3°) Des reflets du changement de statut social du mobile : d’une innovation vers un objets de consommation courante
Les résultats de notre étude paraissent aussi corrélatifs au changement de statut social du téléphone mobile. Au cours des années 2000, le téléphone mobile s’est banalisé
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. Plusieurs variations de l’imagerie peuvent être mises en relation avec la banalisation de cet objet technique. Par ailleurs, ce phénomène de banalisation étant consubstantiel à l’augmentationdu taux de pénétration et au développement des pratiques, les liens envisageables sont évidemment proches de ceux présentés précédemment.
- Tout d’abord, les variations lexicales relevées nous semblent relatives à ce changement de statut. Les hésitations terminologiques qui précèdent l’imposition de dénominations communes reflètent un phénomène de stabilisation autour d’une vision, d’une définition sociale de l’objet.
- Ensuite, comme nous l’avons expliqué précédemment
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, l’évolution des savoirs et savoir-faire représentés dans les mode d’emploi (présence/absence) tend à indiquer le développement de connaissances à l’égard de cet appareil. Il n’est plus un objet de curiosité.
- Enfin, l’évolution des arguments publicitaires peut être explicitée par la modification du statut social du mobile. La disparition de l’argumentaire « utilitaire » à la fin des années 90 nous paraît trouver une justification dans le phénomène de banalisation de l’objet technique. Rappelons qu’à la fin de l’année 1999, le taux de pénétration du mobile en France dépasse les 34%. D’après la classification d’E. Rogers, les individus qui s’équipent, relèvent de la première majorité. Le gouffre de G. A. Moore, moment-clé dans la diffusion d’une innovation, a été franchi. Nous pouvons alors supposer que démontrer l’utilité du mobile, légitimer son existence devient à partir de cette période superflu ; le mobile s’est banalisé. De même, le développement de l’argumentaire du « plus produit » mettant en avant la polyvalence de l’objet peut être explicité par le tassement de la diffusion en 2001. L’objectif publicitaire n’est plus uniquement de convaincre des individus jusqu’à ici « réfractaires » à s’équiper. Il faut aussi persuader les abonnés de renouveler leur équipement. L’évolution de l’argumentation publicitaire semble donc relative à la trajectoire sociale du mobile. Cela dit, ces hypothèses n’ont, en elles, rien d’exceptionnel. Nous avons déjà indiqué que les services marketing se tiennent informés de la situation du marché. Un autre constat nous semble en revanche plus intéressant. Selon plusieurs écrits concernant les discours d’accompagnement
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, la phase d’incertitude du devenir des innovations est plus propice aux rêves et aux utopies. Or les résultats de notre étude indiquent au contraire que, dans le discours publicitaire, cette logique est inversée. L’objet devient source de fantasmes et de mythes lorsqu’il s’est banalisé. Nous n’assistons pas dans les publicités à un phénomène de désacralisation de l’objet par une confrontation aux pratiques mais à un « ré-enchantement » face à la banalisation.
En résumé, les variations de représentations dans les publicités et les modes d’emploi semblent relatives à la banalisation du téléphone mobile au cours des années 2000. S’appuyant sur le « connu », l’évolution de ces deux discours montre une volonté des équipementiers de renouveler sans cesse l’association imaginaire du téléphone mobile avec « l’inconnu », d’éviter qu’il ne devienne un objet technique banal. Est-ce le moyen de conserver sa contemporanéité ? De l’empêcher de perdre symboliquement son statut d’innovation ?
Notes
833.
Voir « Les approches ethnographiques des usages du téléphone mobile en France », pp. 110-121.
834.
Voir l’explication proposée sur les relations entre l’évolution du taux de pénétration et l’évolution des savoirs et savoir-faire représentés dans les modes d’emploi ci-dessus.
835.
In P. Mallein et Y Toussaint, art. cit. Voir citation p. 182.