Le premier constat réalisé concerne la présence d’énoncés totalement identiques dans différents modes d’emploi d’une même marque. La formulation de phrases voire de paragraphes est conservée intacte d’un manuel à l’autre.
Pour illustrer notre propos, voyons de plus près les informations relatives à la sécurité dans les modes d’emploi de mobiles Nokia. Au cours de la période étudiée, le titre et le paragraphe d’introduction sont réitérés. Voici un extrait de cet énoncé récurrent :
Pour votre sécurité. Veuillez lire ces instructions simples. Il peut être dangereux voire illégal de ne pas respecter ces règles. Des informations détaillées sont fournies plus loin dans ce manuel 750 .
De même, plusieurs interdictions sont explicitées avec des phrases identiques. Par exemple, la recommandation relative à la mise hors tension du mobile dans les stations-essence est analogue. Sa formulation est la suivante :
Mise hors tension dans les stations-essence. N'utilisez pas votre téléphone dans une station-essence, ni à proximité de carburants ou de produits chimiques.
Elle figure à l’identique dans l’ensemble des manuels Nokia. Relevons néanmoins trois évolutions relativisant cet invariant.
La sécurité routière avant tout. N’utilisez pas de téléphone lorsque vous êtes au volant d’une voiture ; garez votre véhicule avant d’utiliser votre téléphone.
Au début des années 2000, la recommandation n’est plus formulée de cette manière. Le titre est conservé mais le manuel ne conseille plus à l’utilisateur de garer son véhicule. La désignation de l’objet technique, comme le pictogramme inspiré du code de la route illustrant la recommandation 752 ont aussi changé. Voici la nouvelle formulation :
La sécurité routière avant tout. N’utilisez pas de téléphone portatif lorsque vous êtes au volant d’une voiture.
Enfin, dans les modes d’emploi Nokia récents (dès 2004), le constructeur recommande indirectement l’utilisation d’un kit main libre :
La sécurité routière avant tout. Respectez toutes les réglementations locales. Gardez toujours les mains libres lorsque vous êtes au volant d’une voiture. Votre préoccupation première pendant la conduite doit être la sécurité sur la route.
La formulation adoptée est donc plus proche de celle de l’article R412-6-1 du code de la route publié le 1er avril 2003 753 . Les recommandations aux utilisateurs sur le comportement à adopter lorsqu’ils conduisent leur véhicule ont changé. La thématique « sécurité routière » est conservée (invariant) mais la nature des conseils donnés aux utilisateurs a évolué (variations).
Troisièmement, entre 1996 et 2006, la mise en pages et les pictogrammes restent sujets à des variations (nombre de colonnes, ajout de couleurs…). Les pictogrammes symbolisant une recommandation ont été modifiés à plusieurs reprises. Voici un exemple chronologique :
Dans notre perspective, l’intérêt ici est surtout de relever une rigidité du message linguistique vraisemblablement plus forte que celle des illustrations ou de la mise en pages. Autrement dit, les illustrations peuvent être modifiées sans changement du texte (cas des interférences). Lors de la conception des modes d’emploi, ces deux types de messages (linguistique et iconique) semblent être traités comme des informations indépendantes (modifications du texte et des pictogrammes distinctes dans le cas de la conduite).
En résumé, dans les modes d’emploi étudiés, nous avons relevé la présence d’une reprise d’énoncés, de paragraphes, d’illustrations entre plusieurs documents ayant une date de publication proche. Ce constat est valable pour les recommandations sécuritaires mais plus globalement pour l’intégralité des documents. Les trois constructeurs adoptent donc vraisemblablement une logique de mise à jour de leurs manuels. Celle-ci peut se faire en fonction de l’évolution des réglementations mais aussi en fonction de l’addition de fonctionnalités comme nous le verrons par la suite.
Entre ces documents, nous n’avons pas relevé de ruptures mais constaté des prolongements. Ce constat fait écho au mode d’élaboration de ce genre discursif précisé précédemment 754 : la rédaction des modes d’emploi de mobiles se réalise à partir de la documentation technique précédente. Chaque manuel est conçu, produit à partir des documents précédents.
De surcroît, constater une reprise d’énoncés linguistiques, indépendante des changements opérés sur les messages iconiques et plastiques (et réciproquement) tend à mettre au jour une forme d’autonomie dans le traitement de ces trois types de signes. En effet, bien que la construction de la signification globale d’un message soit liée à la combinaison des différents signes, l’axe paradigmatique de chaque catégorie est clairement marqué dans les manuels de mobiles. L’étude des schémas de présentation des portables renforce ce constat. D’un mode d’emploi à un autre, le modèle de mobile varie. Le dessin de présentation est modifié. En revanche, certaines légendes sont conservées. Au-delà de l’expression de la rigidité du cadre de fonctionnement 755 , ce constat montre, à notre avis, une forme d’autonomie dans le traitement de ces trois catégories de signes.
Au vu de notre problématique, constater la récurrence d’énoncés souligne une forme « d’inflexibilité » de ce genre discursif. Les modèles changent, se modifient mais leurs modes d’emploi conservent des énoncés linguistiques, des signes iconiques, etc. Ainsi, un modèle discursif est à l’œuvre. Que ce soit le fait des contraintes de production n’est pas la question essentielle dans notre perspective, nous estimons plutôt que cette stabilité du discours rend particulièrement significatifs les changements opérés sur le texte des modes d’emploi. Les modifications des recommandations concernant la sécurité routière en sont un exemple. La représentation du comportement que l’utilisateur doit adopter s’est clairement modifiée. Autrement dit, dans un document où le « recopiage » est récurrent, l’absence ou la modification d’un énoncé sont, de fait, encore plus révélatrices de l’intentionnalité d’une variation.
Extrait de modes d’emploi Nokia publiés entre 1996 et 2006.
Pour une exposition détaillée de ces changements voir p. 298.
Voir page suivante.
« L’usage d’un téléphone tenu en main par le conducteur d’un véhicule en circulation est interdit. Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe. Cette contravention donne lieu de plein droit à la réduction de deux points du permis de conduire » Article R412-6-1 du code de la route publié au journal officiel le 1er avril 2003.
Voir « Les modes d’emploi des téléphones mobiles : des prescripteurs d’usage », pp. 158-180.
La forme extérieure de l’objet technique varie mais le rôle de la plupart des touches reste identique.