’utilisations sont donc de moins en moins détaillées.

Cela dit, l’intérêt, ici, est surtout de relever la présence constante d’ellipses, d’une amplitude plus ou moins grande, lors des représentations d’utilisations diverses du mobile. Comme évoqué précédemment, nous pouvons supposer que le recours à cette figure est induit par les contraintes d’énonciation. Toutefois, elle a un effet incontestable sur la représentation des utilisations du mobile. Du fait de son jeu sur la temporalité du récit (par rapport à celle de l’histoire), elle produit l’image d’un objet technique opérationnel rapidement, nécessitant peu d’interventions de la part de l’utilisateur (un ou deux gestes). Le mobile paraît de surcroît facile, simple d’utilisation. L’image ainsi donnée n’est pas sans rappeler les propos de M. Legrand sur l’illusion construite par la publicité : « La publicité tire argument de la non nécessité de l’instruction ou de l’apprentissage pour faire miroiter auprès d’un utilisateur enfermé dans un statut de consommateur, la certitude d’une jouissance immédiate du produit. Elle cultive par conséquent l’illusion d’un appareil automatique (il marche seul, il n’y a rien à faire) et facile d’utilisation ([…] pas besoin d’apprendre comment faire, on sait faire d’avance) » 640 . Bien que notre vision des publicités soit moins manichéenne et caricaturale 641 , nous considérons, en effet, que les ellipses lors de la mise en scène d’utilisation du mobile concourent à véhiculer l’image d’un objet automatique et facile d’utilisation.

Notes
638.

Par films publicitaires contemplatifs, nous entendons les spots se rapprochant par leur forme de la majeure partie des clips vidéos actuels (succession d’images animées « sur-esthétisées », narration absente, rôle essentiel de la musique pour créer une ambiance). Le film ne raconte pas ; il semble seulement donner à voir. Selon F. Vanoye et A. Goliot-Lété, dans ces spots, l’objectif consiste à séduire en fascinant, en connotant et en associant une ambiance au produit. L’argumentation directe est quasiment nulle. Voir A. Goliot-Lété, F. Vanoye, op. cit., pp. 94-95.

639.

Spots Nokia N90, Sony Ericsson K750i ou W800.

640.

Marc Legrand, « publicité et mode d’emploi : deux visées parfois contradictoires » in D. Boullier et M. Legrand (dir.), Les mots pour le faire : conception des modes d’emploi, Paris, Ed. Descartes, 1993, pp. 63-64.

641.

Dans notre perspective, l’image donnée n’est pas forcément construite intentionnellement comme dans le cas des produits ménagers.