Le seigneur du château.

Les anciennes demeures seigneuriales conservent toute leur importance d’un point de vue symbolique, politique, social ou économique. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les châteaux sont, avec les églises, les seuls édifices importants et soignés que l’on trouve dans les campagnes. Leurs vastes toits dauphinois ou leurs tours crénelées les rendent facilement reconnaissables et identifiables à plusieurs lieues à la ronde. Jusqu’à la construction des demeures bourgeoises des industriels et des rentiers isérois et lyonnais, ils sont sans rivaux dans le paysage 1160 .

Dans la première moitié du XIXe siècle, la contrée possède encore de nombreuses demeures seigneuriales, héritées de l’Ancien Régime 1161 . D’ailleurs, lorsque l’infatigable voyageur anglais Arthur Young parcourt le Bas-Dauphiné à la fin de l’année 1789, il note dans ses carnets avoir vu « un beau mélange de hauteurs et de vallées, bien plantées, parsemées de châteaux, de fermes et de cottages » 1162 . Sous l’Ancien Régime, toutes les familles nobles, y compris celles qui résident une grande partie de l’année dans la capitale delphinale, possèdent un – voire plusieurs – château, symbole de leur autorité et de leur prestige. Séduits par le mode de vie champêtre, nombreux sont les nobles qui ont embelli et transformé leurs demeures pour leur donner le confort nécessaire, agrémentées de vastes jardins à la française, comme les marquis de Langon à Virieu et Corbeau de Vaulserre à Saint-Albin, Gallien de Châbons au Passage ou les Pascalis de Longpra à Saint-Geoire . L’ancienne bâtisse féodale, au confort fruste, laisse la place à une belle demeure soignée, avec de vastes toits dauphinois 1163 . À l’instar des Pascalis de Longpra, les vieilles familles de la noblesse dauphinoise se lancent dans des travaux d’embellissement de leurs demeures seigneuriales à partir de la seconde moitié du siècle, afin de les rendre plus confortables. Les anciennes maisons fortes laissent alors place à de belles bâtisses parlementaires 1164 .

Plus que jamais, dans la première moitié du XIXe siècle, le château constitue un vestige apparent de l’ancien pouvoir de la noblesse et celle-ci entend bien donner encore l’illusion d’une position sociale maintenue en préservant son cadre de vie seigneurial. La possession d’un château nécessite alors « un comportement approprié », fondé sur le souvenir de l’ancien temps, de la dignité, du prestige, de l’autorité 1165 . Dans les campagnes, le château sert encore de repère identitaire et hiérarchique à la société traditionnelle, tout en rappelant le lien séculaire qui unit le propriétaire de la bâtisse aux paysans. D’ailleurs, le prestige de la noblesse demeure souvent intact dans les campagnes, malgré la morgue et le désir de revanche d’une partie de ses rangs 1166 .

Les nobles entreprennent la restauration, l’embellissement ou la reconstruction de leurs demeures seigneuriales une fois la tempête passée 1167 . Endommagé pendant la Grande Peur, le château de Saint-Jullin, à Siccieu, propriété du marquis de Chaponay 1168 , est reconstruit au début du XIXe siècle et modifié par un architecte lyonnais, Pollet. À Vernas, la bâtisse des Dauphin de Vernas, incendiée en 1793, est intégralement restaurée. En 1811, Othon de Moidière entreprend la reconstruction du château familial de Bonnefamille détruit en 1789. En revanche, celui de Montferrat, détruit sur ordre de Joseph-Marie de Barral lorsqu’il vend ses terres, n’est pas reconstruit 1169 . Le château de Milliassière, à Succieu, est également restauré en 1813. Le baron Quiot, devenu propriétaire de l’ancien château des Gallien de Châbons , au Passage, entreprend des travaux de décoration à l’intérieur à partir de 1818, alors que l’édifice est à l’abandon depuis plusieurs années. Deux ans plus tard, le château de Verel, à Saint-André-le-Gaz est agrandi 1170 . Ces châteaux restent encore au centre de vastes propriétés aristocratiques. Depuis leurs nobles demeures, comtes et marquis surveillent l’organisation et l’exploitation de leurs domaines. Pendant près d’un demi-siècle, les Virieu désertent leur château de Pupetières, à Châbons, endommagé et vendu sous la Révolution. La famille a trouvé refuge dans un petit manoir, dans une commune voisine, Le Grand-Lemps , acquis d’Auguste de Lemps en 1803 1171 .

Notes
1160.

BRELOT (C.-I.), 1992, vol. 1, p. 88.

1161.

Yves Soulingeas, ancien directeur des Archives Départementales de l’Isère, ironisait régulièrement sur l’importance de la Grande Peur en Isère. Confronté au classement des fonds d’archives provenant des châteaux, il constatait avec cynisme qu’il n’y avait pas eu suffisamment d’incendies pendant l’été 1789, car il ne parvenait pas à terminer leurs inventaires !

1162.

YOUNG (A.), 1976, vol. 1, pp. 450-451.

1163.

COULOMB (C.), 2006, pp. 193-202, TAILLARD (C.), 2002. Dans les dernières années de l’Ancien Régime, cet auteur montre que la réaction féodale se traduit par un retour en grâce des créneaux et des tours dans l’architecture.

1164.

TURC (S.), 2005, vol. 1, pp. 260-270 et SOULINGEAS (Y.), 2001.

1165.

HIGGS (David), 1990, p. 87.

1166.

TUDESQ (A.-J.), 1964, vol. 1, p. 123.

1167.

BERCÉ (F.), 1988.

1168.

Voir ADR, 44 J, Fonds Chaponay.

1169.

Voir les différentes notices monographiques dans Histoire des communes, 1987, pp. 91, 187, 203, 425-426…

1170.

BRUCELLE (L. et A.), 1994, pp. 37, 50, 57.

1171.

LEFLAIVE (A.), 2002, p. 111.