Constat corrélatif pour une part aux ellipses sur les procédures d’usages, les spots publicitaires de notre corpus délivrent peu d’informations sur le fonctionnement du téléphone mobile. Certes, cette thématique n’est pas l’argument central du message publicitaire, néanmoins sa quasi-absence est une des caractéristiques constante de l’image du mobile véhiculée dans ces films promotionnels. En effet, en cherchant à identifier les informations données sur le cadre de fonctionnement dans les spots de notre corpus, l’analyste est amené à constater que celles-ci sont parcellaires ou absentes. La réponse à la question « comment ça marche ? » est de deux ordres : soit il marche seul, soit l’intervention de l’utilisateur est moindre (un à deux gestes).
Dans une minorité de spots de notre corpus, le téléphone mobile est mis en scène seul 645 ou déposé sur une main transformée pour l’occasion en présentoir 646 . L’absence d’une représentation intégrale de l’utilisateur et de son action sur l’appareil, tend à produire l’image d’un objet technique qui fonctionne seul. Le téléphone mobile est de surcroît personnalisé. Il s’anime, se transforme sans qu’aucune intervention de l’homme ne soit visible. Le téléphone se meut, se tourne, change de façade, etc.
Ce mode de représentation se retrouve également dans les pack-shot des spots pour les portables récents.
La mise en scène peut aussi rendre le téléphone mobile non seulement animé mais humain. Dans le spot du Nokia 6101, le clavier du téléphone forme une bouche et l’objectif photographique est assimilé à un œil. Certes, le dessin d’animation facilite l’analogie, toutefois l’image véhiculée reste celle d’un objet technique animé, entièrement automatique presque humain. Cette imagerie n’est d’ailleurs pas sans évoquer les propos de G. Simondon sur notre conception culturelle de l’automatisme 647 .
La représentation du téléphone mobile comme objet technique opérant seul est aussi repérable dans les spots où un utilisateur est mis en scène. Premièrement, comme nous l’avons déjà énoncé, les ellipses sur les procédures d’usage concourent à produire cette image. Deuxièmement, la focalisation sur l’écran du portable en train de se modifier (lecture de vidéo, apparition d’une photographie…) contribue à alimenter cette imagerie. Les jeux de cadrage et les images subjectives peuvent même aller jusqu’à entretenir une confusion entre ce que montre l’objet, ce qu’il affiche, et l’image de l’interlocuteur que le téléspectateur voit sur son écran 648 . L’écran du mobile se confond avec la vie qu’il représente. Troisièmement, les stratégies énonciatives adoptées participent aussi à produire l’image d’un objet animé et automatique. A propos du mobile promu, nous avons pu relever les expressions suivantes : « c’est un grand sorcier » 649 , « il a tout dans la tête » 650 ou encore « il en a dans le ventre » 651 . Les énoncés linguistiques contribuent aussi à humaniser le mobile (phénomène d’anthropomorphisme de l’objet).
Ajoutons que les spots publicitaires représentant l’intérieur du portable adopte une mise en scène particulière : ils représentent le contenu par une logique basée sur les usages 652 . Le spectateur ne voit pas des composants électroniques. Il voit d’autres objets techniques culturellement associés à des utilisations (télévision, téléphone, appareil photographique…).
Certes, ce mode de représentation peut être interprété comme une référence à la figure imaginaire du terminal unique, à l’idée d’une fusion entre les objets techniques, toutefois, elle participe aussi à souligner un mode de représentation du « fonctionnement interne » du mobile. Exposer par « types d’usage » semble être un moyen de véhiculer une image plus séduisante, accessible (facilement compréhensible), de l’objet. Ajoutons que les énoncés de la voix-off adoptent aussi une exposition des fonctions en le rapprochant d’autres objets techniques existants : « c’est un ordinateur, un appareil photo… ». Finalement, nous pouvons nous demander si renvoyer à d’autres objets n’est pas un moyen de vulgariser le fonctionnement technique.
Dans le prolongement de cette réflexion, ajoutons que la valorisation ne repose pas sur la mise en exergue de la scientificité de l’objet. A l’instar des conclusions de J. Jouët ou de J.-C. Soulages dans leurs travaux sur les représentations des TIC, nous avons, en effet, pu relever une évacuation de la dimension scientifique dans les publicités de notre corpus 653 . La phase de conception du téléphone mobile est rarement mise en images. Dans une logique promotionnelle, la représentation par l’usage lui est vraisemblablement préférée. De surcroît, les rares publicités faisant référence à la conception, ne mettent pas en images les laboratoires ou les bureaux d’étude. Les ingénieurs ou autres concepteurs ne sont pas non plus l’objet d’une mise en scène. Seul l’objet technique, hors de tout contexte spatiotemporel, est visible 654 . Dans ces cas, on est proche de ce que G. Péninou nomme « l’objet à l’infinitif » 655 .
Finalement, nous pouvons considérer une fois encore que le mode de représentation du cadre de fonctionnement (objet qui fonctionne seul) est lié à la visée du genre discursif. En effet, donner un caractère magique au mobile peut être interprété comme un moyen de valoriser l’objet en le rendant mystérieux et fascinant. Toutefois, à travers ce mode de représentation, transparaissent surtout les problématiques de notre propre culture face à la technique (rejet culturel, culte de l’automatisme et/ou vision instrumentale, etc.). Les modes de représentation du téléphone mobile dans les spots publicitaires en sont finalement aussi le reflet.
Spots des Nokia 8800, 3220, Sony Ericsson T68i.
Spots des Nokia 7110, Motorola StarTac.
G. Simondon, op. cit., pp 10-11.
C’est le cas dans le spot du Nokia 6280 où l’on passe d’un très gros plan à un plan d’ensemble. Ce spot n’a pas été retenu pour notre étude car sa période de diffusion excède celle choisie. Voir capture en annexe p. 381
In spot du Nokia 6210
In spot du Nokia 8210 Capoiera
In spot du Nokia 6600
Le spot publicitaire du Motorola ROKR (hors corpus pour des questions de dates) représente les titres musicaux contenus dans le téléphone en mettant en scène des chanteurs célèbres s’entassant dans une cabine téléphonique. Voir capture en annexe p. 382.
Voir « Les analyses du contenu des publicités sur les objets techniques contemporains » p.155-157.
Spots du Motorola Startac, du Nokia 8800 ou du Nokia 3220, Sony Ericsson T68i.
Georges Péninou, Intelligence de la publicité, Robert Laffont, 1972, p. 262.