4-Le tissage Allard & Caffarel .

Grâce à l’argent qu’il a retiré de son association avec Debar , Fritz Perrégaux finance la construction de son tissage mécanique de coton, à Jallieu , à côté de sa manufacture d’indiennes. L’établissement est mû grâce à l’énergie hydraulique fournie par le canal Mouturier. Cependant, les investissements de Fritz Perrégaux dans le tissage et dans l’impression sur étoffes fragilisent le patrimoine familial. À l’été 1846, il récupère 140.000 francs de la vente de terrains et d’immeubles à Lyon appartenant à sa femme 577 .

Sans que l’on sache si Fritz Perrégaux les pousse à créer un tissage de coton à Jallieu , ses deux neveux par alliance, François-Joseph-Laurent Allard et Antoine-Clément Caffarel 578 , tous deux mariés aux filles de Maurice Robin, entreprennent à leur tour de construire en 1828 un tissage mécanique de coton, en amont de sa manufacture d’impression, le long du canal Mouturier. Evidemment, cette nouvelle construction ne peut que servir le dessein de Perrégaux qui trouve ainsi à la fois de nouveaux débouchés pour la filature Debar , à La Grive , et pour sa propre manufacture d’impression. En 1828, les deux jeunes gens rachètent pour 20.000 francs à leur beau-père un moulin que celui-ci avait acquis deux ans plus tôt. Après la construction du tissage, un bâtiment à deux étages, ils installent une centaine de métiers à tisser mus grâce à l’énergie hydraulique, soit un investissement total pour Allard et Caffarel, qu’on peut estimer entre 90 et 100.000 francs au minimum 579 . Il n’est pas certain que cette affaire rapporte aux intéressés les bénéfices que leur faisait miroiter Perrégaux : depuis quelques mois déjà, l’ensemble de l’industrie cotonnière connaît une crise de surproduction.

Dix ans après la construction de son tissage, Allard se retire et cède ses parts à Jean-Marie-François Caffarel , le père de son associé. Le tissage est à cette occasion évalué à soixante mille francs (dont la moitié pour Allard), somme dérisoire si on la rapporte à ce que coûte une fabrique à l’époque. Depuis dix ans, les deux associés accumulent les pertes financières, à tel point que Caffarel a dû avancer 60.000 francs à Allard quelques mois auparavant pour renflouer la trésorerie de l’entreprise. Jusqu’en 1845, les Caffarel, le père et le fils, possèdent la totalité du capital du tissage. Au décès du premier, Antoine-Clément doit racheter les parts qu’il ne possède pas, à ses frères et sœurs pour 81.700 francs. Il est parvenu à redresser les comptes de son affaire, grâce également à un contexte économique favorable, ce qui explique la forte croissance de la valeur de l’affaire en sept ans 580 .

Dans les années 1840, Caffarel s’approvisionne en filés surtout auprès de Debar (à 75%) et en Alsace. Avec ses métiers mécaniques, il réalise alors un chiffre d’affaires de 155.000 francs environ, soit une production de sept mille calicots de quarante mètres. Caffarel écoule une partie de sa production de calicots chez son voisin et parent, Perrégaux pour alimenter sa manufacture d’impression, mais il destine également une autre partie de sa production à Gallien , un imprimeur lyonnais 581 .

La fabrique Caffarel & Allard, par ses dimensions – elle ne comporte que deux étages – ne peut prétendre rivaliser avec le gigantisme anglais et alsacien. Construite en pierres, elle abrite au rez-de-chaussée et au second étage les principaux ateliers de tissage, avec respectivement 56 et 40 métiers mécaniques mus par une roue hydraulique, via des engrenages et des rouages en fonte. Au premier étage, il n’y a qu’un petit atelier de tissage équipé de seulement huit métiers et l’atelier de dévidage. Par sa toiture « à la Philibert Delorme », l’édifice se distingue des traditionnels toits dauphinois. Chaque étage est déjà éclairé au gaz. Pour diriger au mieux son nouvel établissement, Allard en profite pour faire édifier sa maison à proximité 582 .

L’intégration voulue par Fritz Perrégaux atteint le niveau de ses confrères de Lowell ou de Manchester : à La Grive , le tissage et la filature sont effectivement réunis dans le même bâtiment, mais la manufacture d’impression est éloignée de quelques kilomètres de cet établissement. Les Tissages Perrégaux et Caffarel sont, en revanche, localisés à quelques mètres seulement des tables d’impression.

Notes
577.

ADI, 3E14138, Affectation hypothécaire devant Me Chenavas, à Bourgoin , le 14 juillet 1846.

578.

Antoine-Clément Caffarel naît à Grenoble le 22 avril 1801. Son père, Jean-Marie-François, conseiller à la Cour royale de Grenoble, avait déjà entretenu des relations d’affaires avec les Perrégaux au début du siècle, en achetant aux enchères puis en leur louant leur ancienne manufacture d’impression alors en faillite. Caffarel siège au conseil d’administration de la Caisse d’épargne de Bourgoin entre 1836 et 1863. Elu maire de Jallieu , Antoine-Clément Caffarel siège également au Conseil d’arrondissement entre 1853 et 1861 puis de nouveau à partir de 1864. En 1855, il vend son affaire à Louis-Emile Perrégaux . Son fils, officier de carrière, est compromis dans « l’affaire des décorations » en 1886, ce qui obligea la famille à changer de nom.

579.

CHASSAGNE (S.), 1991, pp. 466-470. Le tissage Allard & Caffarel abrite une centaine de métiers à tisser. S. Chassagne estime le coût d’un métier à 300 francs environ, soit un investissement de 30.000 francs pour les deux associés.

580.

ADI, 3Q4/616, Enregistrement le 4 février 1828 d’une vente sous-seing privé du même jour, 3E14120, Vente et obligation devant Me Chenavas (Bourgoin ) le 24 avril 1838, 3U1/744, Tribunal de Grenoble, Licitation du 10 janvier 1845, ROJON (J.), 1996, pp. 22-23.

581.

ADI, 162M10, Statistiques industrielles en Isère, sd [1840-1850], LEVY-LEBOYER (M.), 1964, p. 62.

582.

ADI, 3U1/744, Licitation des biens de Caffarel père le 10 janvier 1845.