2-Les pesanteurs d’une société provinciale conservatrice : l’affaire Berthet.

Henri Beyle, plus connu sous le nom de Stendhal, décrit avec force les pesanteurs de la société provinciale de son temps. Il se complaît dans la description de Grenoble, sa ville natale honnie, et des bourgeois qui composent la bonne société de l’Isère, notamment dans un récit autobiographie, La vie d’Henry Brulard. Pour composer Le Rouge et le Noir, l’un de ses romans les plus célèbres, il s’inspire d’un fait divers qui défraie la chronique en Bas-Dauphiné, dans les dernières années de la Restauration.

Pour Stendhal, Antoine Berthet devient Julien Sorel, le personnage principal de sa « chronique de 1830 », qui se fait le dénonciateur d’une société conservatrice et hypocrite. Par certains de ses traits, Sorel ressemble aussi au jeune Beyle, éternel révolté, à la recherche de l’amour et admirateur de l’Empereur 1093 . Pour lui, il s’agit de réaliser non seulement un roman de mœurs mais aussi une œuvre de dénonciation politique grâce à la sociologie et à la psychologie de ses personnages 1094 . Pour composer son livre, il reprend la trame d’un sombre fait divers, un crime passionnel, que connaît un petit village du Bas-Dauphiné, Brangues , situé à quelques kilomètres de la propriété de sa sœur adorée, Pauline, à Thuellin, avec laquelle il entretient une abondante correspondance. Pour étoffer l’action de son roman et construire la psychologie de ses personnages, il s’appuie sur sa propre expérience dans la bonne société de son temps, plus particulièrement celle qu’il a fréquentée dans les salons. Il s’inspire donc de certains de ses contemporains, le plus souvent grenoblois 1095 . D’ailleurs, il découvre ou redécouvre l’affaire Berthet quelques mois plus tard, en octobre 1829, lors d’un énième séjour à Grenoble 1096 .

Cette étude de cas permet en quelque sorte de planter le décor et de présenter, à une autre échelle, la situation socio-économique du Bas-Dauphiné, les pesanteurs d’une société qui n’a pas encore tourné la page de l’Ancien Régime.

Notes
1093.

Voir le catalogue édité à l’occasion de l’exposition à la Bibliothèque Municipale de Grenoble, 2006.

1094.

Voir parmi l’abondante bibliographie consacrée à Stendhal, DUBOIS (J.), 2007.

1095.

D’après PRÉVOST (J.), 1967, p. 243, pour le personnage de Valenod, Stendhal s’inspire partiellement d’un négociant en toiles de Voiron , Blanchet , devenu entrepreneur des hôpitaux de Toulon et accusé par Stendhal d’avoir volé avant 1806 deux cent mille francs en Italie.

1096.

MARTINEAU (H.), 1951, pp. 389 et sq et CROUZET (M.), 1995, p. 5.