2-Le premier essor de la soie.

À la fin de l’Ancien Régime, on dénombre quelques moulinages de soie construits près des fabriques Jubié, mais de moindre importance.

Dès la fin du XVIIIe siècle, le Bas-Dauphiné n’est plus terra incognita pour les fabricants lyonnais, avec la présence de plusieurs importantes proto-fabriques, celles de la famille Jubié, à La Sône et Saint-Antoine , et celle des frères Garnier au Vernay (l’un des hameaux de Sérézin -de-la-Tour, qui est rattaché à la nouvelle commune de Nivolas à la fin du XIXe siècle). André Génissieu apparaît comme négociant en soie (moulinier) à Saint-Antoine dès l’an III, mais il exerce déjà cette activité dès la fin de l’Ancien Régime. En 1787, on relève déjà seize moulinages en Bas-Dauphiné, tous localisés près de Saint-Marcellin . Les deux fabriques les plus importantes se trouvent à La Sône et appartiennent à la famille Jubié : elles utilisent plus de deux mille fuseaux et trois cent vingt guindres. Au total, ces deux établissements et celui que les Jubié exploitent à Saint-Antoine (trois cent quatre-vingt-quatre fuseaux et soixante-quatre guindres) sont estimés à 470.050 livres. Les treize autres moulinages valent 540.000 livres environ. La famille Génissieu en exploite quatre, trois à Saint-Antoine et un à Chatte , soit mille cinquante-six fuseaux et cent soixante-seize guindres 643 .

La fabrique Garnier est signalée au Vernay dès la fin du XVIIIe siècle ; sans doute a-t-elle été créée en 1796 par les frères Garnier, Jean-Antoine et Jean-Baptiste, tous deux originaires de Corps. Selon toute vraisemblance, le second s’établit comme négociant (en soie ?) à Lyon au début du XIXe siècle où il est associé dans la maison Dejean, Garnier & Cie, jusqu’à son décès en 1819. En 1812, l’entreprise Garnier réalise un chiffre d’affaires de 200.000 francs environ, à partir de soies achetées à Lyon au nom d’un marchand de soie ou acquises par Garnier, en provenance d’Italie ou du Midi de la France. L’affaire des frères Garnier prospère et contribue même à la fortune des bourgs environnants ; en effet, Jean-Antoine place ses bénéfices en obligations notariales, finançant ainsi l’agriculture locale, ou rachète de nombreuses propriétés foncières à Ruy, Sérézin , Cessieu , Les Eparres . La fabrique Garnier favorise également dans les proches campagnes l’essor de l’éducation des vers à soie : elle tire ainsi une partie de son approvisionnement en cocons. Cependant, il ne faut exagérer l’importance de cet établissement. Par ses effectifs, entre une vingtaine et une trentaine d’ouvriers, la fabrique Garnier ne parvient pas à faire de l’ombre à celle des Jubié qui en compte dix fois plus sous l’Empire et la Restauration : elle occupe au maximum trente-six ouvriers en 1813 644 .

Par son mariage avec la fille de André-Férdinand Génissieu (le fils d’André), François-Fleury Cuchet met la main sur le patrimoine industriel de son beau-père, un important moulinage de soie installé à Saint-Antoine . Le jeune Cuchet effectue ses premières armes à Lyon en tant que « commis négociant » dans la société Germain frères, au numéro 16 de la montée de la Glacière, dont sa mère, Magdeleine Germain, possède le quart du capital. Lors de son mariage en 1829, elle lui fait donation de la moitié de sa part. Dès cette époque, alors qu’il n’est que commis négociant dans la maison familiale, il se lie d’amitié avec Barthélemy Adam, le père d’Henry, l’un des principaux fabricants de soieries dans la seconde moitié du XIXe siècle, mais aussi avec le père de son futur associé et commanditaire, Martial de Prandière 645 . François-Fleury Cuchet convole avec Anne-Adriane Génissieu, dont le père, André-Ferdinand, possède plusieurs fabriques de soie à Saint-Antoine (commune dont il est également maire) et dans les environs 646 . Par sa mère, née Suffet, la jeune fille descend d’une autre famille d’entrepreneurs du Bas-Dauphiné possédant une fabrique de soie dans les environs de Beaurepaire. À l’automne 1832, Génissieu confie la gestion de son moulinage de Saint-Antoine, à Antoine Bonnami, originaire de Saint-Donat (Drôme). Conclu pour durer une année, l’accord est renouvelé tacitement en 1833, jusqu’à l’été 1834, lorsque Génissieu le dénonce. Génissieu soupçonne Bonnami de détourner une partie de la soie 647 . Il confie désormais la gestion de ses affaires à son gendre, Cuchet.

En 1847, François-Fleury Cuchet , alors moulinier en soie à Saint-Antoine où il exploite les fabriques de sa belle-famille, les Génissieu, fait une faillite retentissante : après vérification par la justice de son bilan, son passif évalué à 280.751 francs surpasse largement un actif de seulement 26.225 francs. Cependant, Cuchet restaure sa situation quelques années plus tard en s’installant à Chatte . Dès le printemps 1849, en utilisant son épouse comme prête-nom, il loue deux fabriques à Chatte, ainsi qu’une filature pour un loyer de 2.000 francs par an 648 .

La sériciculture a connu un premier développement au XVIIIe siècle grâce aux efforts des intendants, mais elle s’efface sous la Révolution. Elle s’étend surtout autour de Saint-Marcellin , dans les vallées du Rhône et de l’Isère.

Notes
643.

ADI, 2C90, Tableau des moulinages de soie visités en 1787.

644.

ADI, 138M4, Statistiques industrielles et manufacturières réalisées par le sous-préfet de La Tour-du-Pin le 29 juillet 1812 et statistiques ms réalisées par le même personnage entre 1806 et 1824.

645.

ADR, Etat civil de Lyon, François Cuchet et Romain Deprandière sont les témoins figurant sur le registre de naissance d’Henry Adam, futur propriétaire d’une fabrique à Corbelin .

646.

APAG, Contrat de mariage devant Me Frachon, à Saint-Marcellin , le 20 avril 1829.

647.

APAG, Convention ms sous seing privé le 7 octobre 1832, Plainte ms de Génissieu destinée au Président du Tribunal civil de Saint-Marcellin le 2 août 1834.

648.

ADI, 7U1073, Tribunal civil de Saint-Marcellin , Répertoire des faillites (1837-1881), 3Q29/569, Enregistrement le 26 mars 1849 d’un bail sous seing privé daté du 15 mars précédent.