3°) L’image de l’utilisateur : évolution des représentations des savoirs et des savoir-faire nécessaires à l’utilisation du mobile

Les modes d’emploi mettent en scène un utilisateur de mobile à travers l’énonciation (position énonciative sujet/prédicat) et les compétences qu’ils lui confèrent. L’usager fait rarement l’objet d’illustrations graphiques. Les schémas représentent, en effet, généralement l’appareil ou ses composants seuls. Les manuels les plus anciens d’Ericsson (GF788 et GH688) constituent des exceptions. De même, les explications données sur la prise de photographies avec un téléphone mobile Sony Ericsson 797 comportent un dessin représentant le visage d’un utilisateur. Ce type de représentation reste néanmoins exceptionnelle.

Lors de notre présentation des invariants, nous avons expliqué que les manuels Nokia, Motorola et Sony Ericsson attribuaient globalement les mêmes rôles aux différents protagonistes (rédacteur, utilisateur, appareil). L’utilisateur est actif ; le rédacteur guide ses actions. En revanche, d’après notre analyse diachronique, les compétences de l’utilisateur ont évolué entre 1996 et 2006. Au cours de ces dix années, il a acquis un savoir et un savoir-faire concernant le téléphone mobile. Il n’est certes pas devenu un expert mais le rédacteur semble lui attribuer progressivement un ensemble de compétences dont il ne présupposait pas l’existence auparavant. Ajoutons que le rédacteur expose néanmoins de nouveaux savoirs à l’utilisateur, liés à l’adjonction de certaines fonctionnalités (système de connectivité) et applications (intégration de logiciels). Mais comment se manifeste cette acquisition de compétences ? Présentons quelques exemples afin d’illustrer notre propos.

Illustration 84. Représentations de la réception d’appel dans les manuels Nokia
Illustration 84. Représentations de la réception d’appel dans les manuels Nokia

L’explication donnée dans le mode d’emploi Nokia le plus ancien est riche en détails et en indications témoignant de l’état de l’appareil. Ces informations contextuelles ne sont plus présentes dans le guide du Nokia 3220. Ce dernier se contente d’exposer la procédure à suivre. De surcroît, l’objectif « rejeter un appel » a été agrégé au but utilisateur « répondre à un appel ». La présentation de cette utilisation devient presque anecdotique. Relevons aussi que la position du complément circonstanciel de but (en début de phrase) concourt à produire l’image d’un utilisateur qui agit selon un objectif fixé d’avance. La formulation dans le manuel du Nokia 8110 (action puis objectif) semble au contraire correspondre à l’exposition du rôle des composants de l’appareil.

Le constat de cette évolution de représentation vaut aussi pour les autres marques étudiées. Par exemple, comme nous avons pu le voir précédemment, dans les manuels Motorola V3688 et V2288 803 , mettre le téléphone sous tension, vérifier si la zone d’appel est couverte par le réseau, sont des opérations préalables à l’émission d’un appel. Ces étapes ne sont plus détaillées dans les manuels Motorola actuels. Elles constituent des actions dont la réalisation est désormais présupposée par le rédacteur. En ce sens, l’utilisateur représenté a acquis un ensemble de compétences à l’égard de certaines utilisations du mobile.

Précisons par ailleurs que les énoncés le plus souvent soumis à des « disparitions » sont des énoncés descriptifs relatifs aux états de l’appareil ou de la situation. Nous pouvons donc supposer qu’une partie de ces données a changé de support. L’interface du système d’exploitation peut être plus ergonomique et participer aussi à l’assistance de l’utilisateur 804 .

L’image de l’utilisateur dans les manuels de mobiles a donc évolué. Entre 1996 et 2006, il ne possède ni les mêmes savoirs ni les mêmes savoir-faire.

Notes
797.

Voir les manuels Sony Ericsson du T610, T630, K700, W550 et W800.

798.

Dans le glossaire du manuel du Nokia 3110 (1997) : « verrouillage du clavier : fonction empêchant l’utilisation accidentelle des touches » ; « renvoi d’appel : service de réseau permettant de diriger les appels entrants vers un autre numéro de téléphone ». Dans le corps du texte du manuel du Nokia 8210 (1999-2000) : « Le verrouillage du clavier empêche l’activation accidentelle des touches, par exemple lorsque le téléphone est dans votre poche ou votre sac » ; « renvoi appel : ce service permet de transférer les appels entrants vers votre boîte vocale (appels vocaux uniquement) ou vers un autre numéro ».

799.

Dans le manuel du Nokia 3220 (2005) : « pour verrouiller le clavier afin d’éviter toute activation accidentelle des touches » ; « pour renvoyer les appels entrants ». Dans le manuel Nokia N70 (2005) : « Pour verrouiller le clavier » ; « Le renvoi d’appel vous permet de diriger vos appels entrants vers votre boîte vocale… »

800.

Voir manuel du Nokia N70.

801.

Par exemple dans le manuel du Nokia 8110, les phrases suivantes sont présentes : « Le téléphone ne peut être utilisé qu’avec une carte micro SIM valide. Cette carte vous est fournie par l’opérateur de votre réseau ou par votre société de commercialisation de service » ; « Votre téléphone est alimenté par une batterie au lithium rechargeable »

802.

Voir aussi l’évolution des présentations de l’émission d’appel dans les manuels Motorola pp. 268-272.

803.

Voir p. 269 de ce manuscrit.

804.

Voir D. Boullier, « Aide-toi, l’aide t’aidera. Prise et emprise dans les aides homme-machine », Intellectica, 2006/2, n° 44, pp. 17-44.