Premières fabriques.

Bien avant la révolte des Canuts, les fabricants lyonnais se tournent déjà vers les campagnes du Bas-Dauphiné, pour y établir des métiers épars ou dans des proto-fabriques. Selon Pierre Cayez, la première maison lyonnaise à construire une usine est Savoye et Cie à Charvieu (Isère), dès 1816, bien avant Claude-Joseph Bonnet et son usine de Jujurieux (Ain) 849 . Cependant, Pierre Cayez semble avoir sous-estimé l’implantation lyonnaise en Bas-Dauphiné dans la première moitié du XIXe siècle. Une première phase d’intégration du tissage au sein des maisons de soieries s’engage sous la Restauration et s’accélère sous la Monarchie de Juillet, mais elle ne concerne qu’un petit groupe de fabricants.

En 1817, la maison Tournu & Cie accepte de commanditer la société fondée par François Crozel et Jean-François Clerc pour exploiter le moulinage et le tirage Crozel, à Chatte (ladite fabrique est louée par la nouvelle société Crozel, Clerc & Cie pour 2.000 francs par an). Tournu fournit une commandite de 100.000 francs, soit en capital, soit en compte courant, tandis que les deux associés commandités apportent 25.000 francs chacun, plus 25.000 francs pour Clerc en compte courant. Crozel et Clerc, avec l’appui de leur commanditaire, en profitent pour louer en même temps les anciennes filatures Jubié de la Sône , pour un loyer annuel de 8.700 francs par an. Les Jubié n’ont pas le choix, car ils doivent, en 1817, 34.000 francs à la maison Tournu, sans compter les autres dettes 850 . En 1824, l’ancien député et spéculateur Pierre-Joseph-Fleury Jubié , en mal d’argent, loue à une importante maison lyonnaise, Adolphe Delon & Cie 851 , la fabrique qu’il possède dans les bâtiments de l’abbaye de Saint-Antoine (aile du Midi) pour une période de douze années et un loyer annuel de 2.100 francs. Jubié obtient de son nouveau locataire à l’occasion de la signature du bail, une avance de six mille francs 852 . En 1839, la fabrique de Saint-Antoine paie 295 francs de patente et affiche une valeur locative de 1.300 francs (soit 26.000 francs) 853 .

De même en 1826, la maison lyonnaise Peillon, Goujon & Roche installe une usine mécanique pour fabriquer le crêpe à Renage (devenue Montessuy & Chomer), selon des procédés techniques d’origine anglaise, avec l’importation de métiers mécaniques propres à la fabrication des crêpes. Dans ce dernier cas, la concentration en usine est une obligation 854 . En 1838, l’établissement compte cent vingt-neuf métiers à tisser. Le choix de Renage ne doit rien au hasard pour qui veut utiliser l’énergie hydraulique : le débit de la Fure à cet endroit s’élève à plus de mille deux cents litres par seconde, alors qu’en amont, à Saint-Blaise, il accuse un niveau moyen de huit cents litres seulement. Sur la Morge, les relevés indiquent un débit moyen proche des sept cents litres 855 . Mais, contrairement au coton, on n’assiste pas à une multiplication des fabriques durant cette période. Jusqu’aux années 1850, la plupart des fabricants s’en désintéressent.

En revanche, l’établissement installé à Bourgoin vers 1826 par Paul Timmonier, pour la fabrication de crêpes et de foulards, ne rencontre pas le même succès. Deux ans plus tard, pendant l’été 1828, la faillite est, en effet, prononcée. Pour s’installer, Timmonier loue pour 4.000 francs par an un bâtiment à un négociant de la cité, Belluard, qui à son tour, est entraîné dans la faillite. Pour compléter ses installations et sa trésorerie, il obtient de la banque grenobloise Charles Durand & Fils l’escompte d’effets à hauteur de 18.000 francs 856 . Plusieurs petits ateliers de moindre importance sont créés sous la Restauration. Ainsi, à Bourgoin, en 1825, on dénombre une petite fabrique de soie et de levantines, pourvue d’une vingtaine de métiers à tisser manuels, ainsi qu’une fabrique plus importante de crêpe, avec quatre-vingts métiers à tisser. Alors que la première travaille à façon pour un fabricant lyonnais, la seconde tisse pour son compte et écoule sa production sur le marché parisien. Enfin, un modeste atelier d’impression sur étoffes de soie ne compte que douze ouvriers, imprimant sur trois tables seulement surtout des mouchoirs destinés également à la capitale.

