Dès la fin du siècle des Lumières et au début du siècle suivant, la France se couvre de filatures et de tissages de coton. À côté de noyaux solides et bien organisés comme l’Alsace 473 et la Normandie, des centres cotonniers secondaires, voire marginaux, surgissent et disparaissent progressivement après 1830 474 .
Le centre dauphinois d’impression est loin d’offrir les caractéristiques de ses rivaux alsaciens ou normands. Ces derniers rassemblent des dizaines d’entreprises sur un territoire clairement délimité. Au début du XIXe siècle, le centre dauphinois, et dans son sillage le voisin lyonnais, font pâle figure. En Dauphiné, seules trois manufactures d’impression ont survécu à la tourmente révolutionnaire, mais elles ne forment pas un centre concentré. Outre Perrégaux, à Jallieu , encore mal en point sous l’Empire après sa mise en faillite, il existe un établissement à Saint-Symphorien-d’Ozon, près de Lyon, fondé en 1785 et dirigé par un Suisse, Haas, mais il n’emploie qu’une cinquantaine d’ouvriers. Haas imprime, bon an, mal an, quatre mille pièces de coton. La seule manufacture d’impression à réellement prospérer est celle d’Augustin Perier , à Vizille , avec ses trois cent quarante-neuf ouvriers et une production d’environ neuf mille pièces par an. Ses gérants ont su diversifier leurs sources d’approvisionnement en toiles écrues (Inde, Suisse, Beaujolais, Rouen) et leurs débouchés pour les écouler (Lyon, Marseille, Bordeaux, Suisse, Sud-est de la France) 475 .
À travers l’étude du centre cotonnier du Bas-Dauphiné, il s’agit de s’interroger sur les conditions de son installation en Bas-Dauphiné ainsi que sur les raisons de son échec. Plus que la mutation des marchés – le secteur cotonnier connaît une croissance exceptionnelle, ainsi que l’industrie de la soie dans la première moitié du XIXe siècle – il faut ici s’intéresser à la construction sociale de cette branche d’activité 476 . Grâce à l’analyse des réseaux d’affaires de la famille Perrégaux, on doit pouvoir cerner et comprendre ces échecs. Pour expliquer le développement d’une activité industrielle, l’historiographie avance souvent comme arguments la présence d’atouts naturels, la mobilisation de capitaux importants, les mutations technologiques et la croissance de la demande. Le centre cotonnier de Bourgoin et Jallieu a bénéficié de tous ces éléments et pourtant, il se classe au mieux parmi les centres de troisième ordre. Les chutes d’eau existent, des investisseurs suisses comme Pourtalès et Debar ont investi des centaines de milliers de francs sur place et ils ont même réussi à attirer une main d’œuvre qualifiée en provenance de Neuchâtel , d’Alsace… Enfin, l’industrie cotonnière française connaît un fort développement pendant tout le XIXe siècle, malgré quelques crises.
Pourquoi, dans de telles conditions, le centre cotonnier du Bas-Dauphiné ne parvient-il pas à se développer comme ses rivaux roannais, normands, alsaciens ou nordistes ? À travers la construction sociale 477 de l’industrie cotonnière locale et les liens familiaux 478 , des éléments de réponses surgissent pour expliquer cet échec relatif.
Le centre cotonnier du Bas-Dauphiné tire son origine de l’installation de Suisses à Jallieu en 1787. Ils construisent une manufacture d’impression sur étoffes. Dans un second temps, après une période trouble, les Perrégaux cherchent à développer leur affaire par la constitution d’une entreprise intégrée, mais à partir des années 1830, leurs projets de croissance sont stoppés. Le foyer cotonnier du Bas-Dauphiné pèse alors peu en comparaison de ses rivaux anglais et alsaciens, malgré des efforts d’adaptation.
HAU (M.), 1987.
Par exemple TERRIER (D.), 1996, pp. 158-161.
ADI, 138M2, Enquête industrielle, sd [vers 1810].
Voir McGUIRE (P.), GRANOVETTER (M.) et SCHWARTZ (M.), 1993.
McGUIRE (P.), GRANOVETTER (M.) et SCHWARTZ (M.), 1993.
À titre d’exemple, voir MONTEL (N.), 2001.