Comparer les schémas de présentation des modèles de mobile permet de constater une évolution de l’image de l’objet technique au cours des années 2000 : l’appareil semble devenir un support d’applications informatiques diverses. La présentation des fonctions de chaque touche devient, en effet, moins présente, manifeste, prégnante. Elle semble s’effacer au profit d’une exposition détaillée des rôles des indicateurs à l’écran ou de la position de l’appareil (ouvert, fermé, incliné…). Illustrons ce constat à l’aide d’une comparaison diachronique de quelques extraits de manuels Nokia. Les premiers manuels du constructeur finlandais débutent par une présentation du mobile, des fonctions de ses touches à l’aide d’un schéma d’ensemble, de face, légendé. Quelques témoins d’affichage (dessin représentant l’écran et pictogrammes légendés) sont ensuite décrits.
Précisons déjà que des modifications sont repérables entre ces trois présentations. En effet, entre 1996 et 2000, des composants ont été ajoutés : des connecteurs de casque et de chargeur, un port infrarouge, un bouton de réglage du volume. Certains changements apportés par les concepteurs transparaissent donc à travers l’évolution du contenu de ces présentations. La relation étroite entre l’appareil (sa conception, sa forme, ses caractéristiques techniques) et sa représentation graphique, dans son manuel d’utilisation, est par ailleurs évidente.
Les années suivantes, certains manuels Nokia ne débutent plus par une exposition détaillée des fonctions des touches de l’appareil. Le schéma légendé représentant le mobile de face a même parfois disparu. Le mobile devient mis en scène tel un support d’applications (manuel du Nokia 7650 ci-après) ou un objet polyvalent (manuel du Nokia N90 ci-après).
Ces deux présentations se différencient des précédentes dans la mesure où la mise en scène ne place pas au premier plan la description du rôle des touches de l’appareil. Dans le manuel du Nokia 7650, seule l’interface utilisateur (contenu écran) est graphiquement représentée. Le mode d’emploi du N90 insiste, quant à lui, sur les différentes positions de l’appareil en fonction de l’utilisation souhaitée.
L’intérêt pour notre problématique est d’interroger la signification de ces changements de mise en scène. Est-ce la marque d’une évolution des connaissances considérées comme nécessaires à transmettre ? Ou est-ce simplement la trace d’une évolution de conception de l’objet technique ? A notre avis, cette évolution traduit principalement un changement d’imaginaire technique. Le mobile n’est plus imaginé, pensé, conçu et donc présenté comme un radiotéléphone. Il devient conçu 781 et montré comme un terminal multifonctionnel.
Ajoutons que l’exposition de l’arborescence des menus, l’accroissement des schémas représentant l’écran (interface) ou des explications concernant les pictogrammes s’affichant sur l’écran concourent à faire de l’appareil un support d’applications (glissement du hardware 782 au software 783 ). Les modes d’emploi des trois constructeurs adoptent progressivement une exposition faisant du mobile un terminal, un support d’applications.
De surcroît, l’analyse lexicale à l’aide de Tropes permet de relever un glissement lexical significatif : l’accroissement de références nominales relevant du champ lexical de l’informatique (fichier, logiciel, joystick, clavier, écran…). Certes, le champ lexical des télécommunications reste très présent (téléphone, appeler…) mais les termes issus de l’informatique (soit des néologismes, soit des glissements sémantiques) deviennent de plus en plus usités ; au point d’en faire parfois selon Tropes, le premier champ lexical de référence des manuels 784 .
Ajoutons que le relevé des occurrences dans les modes d’emploi de mobiles permet de constater le développement de certains termes : par exemple, l’émergence de l’adjectif « infrarouge » et du nom « WAP » à la fin des années 90, le développement de références nominales comme « photo » et « image » au cours des années 2000. Le lexique reflète les évolutions de conception de l’appareil (développement de fonctions, ajout de touches…). A travers les changements lexicaux, des modifications opérées sur l’appareil transparaissent. Finalement, nous pouvons supposer que l’évolution de représentation constatée dans les manuels (passage d’un radiotéléphone à un terminal multimédia) constitue le reflet d’un changement d’image que les concepteurs ont, eux-mêmes, de l’appareil.
Le Motorola A 1000 (2005) ne possède pas de pavé de numérotation. Cette absence l’apparente à notre avis aux ordinateurs de poche.
Le hardware désigne le matériel informatique physique.
Le software désigne les logiciels et applications informatiques.
C’est notamment le cas dans les manuels de la série des mobiles professionnels Nokia (9110, 9210 Communicator), mais aussi dans les modes d’emploi du N70 et du 6680.