Pour justifier la décision des fabricants lyonnais d’installer des métiers à tisser et d’investir leurs capitaux dans le Bas-Dauphiné, il faut tenir compte du « rapport global du décideur à son environnement, rapport qui inclut son histoire personnelle, avec sa formation et, plus largement, l’ensemble de son histoire culturelle mobilisée pour la prise de décision » 857 . Faut-il rappeler que Claude-Joseph Bonnet installe sa nouvelle fabrique à Jujurieux , dans l’Ain, son village natal 858  ? Louis-Rose Gindre construit sa fabrique à Ruy, à mi-chemin entre Lyon et son bourg natal, Pont-de-Beauvoisin . Léon Permezel achète l’usine Poncet, à Voiron , où il possède de nombreuses attaches familiales. Ferdinand Gillet place ses métiers à bras à La Murette , son village natal.

La principale création est la fabrique édifiée à Voiron par Joseph I Guinet pour le compte d’une riche lyonnaise, Melle Victoire Flandin , en 1833 859 . Cette fabrique est à l’origine de la transformation de la vallée de la Morge, en rivière industrielle à l’usage quasi-exclusif de la soie, au moins dans sa portion voironnaise. Riche héritière, elle décide en 1833 d’investir une partie de ses fonds dans la construction d’une fabrique à Voiron, sans doute encouragée par son ami (ou amant ?) 860 , un jeune ouvrier en soie, Joseph I Guinet, originaire de l’Ain, venu travailler à Lyon et à son service depuis 1825. Le nouvel établissement (achat du terrain, construction et matériel) lui coûte entre 80.000 et 150.000 francs, selon les sources, et se compose alors de cent trois métiers à tisser en bois. Selon Joseph I Guinet, les immeubles ont coûté à l’origine 130.000 francs et l’investissement total jusqu’en 1847, 225.000 francs, sommes contestées par ses contradicteurs, pour qui le coût d’une telle fabrique n’a pas pu excéder 100.000 francs. Les fonds nécessaires, entre 130 et 150.000 francs sont confiés au jeune protégé de Melle Flandin, devenu entre-temps son chargé d’affaires et directeur du nouvel établissement. Joseph I Guinet, accompagné de sa sœur Joséphine, de l’époux de celle-ci, Aimé Baratin , et de ses neveux Guinet et Baratin, s’installent à Voiron, dans la fabrique où il élit désormais domicile jusqu’en 1847, avec des appointements nets fixés à 1.560 francs par an (il est en outre logé, chauffé, nourri…). Déjà à cette époque, Pierre Vulpilliat 861 , le neveu de Victoire Flandin, qui est fabricant de soieries à Lyon, manifeste une certaine jalousie envers le protégé de sa tante : n’est-il pas l’héritier désigné de celle-ci ? N’est-il pas le principal pourvoyeur de commissions pour la fabrique ? Comment, dans une telle situation, ne pas prendre ombrage de l’influence de Joseph I Guinet sur cette riche célibataire ? Vers 1842, cette fabrique, qui a déjà derrière elle une dizaine d’années d’existence, rapporte, bon an mal an, environ 18.500 francs de bénéfices à sa propriétaire. À la même époque, l’établissement produit quatre cent treize mille cinq cents mètres de soieries par an, dont la moitié en satin et 44% en gaze pour crêpe. La mise en place précoce de métiers mécaniques permet d’arriver à ce résultat. La centaine de métiers tisse en moyenne seize mètres et demi de soieries par jour 862 .

