À la fin du XVIIIe siècle, les négociants en toiles de Voiron avaient l’habitude d’envoyer leurs enfants à Belley, dans le Bugey, chez les Joséphites, plutôt qu’en pensionnat à Grenoble, qui jouit alors d’une mauvaise réputation. Ainsi, entre 1770 et 1792, sur les douze élèves originaires de Voiron inscrits au pensionnat bugiste, huit sont fils de négociants en toiles. En moyenne, ils passent trois années en pensionnat et en sortent vers douze ans, au plus tard 316 . Le collège de Voiron, fondé par les Augustins en 1760, ne se maintient que treize années avant de fermer ses portes.
Au début du XIXe siècle, les élites négociantes voironnaises confient leurs héritiers au nouveau lycée impérial puis royal, de Grenoble 317 . Les Jubié choisissent une autre voie : il est probable que Pierre-Fleury et son frère ont bénéficié eux aussi d’une éducation secondaire dans un collège, soit en Dauphiné, soit à Paris. Mais avant d’intégrer le corps des inspecteurs des manufactures, ils ont reçu un apprentissage comme élèves auprès d’autres inspecteurs pendant environ deux années. Puis la visite d’établissement a pu les renseigner sur les différentes techniques usitées dans le travail de soie, dans différentes régions 318 .
Les négociants, pour assurer le succès de leurs ventes, n’hésitent pas à circuler sur les routes européennes. La tâche en est le plus souvent confiée au fils de la maison qui se familiarise ainsi avec les pratiques commerciales (négociation, vente…) tout en (re)nouant des réseaux commerciaux. Cela lui permet de se faire connaître auprès des principaux acheteurs en vue de se préparer à reprendre ultérieurement l’affaire familiale. Le chef de famille reste, quant à lui, à Voiron , après avoir lui-même, étant plus jeune, sillonné les routes et les foires. Ainsi, alors que la période révolutionnaire s’achève, Sulpice II Calignon se rend en Espagne pour y traiter des affaires, tandis que son père reste à Voiron. Joseph Calignon , le frère aîné de Sulpice, part s’établir quelques années à Genève au début de l’Empire comme négociant, probablement pour y représenter sur place la firme Calignon, avant que le marché helvétique ne se ferme définitivement aux toiles voironnaises 319 . Les trois foires et les cinquante marchés annuels qui se tiennent à Voiron attirent cent trente et un mille étrangers, sans compter les voyageurs de commerce 320 . Cette tradition, largement en vogue au XVIIIe siècle dans toutes les places négociantes du royaume, se maintient dans la première moitié du XIXe siècle à Voiron. Chez les Faige-Blanc, une autre famille de négociants, le jeune Frédéric, futur maire de la ville, apparaît comme « voyageur de commerce » à l’occasion de son mariage en 1837 avec la fille d’un de ses confrères, Jérémie Roux . À la même époque, chez les Denantes , c’est le cadet, Guy-Joseph , qui fait office de voyageur de commerce au service de l’entreprise familiale, mais il n’est pas le seul à occuper un tel poste : pour vendre leur production croissante, les Denantes ont engagé d’autres voyageurs de commerce 321 .
Mais, à partir de la Restauration, le temps des grands voyages semble définitivement révolu pour les négociants, avec la dislocation du réseau international des Perier et avec la perte des marchés étrangers. Désormais, leur horizon se limite surtout à un territoire proche de Voiron , Grenoble inclus, et à Beaucaire.
JULIA (D.), 1995, p. 225.
FRIJHOFF (W.) et JULIA (D.), 1976.
MINARD (P.), 1998, pp. 119-129.
ADI, L261, Passeport du 12 floréal an VI, L262, Passeport du 2 ventôse an VII et 3Q43/231, Mutation par décès de Sulpice Calignon père, le 26 décembre 1809.
Bulletin de la Société de Statistiques, de Sciences naturelles et des Arts industriels du département de l’Isère, tome 1, Séance du 4 mai 1839, p. 127.
ADI, 3E29236 et 3E29240, Contrats de mariage du 3 janvier 1835 et du 22 mai 1837 devant Me Neyroud (Voiron ). Sur le développement des voyageurs de commerce, voir GAYOT (G.), 1998, pp. 403-405.