Une autre évolution dans les modalités de représentation du téléphone mobile a pu être mise en évidence. Entre 1996 et 2006, nous avons pu constater que l’objet promu change progressivement de statut : il passe du statut d’objet défini par sa portabilité à celui d’appareil valorisé par sa « multifonctionnalité ». Ce constat peut paraître évident au vu de notre historique des évolutions techniques des mobiles. Toutefois, ce changement résulte de représentations particulières. Quels sont donc les éléments de mise en scène qui nous ont amenée à réaliser ce constat ?
D’une part, il se constate à travers le recensement des caractéristiques énoncées. La taille 714 , le poids 715 et la portabilité 716 sont des arguments récurrents dans les spots publicitaires jusqu’au début des années 2000. Par la suite, énoncer ces propriétés devient plus exceptionnel.
D’autre part, l’effacement se note par l’évolution de la mise en visibilité de certaines propriétés de l’appareil. Les spots publicitaires les plus anciens de notre corpus comportent souvent un plan montrant l’utilisateur en train de sortir l’appareil de sa poche ou un plan indiquant la présence du mobile dans un petit sac à main 717 .
Ces plans permettent, à notre avis, de souligner la taille de l’appareil (il tient dans une poche ou dans un sac) et sa portabilité (il peut être transporté sur soi). A partir de 2001, les plans montrant l’utilisateur sortant le téléphone de sa poche se font plus rares. En effet, dans les spots récents, nous avons pu recenser trois tendances :
Ainsi, ces variations de représentations tendent à rendre moins prégnant le raisonnement consistant à montrer le contenant du mobile (poche, sac) pour mettre en exergue sa portabilité.
Précisons néanmoins que les plans montrant le mobile tenu dans une main sont présents dans l’ensemble de notre corpus. Ces plans renseignent aussi sur la taille de l’objet (il tient dans une main). Toutefois, en observant plus en détail ces plans, l’analyste constate que dans les publicités les plus anciennes, la construction de l’image (cadrage, angle de vue, éclairage, position de la main...) cherche à mettre en valeur la dimension de l’objet promu. Pour illustrer notre propos, voici un comparatif des plans pour deux mobiles de même marque.
Au-delà de nos doutes quant à la correspondance des proportions (taille de la main par rapport à la taille du téléphone), les caractéristiques des plans (l’éclairage (ombre), le cadrage, la position de la main (à plat versus recroquevillée) et sa position dans le champ) ne mettent pas en valeur les même propriétés de l’objet promu. En effet, les plans pour le StarTAC permettent de comparer la taille de la main (principe du « mètre étalon ») à celle du mobile. La taille de l’objet est nettement mise en valeur. Dans le spot du V3, le pavé de numérotation et l’écran sont focalisés. Les caractéristiques mises en valeur se sont donc modifiées.
Troisièmement, recenser les plans comportant l’objet promu et leurs échelles permet de relever une dernière tendance quant aux modalités de représentation de l’objet technique. Nous avons décompté les plans par spot publicitaire. Notre objectif était d’évaluer le degré de présence de l’objet promu dans les films. Or ce décompte ne semble pas significatif. Voici les résultats obtenus dans le cadre de la marque Nokia.
Ce graphique n’indique pas une raréfaction quantitative de la présence du téléphone promu dans les spots publicitaires Nokia. Le constat est similaire pour les autres marques étudiées. En intégrant le paramètre de la durée des plans, les modifications ne sont pas non plus éloquentes. L’évolution des modalités de représentation se joue à un autre niveau. Elle se relève à travers l’étude du cadrage, du point de vue optique et de l’ocularisation 726 . Tout au long de notre corpus, les plans cadrés sur l’objet se resserrent. L’écran du mobile devient mis en scène comme un élément central. La focalisation sur ce composant est omniprésente. Elle tend à indiquer qu’il est devenu un attribut central du mobile. L’objet est donc moins défini par sa taille, sa portabilité que par ce qu’il permet de voir mais aussi de faire.
Exemples de références à la taille :
- l’utilisation de l’adjectif petit : « Startac le plus petit téléphone cellulaire de motorola » (diffusion 05/1997) ; « le GF788 un téléphone mobile si fantastiquement petit qu’il fait dire comme le monde est petit » (diffusion 05/1997) ; « le nouveau Nokia 6110 tout petit » (diffusion 02/1998) ; « Motorola V vraiment petit » (diffusion 09/1999) ;
- le recours à la métonymie de la poche : « avec un seul appareil qui tient dans votre poche » (Nokia 9110 diffusion 02/1999) ; « l’Internet de poche » (Motorola Timeport diffusion 03/2000).
Exemples de références au poids : « mince » (Nokia 8110) « c’est ce que nous avons enlevé » (Motorola StarTac diffusion 05/1997) ; « 253g seulement » (Nokia 9110 diffusion 02/1999) ; « vraiment léger » (Motorola V diffusion 09/1999)
Exemples de références à la portabilité : « notre premier portable » ((Motorola StarTac diffusion 05/1997) ; « StarTac toujours avec vous » (Motorola StarTac Bikini 09/1997 et Coup franc 10/1997) ; « le nouveau téléphone portatif » (Nokia 3110 05/1997)
Voir Motorola V Terrapin diffusion 09/1999.
Voir spots Nokia 9210 Communicator, Nokia 7650, Nokia N70, Nokia 3650 motobike, Nokia 7610, Sony Ericsson T610, Sony Ericsson Walkman, Sony Ericsson K750i, Motorola A1000.
Voir spots Motorola V360, Nokia 3650 engagement et snowboard.
Voir spots Sony Ericsson K700i, Motorola V220, Motorola C975,Nokia 6230 et 6230i.
In spot Sony Ericsson T610-630.
In spot Nokia 7260-7270-7280.
In spot Motorola C330.
In spot Motorola V220.
In spot Motorola SLVR.
L’ocularisation correspond au point de vue visuel. Il désigne « le rapport entre ce qui apparaît à l’écran et ce que les personnages de la diégèse sont censés voir ». In J. Bessalel, A. Gardies, « Ocularisation », op. cit., p. 153.