La solide prospérité du tissage la pousse à accroître ses biens à Voiron et elle délivre alors une procuration à son fondé de pouvoir en vue d’acquérir de nouveaux terrains en bordure de ses propriétés, dont une fabrique de papiers et une filature de laine et d’étoupes 863 . Sans doute envisage-t-elle d’agrandir sa fabrique. Vers 1849, la fabrique de Voiron, devenue propriété de Vulpilliat , emploie cent quatre-vingt-dix personnes, dont cent soixante-dix-huit femmes 864 .

Le fondateur de l’usine de Châteauvilain , Damiron, par l’entremise sans doute d’Aimé Baratin père, un ouvrier charpentier lui aussi originaire du Rhône, se lie d’affaires avec le beau-frère de ce dernier, Joseph I Guinet, dont la sœur, Joséphine, est mariée au dit Baratin. Guinet est alors au service de Victoire Flandin , comme chargé d’affaires et directeur de sa fabrique de soie de Voiron . Damiron 865 , après sa faillite en 1837, s’est installé à Rives , au cœur de la vallée sidérurgique de la Fure 866 . En janvier 1843, Guinet, à l’affût pour acquérir une nouvelle fabrique et s’établir à son compte, prête 5.000 francs à Damiron pour lui permettre de poursuivre les travaux de construction d’une usine à Renage au bord de la rivière. Un an et demi plus tard, l’affaire se concrétise et, pour 12.000 francs, Guinet devient propriétaire officiellement d’un bâtiment en pierre de deux étages au bord de la Fure avec une chute d’eau et équipé en roues et arbres, mais sans aucun matériel de tissage 867 . Ayant la mainmise sur les affaires de sa bienfaitrice qui lui a encore renouvelé sa confiance, il en a profité pour acquérir sous son propre nom cette fabrique, mais avec l’argent de la riche lyonnaise, se livrant ainsi à un détournement de plusieurs milliers de francs à son insu. Cet achat et les différents investissements complémentaires (comme l’installation de quarante-deux métiers à tisser) sont évalués à 81.000 francs. Cette sombre affaire est éventée à la fin de l’année 1847 868 , précipitant la fin des relations entre Guinet et la vieille fille qui d’ailleurs décède dans les jours qui suivent, le 27 novembre, probablement affectée :

‘« Ainsi donc, Mademoiselle, si j’ai perdu votre estime sans retour, nous ne pouvons plus vivre ensemble, c’est-à-dire je ne veux pas rester chez vous, et le mieux que nous ayons à faire, c’est de nous quitter sans scandale. Je rendrais mes comptes quand vous voudrez et à qui vous voudrez. Je chercherais un acheteur ou à un locataire pour vos deux fabriques. […] Je déclare aussi par la présente et sous les mêmes peines du droit, que, malgré que la fabrique que j’ai achetée de Damiron soit à mon nom, elle vous appartient tout entière, ainsi que les différentes pièces de prés, maisons et terres qui sont achetées en mon nom, mais avec votre argent, m’engageant à vous en passer la vente à titre gratuit quand vous l’exigerez, sans aucun bénéfice ni rebours, attendu que je n’ai acheté ainsi que pour votre compte et payé avec votre argent […] » 869 .’

Tous les biens reviennent par testament à son neveu, Pierre Vulpilliat , qui hérite donc de deux fabriques de soieries, une à Voiron et l’autre à Renage , tandis que Joseph I Guinet reçoit une pension annuelle et viagère de 1.000 francs 870 . Cependant, les relations entre les deux hommes s’enveniment dans les jours qui suivent le décès, à cause de la tenue des comptes de la défunte par Guinet : Vulpilliat l’accuse d’avoir rendu des comptes erronés et d’avoir fait disparaître le profit d’une vente de plusieurs terrains passée pour un montant de 300.000 francs. La rupture est consommée définitivement en janvier 1849, avec le départ de Guinet ; les démarches judiciaires des deux camps s’enchaînent. Un premier jugement rendu le 19 avril 1850 reconnaît la probité de l’ancien directeur dans sa gestion des deux fabriques et oblige Vulpilliat à lui verser les 37.872 francs demandés pour appointements non versés depuis le premier janvier 1836. Cependant, Vulpilliat, croulant sous les dettes que lui laisse sa tante et au bord de la faillite (tel est du moins son avis), a interjeté appel.

