Notre étude des modalités de représentation de l’objet téléphone mobile, nous a permis de relever un jeu fréquent sur l’échelle des plans dans les spots narratifs. La majorité de ces films procède, en effet, de la manière suivante : le produit promu n’est pas visible au début du spot ; il n’est montré qu’au milieu voire à la fin du récit. Lors de sa mise en visibilité, deux plans ayant un cadrage différent sont généralement juxtaposés. En prenant l’appareil téléphonique comme motif de l’échelle 692 , un plan d’ensemble (utilisateur avec son téléphone) est suivi d’un plan américain (clavier et écran) ou d’un gros plan sur l’objet de face (écran). Généralement ces plans s’enchaînent de manière simple et brutale (cut) 693 . La liaison entre ces deux plans passe par le changement de point de vue de la caméra : le cadrage le plus serré correspond à une image subjective ; le spectateur a l’impression de voir à travers les yeux du personnage/utilisateur.
Ajoutons que les spots analysés n’ont pas l’exclusivité de l’arrêt sur image représentant le produit en gros plan. Les publicitaires appellent ce type de plan « action timing » 694 . Il est couramment utilisé dans les spots pour d’autres produits 695 . Voici quelques exemples :
Cela dit, nous considérons que dans notre étude de cas, l’utilisation du gros plan subjectif a un effet particulier sur la construction de la signification et les représentations socio-techniques. D’une part, l’action timing est réalisée sur un appareil en cours d’usage. D’autre part, en « adoptant » le regard de l’utilisateur, le spectateur/consommateur se retrouve en quelque sorte en train d’utiliser le mobile. Nous pouvons supposer que ce choix de changement de cadrage participe aussi de la construction de l’illusion dénoncée par M. Legrand 696 .
Concernant les glissements relevés sur ce jeu de plans, une double précision est ici nécessaire. Premièrement, les gros plans sur l’appareil sont plus larges dans les spots diffusés avant 1999 que dans ceux diffusés après cette date ; ils montrent l’écran et le pavé de numérotation alors que dans les spots des années 2000, seul l’écran est visible 697 . Les plans larges montrant l’utilisateur avec le téléphone sont également nombreux. Les années suivantes ces plans sont moins fréquents. Deuxièmement le gros plan sur l’objet technique est plus fréquent dans les spots faisant la promotion de modèles comportant des fonctionnalités « images » (photographie, vidéo). Ces publicités utilisent aussi le très gros plan (cadrage sur le contenu animé dans l’écran du mobile). Le cadrage concourt dans ces cas à « effacer les marques » des médiations.
Cette évolution des cadrages illustre, à notre avis, une forme de « sacralisation culturelle » de l’image animée. Nous pouvons par ailleurs envisager l’augmentation des dimensions des écrans de mobiles comme un facteur explicatif. Toutefois, cette piste ne réfute pas l’hypothèse d’un travail sur le « pouvoir de fascination » de l’image animée. Il permet d’associer par métonymie la « vie » et l’appareil.
D’après la terminologie cinématographique, l’expression « motif de l’échelle » est plus appropriée que celle d’« unité de l’échelle ». En cinéma, la taille d’un plan correspond, en effet, au rapport de surface entre la dimension de l’image et celle du principal motif inscrit dans le cadre.
Précisons que dans les spots où la situation mise en scène est proche du conte de fée, le fondu enchaîné est préféré au cut.
C. Duchet, « La publicité en quête de sens ? », Actes du Xe colloque bilatéral franco-roumain, 1ère conférence internationale francophone en Sciences de l’Information et de la Communication, Bucarest, 28 juin–2 juillet 2003.
Idem.
Marc Legrand, op. cit., pp. 61-64.
Voir les exemples d’action timing dans les spots publicitaires sur le téléphone mobile ci-dessus.