Aucun négociant en toiles ne rivalise avec la fortune des Perier. À la fin du XVIIIe siècle, les négociants les plus riches gravitent dans l’entourage de Claude Perier , comme François Tivollier et Charles-Alexandre Pascal. Les autres possèdent souvent des fortunes médiocres.
À la fin de l’Ancien Régime, à l’instar de ses confrères, Jacques Denantes semble connaître des années particulièrement fastueuses, grâce à la très forte croissance des ventes de pièces de toiles. Il investit, comme tant d’autres, ses profits dans diverses propriétés foncières. En 1780, il acquiert de la comtesse de Sénozan le domaine de Morges, à Coublevie , près de Voiron , puis deux ans plus tard, il achète une vaste propriété à Recoin (La Bâtie-Divisin), une terre à Tolvon l’année suivante. Enfin, au début de l’année 1787, il s’offre une grande maison, située sur l’une des places centrales de Voiron pour symboliser sa réussite, et vendue par l’ordre des Augustins. Il possède en outre un second domaine à Coublevie. Pourtant, la maison Denantes subit durement la tourmente révolutionnaire : dès la fin de l’année 1791, les Denantes se séparent de quelques biens immobiliers : les domaines de Morges et de Recoin sont cédés pour 139.000 livres, puis un autre domaine situé à Chimilin est vendu lui aussi en l’an VI pour 30.000 francs. Une des propriétés acquises des Augustins en 1788 est vendue pour 20.000 livres la même année. À son décès en l’an IX, Jacques Denantes laisse à ses trois enfants une fortune amoindrie d’environ 50.000 francs, après avoir pris soin, toutefois, d’avantager son fils Marc-Antoine par la donation de ses biens immobiliers 363 .
Négociants | Lieu | Fortune en livres |
Claude Perier | Grenoble | 1.500.000 |
François Perier-Lagrange | Grenoble | 300.000 |
François Tivollierpère | Voiron | 250.000 |
Jacques Randonfils | Voiron | 160.000 |
Charles Pascal | Voiron | 120.000 |
Charles-Désiré Berlioz | Pont-de-Beauvoisin | 120.000 |
François Roux | Voiron | 90.000 |
Jean-Baptiste Faige-Blanc | Voiron | 70.000 |
Sulpice Calignonpère | Voiron | 60.000 |
Jacques Denantes | Voiron | 60.000 |
Marc Denantes père | Voiron | 50.000 |
François-Jacques Tivollier fils | Voiron | 50.000 |
Antoine Jacquemet | Voiron | 40.000 |
Antoine Bonnet | Voiron | 35.000 |
Antoine Randon | Voiron | 30.000 |
Césaire Albin Allegret | Voiron | 25.000 |
Jacques Monnet-Daiguenoire | Voiron | 18.000 |
Les hommes d’affaires du textile qui paient l’impôt foncier le plus élevé, sont quasiment tous issus de vieilles familles de la bourgeoisie d’affaires. Beaucoup ont hérité de leur entreprise et/ou de leurs biens fonciers. Les Constantin de Chanay avec 1.029 francs ou les Pasquier de Franclieu avec 1.184 francs d’impôts, illustrent parfaitement la présence de cette emprise nobiliaire sur le marché foncier en Isère. Si les hommes d’affaires du textile semblent s’intéresser avec modération à ce type d’investissements, leurs confrères papetiers et sidérurgistes les apprécient fortement. Ainsi, les négociants en toiles les mieux lotis d’un point de vue immobilier appartiennent à des familles négociantes déjà bien établies à la fin du XVIIIe siècle, soit un demi-siècle plus tôt. La vente des biens nationaux est l’occasion pour quelques hommes d’affaires de se constituer des domaines fonciers à bon compte. François Tivollier et son confrère Marc Denantes profitent des déboires conjugaux de Joseph-Marie de Barral , ancien seigneur de Montferrat, pour acquérir une grande partie de ses terres 364 . Ce dernier doit se séparer de ses biens afin de rembourser la dot de son épouse dont il divorce. En 1794, la vente rapporte 490.000 livres dont 167.000 livres pour Tivollier, parent des Perier, et 24.000 livres pour Denantes 365 . Aucun ne peut néanmoins rivaliser avec la propriété aristocratique si l’on retient comme critère cette source fiscale.
Les négociants en toiles forment un monde clos qui se renouvelle peu entre la fin de l’Ancien Régime et la Restauration. Le pouvoir appartient aux mêmes familles et aux mêmes individus. Formant un groupe restreint, les négociants vivent largement sous la coupe des Perier. Commercialement, ceux-ci tiennent le « haut du pavé ». Pourtant, les négociants imposent leurs vues sur la place voironnaise et contrôlent le trafic des toiles. Ils ont su mettre en place une organisation assez souple qui leur garantit la maîtrise de l’activité locale.
ADI, 3E3899, Donation de Jacques Denantes devant Me Allegret (Voiron ) le 18 avril 1791, 3E1392/12, Vente devant Me Perrin (Voiron) le 20 décembre 1791, 3E29162, Vente devant Me Michal (Voiron) le 25 juillet 1793, 3E29164, Ventes chez le même notaire les 8 et 21 frimaire an VI, 3Q43/226, Mutation par décès du 4 prairial an IX.
Mais, il semble que la bourgeoisie négociante de Voiron est investie de façon marginale dans les biens nationaux (sauf les partenaires des Perier, les Tivollier et les Roux) en Isère, par rapport aux négociants stéphanois par exemple. Voir VERNEY-CARRON (N.), 1999, pp. 65-66.
BELMONT (A.) et BIGAND-ESPAREL (P.), 1988.