Dans les années 1830, la maison Michel frères installe un tissage à Rives , mais l’établissement est assez modeste, puisqu’en 1839, sa patente n’est que de 53 francs et sa valeur locative de 400 francs (soit 8.000 francs) 871 .

Figure 9–Le château d’Alivet (tissage Combe vers 1900).
Figure 9–Le château d’Alivet (tissage Combe vers 1900).

Source : coll. Privée.

Toujours en Isère, mais hors du Bas-Dauphiné, signalons l’installation des frères Durand à Vizille en 1839. Alfred Girodon , en janvier 1840, suit l’exemple de ses collègues en s’installant à Renage . Il s’en distingue, cependant, dans la mesure où, par économie, il n’entreprend pas la construction d’un bâtiment neuf et donc onéreux, mais préfère louer le château d’Alexandre de Mortillet pour trente-six années, qu’il transforme en fabrique, comme jadis la famille Jubié avec l’abbaye de Saint-Antoine ou bon nombre d’industriels sous la Révolution avec les biens nationaux. Pour faire mouvoir sa nouvelle fabrique, la construction d’un canal est envisagée. Le loyer en est fixé à 5.000 francs. En 1866, la fabrique Girodon de Renage rassemble environ deux cent cinquante ouvriers 872 . Mais ces quelques fabricants ne sont que des cas isolés. Tous préfèrent recourir au travail dispersé à domicile.

Tableau 13–Fabriques de soie en Bas-Dauphiné en 1843.
Nom Lieu Activité 873 Chiffre d’affaires
(en francs)
Production 874
Nombre d’ouvriers Source d’énergie 875 Nombre de métiers à tisser
Claude-Dominique Vaudaine Sérézin- du-Rhône M 3.600 1.200 Kg 11 RH  
Vignalfrères St-Symphorien M 108.000 18.000 Kg 26 RH  
Granger aîné St-Symphorien M 94.000 1.140 Kg 24 RH  
Couturier frères Vienne T 210.000 60.000 m 80 M 60
Maire & Tournu Pont-de-Chéruy T ? ? 123 M 80 à 120
A. Giraud & Cie Charvieu T 105.000 42.000 m 53 RH 40
Victoire Flandrin Voiron T 520.000 ? 140 M 97
Trouillet Vézeronce F 54.000 900 Kg 41 V  
Baud La Tour-du-Pin F 36.000 600 Kg 23 V  
Peillon, Goujon & Cie Renage T ? 1.056.000 m 139 RH ?
Delon Saint-Antoine T 180.000 56.000 m 59   58
Michel frères Rives T 175.000 50.000 m 80   80
Ferrieux Chatte M 84.500 1.300 Kg 21 V et M  
Giraudet Chatte M 80.500 1.150 Kg 17 V et M  
Denizot frères Têche M 97.500 1.500 Kg 16 V et M  
Morain La Sône M 110.500 1.700 Kg 23    
Magnat La Sône M 57.200 880 Kg 9 V et M  
Auguste de Bézieux Cognin M 144.000 2.000 Kg 17 V et M  
Cuchet Saint-Antoine M 200.000 2.770 Kg 38 V et M  
Victor David Chatte M 110.500 1.700 Kg 17 V et M  
Fabre La Sône M 84.000 1.200 Kg 18 M  
Revol Vinay M 120.250 1.850 Kg 18 M  
Allyre-Bourbon Chatte M ? ? 30 RH  
Girodon Renage T ? ? ? ? ?

Source : ADI, 138M1, Statistique industrielle, renseignements statistiques recueillis en 1843.

