A partir de notre travail de transcription des messages linguistiques (mentions écrites et paroles), nous avons pu remarquer que le mode de désignation de la catégorie d’objets, dont relève le produit promu, avait évolué.
Précisons au préalable que le produit promu est majoritairement désigné dans les spots par son nom de commercialisation (« Nokia 8110 » ou « Motorola V220 », « Ericsson T610 »…). Les annonceurs utilisent principalement sa désignation marketing. Ils veillent, en effet, à indiquer dans leur discours, le nom commercial de leur produit. L’objectif est de permettre une identification rapide lors de l’achat par les consommateurs potentiels. Cela dit, la signification de ces noms et de leur structure (chiffres et lettres) n’est pas socialement partagée. Leur composition n’est signifiante que pour les constructeurs ou les spécialistes (vendeurs, journalistes spécialisés, communautés de « fans »…). Une grande partie des utilisateurs ne connaissent pas les critères d’attribution de ces noms. Nous avons, en effet, interrogé plusieurs personnes (utilisateurs, fans, distributeurs…) afin de cerner les logiques qui sous-tendent ces appellations. Ces dialogues nous ont permis de comprendre que le choix des désignations dépendait, entre autres, du système d’exploitation du téléphone mobile et de sa forme (par exemple la lettre Z pour les téléphones à clapet chez Sony Ericsson). Toutefois, les hésitations de nos interlocuteurs, voire leur incapacité à apporter une réponse précise, soulignent l’opacité de ces dénominations. Dès lors, pourquoi les annonceurs utilisent-ils des appellations basées sur le fonctionnement de l’objet technique ? Est-ce le signe d’un manque d’inspiration des services marketing 706 ? Ou est-ce une stratégie promotionnelle pour mettre en exergue la technicité de ces objets (comme cela peut être supposé pour les produits du domaine de l’électroménager) ? Par ailleurs, depuis que Motorola a décidé de jouer sur le lexique (création de néologisme motivé morphologiquement : par exemple Motoleast 707 ou Motomessage 708 ), l’appellation du mobile promu reste toujours obscure (V360) ou difficilement prononçable (Motorazr, Motoslvr…). Ainsi sur la période étudiée, exception faite de Motorola, les noms des produits utilisés dans les spots publicitaires continuent à être basés sur la même logique : celle proche du fonctionnement de l’appareil.
L’évolution lexicale relevée se joue, en effet, à un autre niveau. Jusqu’au début des années 2000, les spots de notre corpus gardent la trace « d’hésitations terminologiques » quant à la désignation de la catégorie d’objet technique dont relève l’appareil promu. L’appellation « téléphone mobile » est loin de faire l’unanimité entre les trois annonceurs. Jusqu’à la fin des années 90, Nokia qualifie, en effet, ses appareils promus de « portatifs » 709 . Motorola parle à la même époque de « portable » et de « téléphone cellulaire » 710 . Seul Ericsson désigne en 1997 le GF788 par l’expression « téléphone mobile ». C’est cette dernière qui s’impose ensuite au cours des années 2000 711 . Cette généralisation s’effectue avec une légère nuance. Un seul des termes de cette expression soit « téléphone », soit « mobile » (de fait nominalisé), est employé. Autrement dit, le substantif absent est évoqué implicitement. En effet, isolé de leur contexte, chacun de ces signifiants peut renvoyer à une autre catégorie d’objets. Le terme téléphone peut ainsi évoquer un appareil fixe, filaire ou sans fil, etc. Le nom masculin « mobile » est aussi polysémique. Or, dès que ces termes sont associés aux noms des trois marques, le « téléphone » est implicitement mobile ; quant au « mobile », il correspond obligatoirement à un téléphone.
Ces glissements lexicaux soulignent deux phénomènes. Premièrement, à travers la réduction de l’expression « téléphone mobile » transparaît l’acquisition de la notoriété des trois marques dans ce secteur. Deuxièmement, les discours publicitaires gardent la trace des hésitations terminologiques précédant l’imposition d’une dénomination socialement partagée. Rappelons à nouveau la position de P. Flichy. Il précise que les hésitations terminologiques reflètent les représentations successives des concepteurs et des usagers. Les premières dénominations comme « radiotéléphone » et « téléphone cellulaire » renvoient à une conception technique de l’objet. Quant aux expressions comme « téléphone mobile » ou « téléphone portable », elles adoptent « le point de vue de l’utilisateur ». En France, contrairement à d’autres pays 712 , l’appellation reflétant le cadre d’usage s’est finalement imposée socialement. L’intérêt dans notre perspective est d’avoir pu mettre en évidence la présence de ces hésitations, glissements sémantiques, dans les discours publicitaires. Ces derniers reflètent donc, dans une certaine mesure, les représentations successives du mobile. A ce propos, nous considérons qu’opérer une analyse lexicale sur les discours publicitaires diffusés tout au long des années 90 pourrait être riche en enseignements. Notre rapide revue des publicités presse nous a, en effet, permis de constater que durant l’année 1991, Nokia employait le terme de « radiotéléphone » dans ses publicités presse françaises. Ce constructeur adoptait donc à cette époque une conception technique de l’objet.
Ainsi, les publicités apparaissent comme fortement liées au contexte d’insertion sociale d’un objet technique contemporain, à son devenir sociolinguistique.
Les noms des produits sont régulièrement des néologismes motivés. Voir C. Kerbat-Orecchioni, « Semiologie de la publicité », cours, 1997-1998, Université Lyon 2.
Spot publicitaire pour le Motorola V3.
Spot publicitaire pour le Motorola V360.
Ce terme est utilisé en 1997 dans le spot publicitaire pour le Nokia 3110. De surcroît, ce terme est aussi présent dans un spot diffusé en 1995, hors corpus.
Spot publicitaire du Motorola StarTac Addition diffusé en 1997.
Notre relevé a été combiné à une rapide observation des publicités presse rassemblées lors de notre phase d’exploration.
Par exemple, aux Etats-Unis et au Canada, c’est le terme « cellular » (cellulaire), c’est-à-dire une appellation basée sur le cadre de fonctionnement, qui s’est imposée.
Source : Le journal du téléphone, hors série, novembre 1991