Tous les manuels de notre corpus exposent les procédures à suivre pour émettre et recevoir un appel. Expliciter comment appeler et recevoir un appel constitue un thème transversal aux manuels étudiés. D’après ce constat, l’image récurrente véhiculée dans ces documents est celle d’un objet dont l’utilisation première consiste à « téléphoner ». L’ensemble des manuels sont unanimes : c’est l’un des premiers usages qu’il convient de décrire 757 .
Ainsi, contrairement aux spots publicitaires qui ne mettent pas toujours en exergue les fonctions d’appels, celles-ci restent un thème inhérent aux manuels d’utilisation. Dans ces documents, l’objet technique se définit donc surtout par ses fonctions d’appels. Il s’agit avant tout d’un objet conçu pour téléphoner. Constater la récurrence de cette thématique peut sembler anodin et relever de l’évidence. Néanmoins, cela contraste avec d’autres productions discursives entretenant une confusion entre le mobile et d’autres objets techniques. Les manuels étudiés véhiculent l’image d’un appareil dont la fonction première consiste à émettre et/ou recevoir des appels. Cette représentation est renforcée par le positionnement de l’exposition des fonctions d’appels qui précèdent généralement la présentation d’autres fonctions (photographie, musique, jeu…). Ajoutons que les références nominales « téléphone » et « appel » ont des fréquences particulièrement élevées dans ces documents (en moyenne entre 250 et 350 parfois plus de 500).
Précisons néanmoins que si la présentation des fonctions d’appels est inhérente aux modes d’emploi des mobiles, la nature des procédures à suivre et les informations données sur la situation varient. Certes, quelques actions restent récurrentes. Pour émettre un appel, tous les modes d’emploi énoncent la saisie d’un numéro puis l’appui sur une touche pour effectuer l’acheminement 758 . Toutefois les pictogrammes de touches et l’ensemble des étapes présentées diffèrent entre les marques et suivant les périodes. Par exemple, dans le mode d’emploi du T191 de Motorola, la saisie du code PIN pour activer le mobile est énoncée comme nécessaire à l’émission d’appel. D’autres manuels adoptent un mode de présentation supposant que le mobile est déjà activé. Dans le manuel du Nokia 8110 (1996), la description de l’émission d’appel ne comprend pas l’action de raccrocher son téléphone à la fin de la conversation téléphonique. Cette étape est pourtant intégrée dans les explications des modes d’emploi Nokia postérieurs. Le détail des étapes énoncées varie donc d’un manuel à l’autre. Les buts représentés sont communs (émettre un appel, recevoir un appel) mais l’intégralité des phases par lesquelles doit passer l’utilisateur diffère. Pour illustrer plus explicitement notre propos, voici la description de l’émission d’un appel dans quelques manuels Motorola :
La présentation de ces extraits appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, ils soulignent que la thématique « émettre un appel » est transversale. Ensuite, nous voyons, comme indiqué précédemment 759 , qu’entre deux manuels ayant des dates de publications proches (manuels V3688 et V2288) les variations discursives sont infimes ; la plupart des énoncés sont totalement identiques. Enfin, lorsque l’écart entre les dates de publications se creuse, nous relevons des différences significatives dans les explications données. La mise en pages et les pictogrammes changent, mais surtout nous constatons qu’entre 1999 et 2006, de moins en moins de problèmes éventuels, de pré-requis, d’options pour atteindre le but, d’informations sur les états de l’appareil…sont explicités. Ajoutons à ce propos que le manuel le plus ancien analysé (celui du Ericsson GF788 (1996) contient même un schéma qui montre comment tenir son mobile lors d’une conversation téléphonique.
Au milieu des années 90, la présentation des procédures pour émettre un appel offre une explication détaillée sur la manière de tenir son téléphone. L’absence de ce schéma dans les autres modes d’emploi Ericsson indique que l’utilisateur a vraisemblablement acquis ce savoir-faire les années suivantes.
Amplifier les intervalles temporels entre les manuels permet de relever des variations relatives à la représentation des savoirs et des savoir-faire nécessaires à transmettre, particulièrement intéressantes. Plus les dates de publications sont espacées, plus les différences entre les présentations sont importantes. Ainsi, émettre un appel avec son mobile n’est pas mis en scène comme une pratique évidente au milieu des années 90. Cette action est en revanche représentée comme une simple formalité au cours des années 2000.
En dépassant le cadre de notre étude, nous pouvons confirmer notre intuition grâce au travail de C. Bertho 760 . Il nous est possible de comparer la description de l’émission d’appel dans nos manuels à celle d’un guide d’utilisation des premiers téléphones automatiques (1920-1930).
Au début du 20ème siècle, la composition d’un numéro est une action sujette à un apprentissage. Cette procédure est détaillée, illustrée et explicitée pas à pas dans divers guides. Les manuels de notre corpus n’expliquent pas, quant à eux, comment positionner les doigts sur les touches pour composer un numéro d’appel. Ce savoir-faire est considéré comme un acquis. Nous pouvons de fait supposer que la représentation des mobiles dans les manuels dépend des savoirs et savoir-faire transmis auparavant, notamment ceux visant à guider l’appropriation des téléphones fixes.
En résumé, les fonctions d’appels sont présentées dans l’ensemble des modes d’emploi de mobiles (invariants), mais leur représentation varie en fonction des compétences supposées de l’utilisateur (variations). Ajoutons enfin que Nokia, Motorola et Ericsson respectent une chronologie similaire entre l’émission et la réception d’appel : « émettre un appel » précède toujours « répondre à un appel ». Nous pouvons voir ici l’expression d’une représentation linéaire de la communication téléphonique. L’organisation choisie dans les manuels reflète cette vision.
Précisons que la mise en marche (installation et assemblage) peut, quant à elle, être considérée comme le premier objectif commun à ces documents.
Relevons d’ailleurs que la manipulation suit généralement un ordre inverse lors de l’émission d’un appel à partir d’un téléphone fixe : décrocher puis composer le numéro.
Voir pp. 263-266 de ce manuscrit.
C. Bertho, op. cit., 1984, p. 141.