Non loin de Vienne, dans le petit village de Châtonnay , les frères Tourlon (orthographe incertaine) ont établi un modeste tissage d’étoffes de soie comprenant vingt métiers à tisser manuels, avant 1841. À Chavanoz , une fabrique comportant une centaine de métiers fonctionne également à la même époque 876 . Alexandre Giraud ne fait pas construire de fabriques, il préfère les louer ou les racheter à bon prix, d’abord la fabrique Savoye de Charvieu 877 , puis celle de Châteauvilain , construite par le mécanicien-fondeur lyonnais, Philibert Damiron, vers 1833, originaire de Beaujeu, puis installé à Vaise 878 . Ces deux établissements ont déjà derrière eux quelques années de fonctionnement lorsqu’ils passent dans le giron de la maison Giraud. Damiron ne s’attarde pas à Châteauvilain. Un fabricant lyonnais, Riboud, la reprend quelque temps, puis la revend 20.000 francs à un banquier de Bourgoin , Antoine-Honoré Rivière. Celui-ci ambitionne de transformer de fond en comble ce nouvel établissement. Il s’adresse à des fondeurs viennois, à des entrepreneurs stéphanois et lyonnais pour le moderniser. Il s’endette alors plus que de raison. En 1841, la fabrique et le matériel sont alors évalués à 42.300 francs environ 879 . Pour approvisionner la fabrique en fils, un entrepreneur à façon, Jean-Marie Gardet 880 , établit, sans doute avec l’accord de Rivière, un moulinage de soie dans le même hameau que le tissage, à La Combe, mais sur la commune des Eparres . Comme en atteste sa mutation par décès, le nouvel atelier de moulinage est des plus modestes : « trois métiers à mouliner », estimés à 210 francs le composent, tandis que les bâtiments atteignent modestement la somme de 1.500 francs 881 . Inévitablement, la faillite du tissage Rivière entraîne celle du moulinage 882 . Lorsque la maison Alexandre Giraud & Cie reprend le tissage de La Combe de Châteauvilain quelques mois plus tard, un nouvel entrepreneur à façon, Anselme Riboud , succède à Pierre Gardet, en faillite, pour l’exploitation du moulinage voisin. Probablement est-il de connivence avec le fabricant lyonnais Giraud, car tous les deux résident à Lyon. La proximité, voire l’intégration d’un moulinage et d’un tissage, quoique rare, se retrouve également à Saint-Geoirs , chez Hector Joly , mais aussi à Saint-Jean-de-Bournay . Il faut convenir du caractère exceptionnel de ces intégrations, car le plus souvent ces deux activités sont éloignées géographiquement, le moulinage étant plutôt effectué dans la vallée du Rhône.

À Saint-Jean-de-Bournay , le schéma en place à Châteauvilain est reproduit à la nuance près que le moulinage appartient à un marchand de soie lyonnais, François Desgrand , tandis que le tissage revient à deux entrepreneurs à façon, Malescourt et Vettard. L’initiative est prise par Desgrand qui installe son moulinage vers 1850 883 . Mais devant l’éloignement du nouvel établissement, il a besoin d’assurer un débouché régulier à ses fils de soie, ce qui explique la construction d’un tissage dans cet espace excentré par rapport au Bas-Dauphiné soyeux. L’éloignement géographique justifie aussi, à Châteauvilain, l’installation d’un moulinage à proximité du tissage Rivière/Giraud, pour garantir un approvisionnement régulier en fils de soie. Les deux communes sont alors mal desservies par les transports mais elles disposent de solides ressources hydrauliques. Au début des années 1860, le moulinage Desgrand est l’un des plus importants au service de la Fabrique avec deux cents ouvrières, soit 250.000 francs de masse salariale versée à la population locale. Vettard et Malescourt établissent leur tissage à la même époque, vers 1849-1850, lui aussi en remplacement d’une ancienne usine à carder la laine 884 .

À la fin de l’année 1848, l’une des fabriques Jubié, de La Sône , est à son tour prise en location par un fabricant lyonnais, Benoît Mauvernay 885 pour 4.000 francs par an. Ce dernier se porte acquéreur de la fabrique et du château de La Sône en 1852 pour 41.220 francs, alors que les héritiers Jubié, couverts de dettes, sont obligés de répondre aux injonctions de leurs créanciers et de la justice. Cinq ans plus tard, ses deux fabriques situées à La Sône, sa filature, le château et le matériel sont évalués à 150.000 francs 886 .

