Déjà, en son temps, le désormais célèbre observateur anglais Arthur Young s’étonnait devant les particularités de la maison du petit paysan du Bas-Dauphiné, à base de terre battue, le pisé, qui lui donne un aspect misérable, loin de la noblesse de la pierre de taille ou de la brique.
La modeste bâtisse repose sur des fondations de cailloux, voire de pierres, qui peuvent dans certains cas s’élever à plus d’un mètre au dessus du sol. Dans l’arrondissement de La Tour-du-Pin , dominent les maisons composées, comportant des bâtiments spécialisés selon leurs usages, afin de distinguer ce qui est du domaine de l’homme, de ce qui appartient à l’animal. Au contraire, la maison unitaire se retrouve surtout dans la partie montagneuse du département 933 . Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les vastes toits dauphinois que l’on retrouve dans les régions alpines catholiques (comme la Bavière ou l’Autriche), ne font que timidement leur apparition en Bas-Dauphiné, d’abord réservés aux riches bâtisses ou à quelques cultivateurs opulents voulant imiter ces dernières. Dans quelques contrées autour du lac de Paladru ou du Val d’Ainan, les toits dauphinois rencontrent un vif succès dès l’Ancien Régime 934 . Les maisons sont plutôt « peu élevées, enterrées, obscures et malsaines », avec encore des toits recouverts de chaume, mais avec une forte pente et de vastes combles. Ce n’est que sous la Monarchie de Juillet, que l’on commence à construire des habitations « plus vastes et mieux aérées », avec l’adoption progressive mais indiscutable de la toiture de tuiles à quatre pans, alors que les dépendances ne possèdent que deux pans 935 . Leurs pentes augmentent lorsque l’on se rapproche de la Savoie, c’est-à-dire dans l’arrondissement de La Tour-du-Pin, et de la montagne en raison des fortes chutes de neige. Alors que l’emploi du pisé se généralise dans les campagnes, les Bas-Dauphinois n’abandonnent pas complètement l’usage de la pierre de taille, le plus souvent réservée aux villes ou aux riches demeures. Dans le Voironnais, en bordure de la Morge, elle sert à construire des fosses et des cuves pour le travail des cuirs, surtout sous l’Ancien Régime 936 .
Devant la porte de la maison ou à l’entrée de la ferme selon les cas, trônent aux yeux de tous, le tas de fumier et le purin des étables : ils constituent, dans le monde paysan, le meilleur signe extérieur de richesse, leur grosseur étant proportionnelle au nombre de bêtes présentes dans l’étable. Dans les villages les plus miséreux, devant les maisons, « croupit une mare fétide qui s’écoule des écuries et où barbotent quelques canards » 937 .
L’intérieur, tout aussi modeste que l’extérieur, ne paie pas de mine : un évier (ou une cuisine), une cheminée parfois, avec une chambre contiguë. C’est dans cette dernière que la maîtresse de maison installe son rouet. Marguerite Bollud, veuve d’Etienne Granger en possède trois, sans doute pour elle-même, sa fille mineure, Antoinette, et sa belle-fille. En bas âge, les enfants dorment dans cette pièce avec leurs parents, mais les plus grands se contentent de l’étable dans les années 1850. L’étage n’est pas encore transformé en chambre, il sert de réserve, notamment pour les grains et les châtaignes, tandis que « les pommes de terres se tiennent sous le lit », au dessus duquel se trouvent une branche de buis et une image de sainte. L’usage de la garde-robe de noyer se répand pendant le siècle dans les dots des jeunes paysannes, mais majoritairement, le linge est conservé dans une arche, c’est-à-dire une caisse de bois. De l’aveu même de Bouquet, pauvreté, promiscuité avec les animaux et malpropreté semblent caractériser l’habitat bas-dauphinois 938 .
C’est dans la plaine viennoise et le Sud du Bas-Dauphiné que l’on trouve les contributions directes par habitant les plus élevées : 17,1 francs par habitant pour le canton de Saint-Symphorien-d’Ozon, 16,5 francs pour Vienne, à peine moins pour Saint-Marcellin et Tullins . L’Ouest du département, en bordure du Rhône et de l’Isère, représente donc la partie la plus riche du Bas-Dauphiné. La proto-industrie évite les vastes plaines situées dans l’espace viennois, car l’agriculture intensive et commerciale y est davantage présente. Elle se développe en symbiose avec une agriculture déficiente et peu efficace. La proto-industrie préfère donc s’installer dans les contrées les plus miséreuses où elle procure des revenus supplémentaires et facilite le maintien de la société traditionnelle 939 .
Dans de telles conditions de misère, les habitants du Bas-Dauphiné ont tout intérêt à poursuivre trafics illicites et contrebandes avec le Piémont voisin, surtout dans la région de Pont-de-Beauvoisin , comme au XVIIIe siècle, sans que les autorités puissent freiner véritablement ces pratiques répréhensibles 940 . La généreuse politique d’assistance mise en place dès la Restauration, par le Conseil général n’y change rien, car elle est destinée surtout aux enfants abandonnés, au dépôt de mendicité de Grenoble et aux ateliers de charité 941 .
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