L’essor de l’arbre d’or.

Sous la Révolution, les mûriers sont arrachés alors que la sériciculture décline. Mais dès l’an XIII, on signale le retour en grâce de la soie et les Isérois commencent à replanter l’arbre d’or. Barral, alors préfet du Cher, donne l’exemple en installant une pépinière dans sa propriété de Voiron , suivi par Jubié à Saint-Antoine

La sériciculture est promue au rang d’industrie d’intérêt national par Napoléon qui encourage donc son développement pour « affranchir son pays du tribut annuel que [tout bon Français] a jusqu’à présent payé à l’étranger » : l’importation de soie grège entraîne la fuite de pièces d’or vers l’étranger. L’effort doit d’abord porter sur les cocons blancs qui ont fait la réputation des meilleures soies grèges d’Italie 685 . Pour mener à bien ce projet, le ministre de l’Intérieur obtient du préfet du Gard des graines de vers à soie blanche, qu’il s’empresse d’adresser à son représentant en Isère pour qu’il les redistribue à quelques éducateurs éclairés, qui, à leur tour, sont chargés d’en propager l’usage. Cette opération débute en 1810 et est renouvelée au moins les trois années suivantes 686 . Le gouvernement de Louis XVIII reprend à son compte la politique impériale en faveur de la sériciculture, favorable à un patriotisme économique 687 .

Tandis que le nombre de mûriers double en France entre 1835 et 1845, il n’augmente que de 57% en Isère. Mais cette croissance « modeste » permet néanmoins au département de figurer parmi les dix principaux départements en matière de plantation de mûriers avec environ un million cent mille plants dans les dernières années de la Monarchie de Juillet. En l’espace d’une décennie, sous la Monarchie de Juillet, entre 1835 et 1845, le nombre de mûriers français passe de sept millions trois cent mille plants à plus de quinze millions, alors que la production de cocons n’augmentait dans le même temps que de 15% 688 . Le nombre de plants de mûriers augmente fortement dès la Restauration, passant de quatre cent cinquante-quatre mille arbres en 1820 à sept cent mille en 1835 puis à un million cent mille en 1845, dans les arrondissements de Saint-Marcellin et de La Tour-du-Pin qui en rassemblent près des trois quarts 689 . Après cette date, le nombre de mûriers se stabilise. En revanche, la production de cocons, beaucoup plus aléatoire, ne progresse en Isère quasiment pas sur la même période, passant de quatre cent trente mille à quatre cent cinquante-neuf mille kilogrammes 690 . Peut-on en conclure à une surproduction de feuilles de mûriers ? Peut-être, même si cela permet de davantage gaver les vers.

En Isère, les planteurs privilégient deux variétés de mûriers : ceux à haute tige (48%) et les nains (34%). Les premiers se trouvent surtout en bordure des propriétés, souvent assez espacés entre eux, alors que les mûriers nains sont plantés de façon plus systématique, sur des superficies plus étendues 691 . Dans la région de Saint-Marcellin , les cultivateurs privilégient les mûriers nains, alors que plus au Nord, au cœur des Terres Froides, on préfère planter des mûriers de haute tige, donnant deux paysages quelque peu différents. Au total, ce sont plus de sept cents hectares plantés en mûriers, mais les parcelles exclusivement plantées de mûriers, comme les vergers, sont rares. Pour le seul arrondissement de La Tour-du-Pin , il y a l’équivalent de deux cent onze hectares plantés en mûriers en 1846, soit trois cent trente-sept mille arbres, surtout des hautes tiges 692 . Quelques propriétaires éclairés pratiquent la plantation à grande échelle : Pellerin, un greffier de la justice de paix, dans l’arrondissement de Saint-Marcellin, a planté six mille mûriers sur ses terres, tandis que Charles Vial, dans l’arrondissement de La Tour-du-Pin en possède plus de neuf mille, contre sept mille pour Guigne 693 . La forte croissance nationale s’explique surtout par l’essor de la sériciculture dans soixante-dix-sept départements en 1842, contre trente seulement en 1835.

L’essor de la sériciculture sous le règne de Louis-Philippe profite davantage à l’arrondissement de La Tour-du-Pin . Après 1830, elle n’est introduite que dans trois communes de l’arrondissement de Saint-Marcellin sur les trente-cinq concernées par la fièvre séricicole, alors que dans celui de La Tour-du-Pin, touché par le déclin de l’activité toilière et par la crise bancaire grenobloise, ce sont pas moins de cent vingt-cinq centres qui la pratiquent, dont cinquante-trois à partir de 1830, contre seulement dix nouveaux centres conquis pendant la décennie précédente 694 . Le plus souvent, les mûriers sont dispersés en bordure des propriétés, le long des routes, ou essaiment en petits groupes ou de façon isolée. Il n’y a donc pas formation d’un paysage agraire particulier. Mais il ne faut pas pour autant conclure à une occupation anarchique du sol. Une étude fine des terroirs permettrait de préciser l’association des cultures mise en place par les paysans 695 .

À partir de la Monarchie de Juillet, grâce à l’effort conjugué des autorités et des sociétés savantes, quelques agriculteurs éclairés commencent à abandonner l’empirisme routinier au profit de méthodes plus productives et efficaces. Il règne une activité intense autour des mûriers. Les feuilles deviennent des objets d’échanges. Les propriétaires d’arbres les vendent aux éducateurs qui en ont cruellement besoin pour nourrir les vers à soie. L’Hospice de Saint-Chef prend l’habitude de vendre ses feuilles de mûrier aux enchères, mais le produit reste modeste, moins de cent cinquante francs. Dans les environs de Vinay , dans l’arrondissement de Saint-Marcellin , en 1854, les cent kilos de feuilles de mûrier se vendent huit francs 696 .

Notes
685.

ADI, 146M29, Note imprimée du préfet de l’Isère aux maires du département de l’Isère, le 20 avril 1809.

686.

ADI, 146M29, Lettre ms du ministre de l’Intérieur au préfet de l’Isère le 4 mars 1811 et lettres ms du ministre des Manufactures et du Commerce du 18 janvier 1812 et du 12 mars 1813.

687.

DEMIER (F.), 1991.

688.

AN, F10 1737, Brouillon ms d’une lettre destinée au Ministre, le 30 décembre 1846.

689.

Selon BEAUQUIS (A.), 1910, p. 42. il faut neuf cents kilogrammes de feuilles de mûriers (quatre cent cinquante sans les déchets) pour une once de graine de ver à soie, soit l’équivalent de la récolte de quarante-cinq arbres de haute tige.

690.

AN, F10 1737, Tableau comparatif entre les années 1835 et 1845 pour les plantations de mûriers et les produits sérigènes dans les départements visités par Brunet de Lagrange, inspecteur de l’industrie séricicole, le 28 octobre 1846, et rapport ms de la division de l’agriculture et des haras adressé au ministre de l’agriculture le 17 novembre 1842, ADI, 146M29, Statistiques ms, sd [1848-1850].

691.

Annales de la Société séricicole, 1847, p. 71.

692.

ADI, 146M29, Statistiques ms du sous-préfet de La Tour-du-Pin le 28 décembre 1847.

693.

Annales de la Société séricicole, 1846, pp. 122-124.

694.

LÉON (P.), 1954a, pp. 589-590.

695.

LÉON (P.), 1954a, p. 588.

696.

ADI, 9U3010, Justice de Paix de Vinay , Jugement du 21 août 1854 et 3Q4/66, ACP du 26 septembre 1850 (ventes aux enchères du 26 mai 1850).