D’emblée, certains fabricants de soieries ont fait le pari de regrouper leurs métiers à tisser dans des fabriques. Le nombre d’établissements est plus important que prévu. Jusque-là, on situait le développement des fabriques de tissage plutôt après 1850. Au total, les fabricants lyonnais doivent déjà exploiter au moins une dizaine de fabriques en Bas-Dauphiné en 1850.

Notes
849.

Fabricant de soieries, Firmin Savoye épouse en 1835 Clarisse Pellet, la fille d’un négociant, probablement également fabricant de soieries, qui donne à sa fille en avancement d’hoirie cent mille francs. Il décède à Oullins le 28 juillet 1867 en laissant une fortune d’au moins 3.466.347 francs à sa fille unique et à son gendre, Paul Grand, dont la moitié en biens immobiliers et 883.983 francs dans sa maison de soieries, Savoye, Ravier & Chanut (sous cette raison sociale depuis décembre 1847). Après son décès, son affaire lui survit sous la raison Ravier, Chanut & Sauzion , avec un capital de six cent mille francs. CAYEZ (P.), 1978, p.163.

850.

CORREARD, DUCHESNE, GABOURD, DUPEROU, 1830, p. 15.

851.

Fabricant de soieries, Adolphe-Marcellin Delon transmet sa maison de soieries à son fils Charles-Ernest. Celui-ci, né à Lyon, le 11 mai 1818, épouse en 1858 Stéphanie-Marie-Gabrielle Béroard, une voironnaise. Son frère cadet, Jacques-Emile Delon débute sa carrière comme avocat à Valence. En février 1861, il achète avec son frère un moulin à Saint-Jean-en-Royans (Drôme) pour 14.500 francs sur lequel ils élèvent un tissage de soieries. Ils le revendent vingt ans plus tard pour 110.000 francs.

852.

ADI, 3Q29/565, Enregistrement le 17 juin 1817 d’un acte sous seing privé du 10 juin précédent, 3E9839, Bail devant Me Frachon (Saint-Marcellin ) du 17 juin 1817 et 3E9854, Bail devant Me Frachon (Saint-Marcellin) le 27 août 1824.

853.

ADI, 138M1, Relevé des principaux fabricants, entrepreneurs et manufacturiers existant dans le département de l’Isère d’après les rôles de 1839, ADI, 120M11, Lettre ms de Delon frères adressée au Préfet de l’Isère le 23 août 1853.

854.

L’usine de Renage est reprise quelques années plus tard par la maison lyonnaise fondée par Pierre Dumoy. En 1844, celui-ci fait entrer Just-Antoine Montessuy dans son affaire, puis quatre ans plus tard Alexandre Chomer. Cette affaire se distingue alors par l’importance de son capital social, qui s’élève à 600.000 francs, dont la moitié apportée par Dumoy. Cependant, ce dernier décède au début de l’année 1850. Montessuy et Chomer restent seuls aux commandes de l’entreprise, mais il est probable que Laure-Clotilde Dumoy, la fille de Pierre, laisse en compte courant des fonds substantiels, surtout après son mariage en mai 1850 avec Henri Germain, le futur fondateur du Crédit Lyonnais. Voir BOUVIER (J.), 1961, vol. 1, pp. 147-148 : dans son contrat de mariage, la jeune fille apporte à Germain environ 765.000 francs, non comptés divers immeubles et valeurs mobilières.

855.

JOUANNY (J.), 1931, p. 13.

856.

ADI, 5U1163, Tribunal Civil de Bourgoin , Jugement du 13 août 1828 dans la faillite Timmonier, et vérification des créances de la faillite Belluard le 16 janvier suivant.

857.

CHASTAGNERET (G.) et RAVEUX (O.), 2001.

858.

PANSU (H.), 2003.

859.

GAUTIER (A.), 2000.

860.

