Chapitre 3-Les lentes conquêtes de la soie.

Vers 1810, outre les vastes établissements de la famille Jubié, on dénombre quinze filatures et moulinages de soie en Isère, quasiment tous situés en Bas-Dauphiné, près de Saint-Marcellin  : huit sont installés à Saint-Antoine , deux à Chatte , deux à Saint-Marcellin et un à Cognin. Indéniablement, la puissance des Jubié a permis d’attirer autour d’eux ses différentes entreprises. Seul l’établissement fondé par Garnier à Sérézin semble isolé 625 . Ces proto-fabriques sont des héritages de l’Ancien Régime, à l’exception du dernier cité. Les intendants du Dauphiné ont favorisé l’émergence d’une industrie de la soie dans leur province, autour de la manufacture royale de La Sône et de pépinières 626 . En revanche, le tissage de la soie reste une activité marginale au début du XIXe siècle, malgré la proximité lyonnaise. La Révolution française marque un coup d’arrêt à cette première expansion soyeuse en Dauphiné. Les mûriers sont arrachés, les fabriques ferment et végètent, surtout après le soulèvement lyonnais de 1793. Napoléon encourage officiellement la reprise de cette activité. Dans les faits, les hommes d’affaires ne l’ont pas attendu, puisque les Garnier s’installent au Vernay (Sérézin 627 ) vers 1796-1797.

Le Bas-Dauphiné suit une logique assez proche de celles relevées en Ardèche et dans la Drôme jusqu’aux années 1830, mais de moindre ampleur. Le fait majeur, déjà étudié, concerne « la proto-industrialisation décalée » de la Fabrique lyonnaise. Le tissage de soieries, jusque-là peu présent dans les campagnes, s’étend rapidement à partir des années 1830, grâce aux initiatives des fabricants lyonnais. Entre 1830 et 1850, les fabricants lyonnais trouvent en Bas-Dauphiné toutes les étapes de fabrication de leurs soieries : l’éducation du ver à soie, la filature, le moulinage et le tissage.

Comment les vieux établissements s’adaptent-ils à la nouvelle donne au XIXe siècle ? Comment et pourquoi les fabricants lyonnais de soieries diffusent-ils leur industrie dans les campagnes du Bas-Dauphiné ? En d’autres termes, pourquoi se sont-ils affranchis des contraintes urbaines ?

Jusqu’en 1850, l’industrie de la soie se diffuse en trois temps. Tout d’abord, au XVIIIe siècle, elle s’organise autour de l’action de la famille Jubié et de sa manufacture royale qui joue un rôle moteur dans ce premier âge de croissance. Puis, à partir des années 1820, le Bas-Dauphiné est gagné à son tour par une fièvre séricicole. Enfin, le tissage s’y développe rapidement après 1830.

Notes
625.

ADI, 138M2, Enquête industrielle, sd [vers 1810]. Cette enquête ne mentionne pas l’existence de la fabrique Garnier.

626.

LEON (P.), 1954a.

627.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la commune de Sérézin est scindée en deux communes distinctes, Sérézin et Nivolas .