Chapitre 1-La proto-industrialisation toilière : croissance et crise.

D’après Alain Dewerpe, « la proto-industrie est une activité de zone de contact » 189 . La pluriactivité a gagné les campagnes du Bas-Dauphiné bien avant le XIXe siècle, avec l’essor de la Fabrique voironnaise de toiles et la formation d’une « nébuleuse » proto-industrielle. La nébuleuse toilière du Bas-Dauphiné connaît une croissance exceptionnelle tout au long du XVIIIe siècle. La présence de la famille Perier n’est pas étrangère à cette éclatante réussite. La Révolution brise momentanément cet élan. Pourtant, la prospérité revient rapidement au début du siècle suivant. Les foyers proto-industriels secondaires du Bas-Dauphiné n’ont pas le même destin. Dès la fin de l’Ancien Régime, ils traversent une crise languissante qui les marginalise 190 .

La Fabrique de Voiron est entre les mains d’une douzaine de maisons de négoce, la plus importante jusqu’au début du XIXe siècle étant celle de la puissante et influente famille Perier, de Grenoble. Autour d’elle, gravite une poignée de négociants chargés de défendre ses intérêts sur la place : les Tivollier , les Roux… Parmi les maisons de premier ordre, on relève celle des Denantes , des Faige-Blanc ou encore des Allegret.

Jusqu’aux années 1830, la nébuleuse voironnaise conserve à peu près les mêmes structures et la même organisation, dominée par les mêmes familles de négociants. La nébuleuse toilière du Bas-Dauphiné fonctionne selon le principe du kaufsystem, dans lequel le tisserand à domicile doit lui-même se procurer la matière première et se charge de vendre son produit fini à un négociant. Contrairement au verlagsystem, une telle organisation accorde davantage d’autonomie au producteur et une plus grande initiative.

En quoi assiste-t-on à la formation d’une atmosphère propice aux affaires et à l’esprit d’entreprise à Voiron ? Comment l’activité toilière parvient-elle à résister aux mutations de la demande ? Quels sont ses atouts et ses faiblesses ?

La fabrication des toiles s’organise selon un schéma proto-industriel déjà éprouvé dans d’autres régions : elle associe l’espace rural et l’espace urbain, selon un rythme saisonnier. Le cœur de la nébuleuse toilière est installé à Voiron où règne un milieu négociant actif et solidaire. Enfermés dans des idées passéistes, ces négociants ne perçoivent pas l’ampleur des défis qu’ils ont à relever pour résister à la crise qui s’abat sur l’industrie toilière dans la première moitié du XIXe siècle.

Notes
189.

DEWERPE (A.), 1985, p. 84.

190.

Voir LEON (P.), 1954a. Sur ces foyers marginaux, nous renvoyons le lecteur à l’étude de Pierre Léon.