Nous ignorons la nature exacte des relations entre Victoire Flandin et Joseph Guinet (amitié ? amour ? sentiments maternels ?) ; selon toute vraisemblance, ce dernier a un énorme ascendant sur elle.

Joseph Guinet écrit ainsi à Melle Flandin une lettre le 7 novembre 1847, quelques jours avant le décès de celle-ci : « J’ai été bien coupable l’autre jour, j’espère que vous me l’avez pardonné, et que vous n’y pensez plus ; s’ c’est une excuse, je dirai que je ne puis accepter d’aussi sanglants reproches venant de vous, que je vénère, que je chéris comme une mère, comme une bienfaitrice, comme une amie à qui j’ai voué toute mon existence, à qui j’appartiens corps et âme […] » in JAY et JOUVIN, Pour M. Vulpilliat , négociant domicilié à Lyon contre M. Guinet, fabricant d’étoffes de soie à Voiron , notes et documents, Grenoble, imprimerie de Prudhomme, 1850, pp. 8-10.

861.

Fabricant de soieries, Pierre Vulpilliat est né à Lyon le 3 brumaire an XIV, fils d’un « fabricant d’étoffes ». Il demeure célibataire. En 1866, il achète un moulinage de soie à Irigny pour 15.300 francs. À son décès sans postérité le 4 avril 1883, il laisse une fortune estimée à 1.607.137 francs dans son partage.

862.

ADI, 138M1, Statistiques sur le tissage Flandin , sd [1840-1845].

863.

ADI, 3E29254, Procuration devant Me Galley (Lyon) le 18 septembre 1843, 3E29087, Vente devant Me Martin (Voiron ) le 22 mars 1846 : la fabrique de papiers et la filature sont acquises pour 13.000 francs.

864.

ACV, 7F1, Etat civil des ouvriers appartenant aux dix principaux établissements manufacturiers, sd [1849].

865.

Mécanicien, Philibert Damiron est né à Villefranche (Rhône) vers 1784. Marié à Julie Deroche, il décède à Voiron le 12 novembre 1846. Les deux déclarants de son décès sont Aimé Baratin et Pierre Favier, deux futurs façonniers.

866.

BARTHELEMY (N.) et LAZIER (I.), 1986 et PARENT (J.-F.), 1999.

867.

ADI, 3E29252, Obligation devant Me Neyroud (Voiron ) le 9 janvier 1843, 3E29254, Vente devant Me Bally (Voiron) le 21 juin 1844.

868.

À la mort de Victoire Flandin , la fabrique revient à son neveu Vulpilliat .

869.

Copie d’une lettre de Joseph Guinet adressée à Victoire Flandin , le 7 novembre 1847, in JAY et JOUVIN, Pour M. Vulpilliat , négociant domicilié à Lyon contre M. Guinet, fabricant d’étoffes de soie à Voiron , notes et documents, Grenoble, imprimerie de Prudhomme, 1850, pp. 9-10.

870.

La fortune de la « vieille fille » est alors évaluée par Guinet à 296.000 francs bruts (90.000 francs de dettes) : outre les deux fabriques, elle possède aussi des terrains à Lyon (clos de Touvant) et plusieurs créances.

871.

ADI, 138M1, Relevé des principaux fabricants, entrepreneurs et manufacturiers existant dans le département de l’Isère d’après les rôles de 1839.

872.

ADI, 3E19122, Bail devant Me Coynel (Rives ) le 12 janvier 1840 et 6S7/79, Observations ms de l’expert sur le mérite des réclamations produites dans l’enquête sur le classement du Syndicat de la Fure, destinées au Préfet de l’Isère, le 25 janvier 1866.

873.

Activité : F (filature), M (moulinage), T (tissage).

874.

Production : m (mètres), Kg (kilogrammes).

875.

Source d’énergie : V (vapeur), M (moulin à eau), RH (roue hydraulique).

876.

ADI, 4Z114, Lettre ms du maire de Châtonnay adressée au sous-préfet le 29 mai 1841 et Lettre ms du maire de Chavanoz au sous-préfet le 17 juin de la même année et ACB, 1.824.1, Statistiques ms et mémoire ms du 23 août 1826.

