3-Le paternalisme cotonnier.

La première cité industrielle voit le jour entre 1834 et 1836, dans le hameau de La Grive , à Bourgoin, à l’instigation du propriétaire et du gérant – protestants – de la filature de coton, Samuel Debar et Frédéric Loeber 604 . Confrontés à un important turnover parmi leur personnel qualifié, souvent étranger à la contrée, ils espèrent, grâce à cette offre de logements, parvenir à stabiliser une main d’œuvre particulièrement mobile :

‘« Je me suis calmé et consolé, tout en étant pas sans noir pour l’avenir, surtout à cause de ce malheureux personnel. Il manque encore une large pierre à la fondation de la prospérité de l’établissement, ce sont les logements, chose capitale et indispensable qui aurait dû se faire dès le principe » 605 .’

Une première tranche de treize maisons mitoyennes est construite en 1834, puis une seconde deux ans plus tard, dans la rue en pente qui conduit à leur usine, en contrebas du hameau. Le projet n’a rien d’original. Par leur architecture, ces maisons rappellent celles de la cité ouvrière édifiée par Arkwright à Cromford, dans North Street soixante ans plus tôt. De même, leur disposition, dans une pente, peu pratique, s’inspire de celle de Mile Ash Lane, à Darley Abbey, réalisée par Thomas Evans en 1796 606 . La proximité d’une carrière de pierres sur la commune voisine de Saint-Alban-de-Roche , permet, grâce aux largesses de Debar , de les construire dans ce matériau, plutôt qu’en terre : cela lui coûte tout de même 55.000 francs. D’emblée, les toitures sont recouvertes de tuiles. Chaque maison comporte un étage au dessus du rez-de-chaussée, mais la faible largeur de chaque maison laisse supposer qu’il n’y a qu’une ou deux pièces par niveau, avec la chambre à l’étage. En 1836, la nouvelle cité ouvrière abrite déjà quatre-vingt-dix ouvriers de la filature 607 . La présence dans les familles ouvrières logées ici par la filature, de veloutiers à domicile entraîne inévitablement l’installation d’un métier à bras dans ces maisonnettes au milieu du siècle, comme chez les paysans des alentours. Quelques ouvriers ont la possibilité d’acquérir à terme leur logement 608 . Debar offre également à son personnel une assistance inégalée dans le Bas-Dauphiné, voire novatrice, puisqu’il fait installer rapidement une infirmerie (tenue par des religieuses avec la présence d’un médecin), deux écoles, l’une pour les garçons, dirigée par un instituteur, l’autre pour les filles, tenue par des religieuses, après le vote de la loi de 1841 sur la limitation du travail des enfants, et un pensionnat pour ses ouvriers célibataires 609 .

Pour concevoir cette cité, Debar et Loeber s’inspirent des modèles anglais et alsaciens qu’ils ont rencontrés au gré de lectures et surtout de voyages dans l’est de la France. Chez Perrégaux, le paternalisme est construit sur des relations moins artificielles : il repose sur les liens communautaires qui existent entre les Perrégaux et les ouvriers protestants.

Notes
604.

Originaire d’Erfurt (Saxe), Loeber est engagé par Debar en 1829 comme gérant de son établissement de La Grive . Il épouse en 1843 Marie-Victoire Voisin, parente d’un papetier installé à Jallieu .

605.

AMBJ, Lettre ms de Loeber à Debar , le 30 août 1833.

606.

CHAPMAN (S. D.), 1996, pp. 112-139.

607.

ACB, Registre de recensement de la population de Bourgoin , 1836.

608.

LEQUIN (Y.), 1977, vol. 2, p. 115.

609.

ADI, 162M10, Rapport de l’inspection du travail des enfants dans les manufactures le 12 juillet 1853 destiné au sous-préfet de l’arrondissement de La Tour-du-Pin , APYVM, Bilan de La Grive , 1842 (frais d’école).