L’essor des marchés anglo-saxons.

Dans la nouvelle division internationale du travail, les Français, et notamment les fabricants de soieries, font le choix d’offrir à leurs clients des produits de qualité, destinés aux classes moyennes et surtout aux classes supérieures. Ce choix stratégique pousse les fabricants de soieries à intensifier leur conquête des marchés internationaux, devant l’étroitesse du marché intérieur. Ils se tournent donc vers les marchés des pays industrialisés anglo-saxons, en voie d’enrichissement, où les soieries occupent la fonction de marqueur social pour des groupes sociaux dynamiques, avides de nouveaux produits. Cette ouverture internationale stimule fortement la croissance de la Fabrique lyonnaise jusqu’aux années 1870 812 .

Dès le XVIIIe siècle, toutes les couches de la société anglaise recherchent des étoffes variées, colorées et bon marché comme les toiles imprimées 813 . La naissance de cette consommation de masse entraîne une mutation des marchés textiles outre-Manche. À la forte croissance des tissus destinés aux classes populaires, répond probablement une volonté de différenciation sociale dans les couches supérieures de la société anglaise, avec la recherche d’étoffes de meilleure qualité et plus originales, pour mieux se démarquer et s’affirmer socialement 814 . Pendant la première moitié du XIXe siècle, les fabricants lyonnais assistent à une mutation dans la répartition de leurs ventes : alors que l’Europe continentale représente plus de la moitié de leur chiffre d’affaires, voire 80%, par l’intermédiaire des foires de Leipzig au début du siècle, ce sont désormais les marchés anglo-saxons qui accaparent 80% des ventes de soieries lyonnaises sous le Second Empire. Les maisons les plus puissantes installent des filiales à Londres et New York. Les Etats-Unis, à eux seuls, font la moitié des ventes en 1835 contre à peine 14% quinze ans plus tôt, grâce à l’adoption d’un tarif douanier avantageux 815 .

La montée en puissance de la concurrence anglaise n’empêche pas les soieries françaises de connaître un vif succès outre-Manche, avec l’essor de la consommation : entre 1818 et 1828, les exportations de soieries françaises y ont été multipliées par dix en valeur, pour atteindre dix-sept millions de francs, en raison de l’esprit créatif qui les caractérise et qui fait défaut aux soieries anglaises. À dire vrai, la croissance des exportations de soieries est manifeste durant cette décennie, passant de cent neuf millions de francs à cent soixante-dix-neuf millions 816 . L’abolition du Spitalfield Act en 1826 favorise l’entrée des soieries lyonnaises sur le marché anglais. L’essor des marchés anglo-saxons, plus bourgeois, repose davantage sur les soieries unies et mélangées que sur les riches façonnées destinées aux marchés de l’Europe des cours et de l’aristocratie 817 .

Dès la Restauration, les fabricants lyonnais, partis à la conquête des marchés anglo-saxons, proposent à leurs clients de nouveaux produits, sans cesse renouvelés. Aux luxueuses étoffes façonnées, réservées aux marchés aristocratiques du continent européen, les fabricants lyonnais ajoutent à leurs rayons des soieries de demi-luxe destinées à une consommation plus large sur les marchés américains et anglais. En s’engageant dans une stratégie d’innovation des produits et de segmentation de marchés, les Lyonnais parviennent à conserver leur avance 818 .

Notes
812.

VERLEY (P.), 2001.

813.

LEMIRE (B.), 1991.

814.

Par exemple MEDICK (H.), 1995.

815.

CAYEZ (P.), 1978, pp. 122-126, HOURS (H.) et ZELLER (O.), 1986, p. 91, BAYARD (F.), DUBESSET (M.) et LEQUIN (Y.), « Un monde de la soie, les siècles d’or des Fabriques lyonnaise et stéphanoise (XVIIIe-XIXe siècles) », in LEQUIN (Y.), 1991, p. 109.

816.

MONFALCON (J.-B.), 1834, pp. 15 et 21.

817.

CAYEZ (P.), 1978, pp. 150-152.

818.

VERLEY (P.), 2001.