877.

ADI, 4Z114, Lettre ms du maire de Charvieu adressée au sous-préfet de Vienne, le 13 août 1841 : la fabrique Alexandre Giraud emploie entre soixante et soixante-cinq ouvrières. La valeur de l’ouvrage (chiffre d’affaires) est estimée à 100.000 francs. A noter que la belle-mère de Giraud se nomme Savoye .

878.

ADI, 3E14105, Quittance devant Me Chenavas (Bourgoin ) le 15 octobre 1830, 3E14111, Vente devant Me Chenavas le 13 août 1833, 3E14118, Vente mobilière devant Me Chenavas le 3 juin 1837. Mais il fait faillite quatre ans plus tard, et la fabrique est alors rachetée par un banquier de Bourgoin, également installé à Lyon, Antoine Rivière, qui la revend probablement vers 1843 à Alexandre Giraud . Damiron ne renonce pas pour autant à construire un tissage, puisqu’on le retrouve de nouveau propriétaire d’une fabrique dans la région rivoise qu’il cède à Guinet, puis à Voiron où il décède. Parmi les déclarants à l’état civil lors de son décès, on relève le nom d’Aimé Baratin lui aussi originaire de Beaujeu, beau-frère de Joseph I Guinet et père de Félix Baratin : voici sans doute un élément d’explication sur les raisons de l’installation de la famille Baratin dans la contrée. À noter que l’épouse d’Antoine Rivière, née Vettard, est probablement apparentée à Mme Louis-Rose Gindre .

879.

ADI, 5U1165, Tribunal Civil de Bourgoin , Bilan ms de la faillite Rivière, le 7 octobre 1841 et inventaire ms du 31 août de la même année.

880.

Originaire de Héry-sur-Ugine, en Savoie, Jean-Marie Gardet est le fils d’un cultivateur. En 1815, alors qu’il a 26 ans environ, il épouse une ouvrière ovaliste qui ne lui donne qu’un seul fils, Pierre. L’individu est alors mentionné comme « fabricant de vitriol », demeurant à La Guillotière. Ses apports se montent à 800 francs. A son décès, en novembre 1840, sa fortune atteint péniblement 2.400 francs. Cependant, cette évaluation est contredite par celle figurant dans le contrat de mariage de son fils au printemps suivant, dont l’actif s’élève alors à 20.000 francs.

881.

ADI, 3Q4/715, Mutation par décès de Jean-Marie Gardet , le 18 mai 1841.

882.

ADI, 5U1165, Tribunal Civil de Bourgoin , Vérification des créances de la faillite Gardet , le 30 août 1842.

883.

ADI, 7S2/130, Règlement d’eau et procès-verbal de visite de l’usine Desgrand , par l’ingénieur le 8 novembre 1854, Pétition ms de François Desgrand au préfet le 15 novembre 1863.

884.

ADI, 7S2/130, Règlement d’eau et procès-verbal de visite de l’usine Vettard & Malescourt, par l’ingénieur ke 8 novembre 1854, Pétitions ms de François Desgrand au préfet, s.d. [1859] et le 15 novembre 1863.

885.

Fabricant de soieries, Benoît Mauvernay épouse au printemps 1835 Amélie-Reine Coulet, la fille d’un ancien négociant, dont les apports sont évalués à près de 26.000 francs. Il décède à Lyon le 6 février 1857 en laissant à ses cinq enfants une succession évaluée dans son partage à 618.234 francs (dont une grande partie provient de l’actif de sa société). Deux jours avant de mourir, il avait formé une nouvelle société avec un de ses commis, au capital de 600.000 francs, dont 500.000 francs fournis par lui.

886.

ADI, 3Q29/569, Enregistrement le 5 décembre 1848 d’un bail rédigé le 30 novembre précédent, 3Q29/654, Mutation par décès de Mauvernay des 23 et 27 juillet 1857, ADR, 3E13248, Inventaire après décès de Mauvernay, devant Me Mitiffiot, à Lyon, le 21 février 1857.