L’emprise politique nobiliaire.

Malgré la Grande Peur qui a traversé les campagnes du Bas-Dauphiné pendant l’été 1789 1242 , puis la tourmente révolutionnaire, la noblesse dauphinoise conserve une emprise locale évidente dans la première moitié du XIXe siècle, tant d’un point de vue foncier, que social ou politique.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la noblesse dauphinoise est tiraillée entre deux postures diamétralement opposées : la fermeture, avec par exemple l’obligation d’avoir quatre degrés symboliques de noblesse pour intégrer la Compagnie du Parlement de Grenoble à partir de 1762 1243 , et les empiétements de droits, d’une part, et l’ouverture d’une partie de ses membres dans les années 1780 en direction des idées nouvelles, d’autre part. Le choc révolutionnaire pousse la noblesse dauphinoise à faire bloc et à adopter une position quasi-unanime de refus de l’héritage révolutionnaire.

Anciens seigneurs et anciens parlementaires dauphinois restent imprégnés de pratiques héritées de l’Ancien Régime, comme celle de protéger et de défendre les habitants de la province : les parlementaires dauphinois n’étaient-ils pas alors les « Pères de la patrie » 1244  ? Dans un souci de continuité, mais aussi de réaction, la noblesse du Bas-Dauphiné tente de réinvestir les campagnes sous la Restauration. Dans l’arrondissement de La Tour-du-Pin , plus du tiers (36%) des maires sont remplacés lors de la Seconde Restauration, contre 29% et 31% dans les arrondissements de Saint-Marcellin et de Vienne. Les cantons les plus concernés sont ceux de Virieu, Saint-Geoire , du Grand-Lemps et de La Tour-du-Pin. Les conseillers municipaux n’échappent pas à la disgrâce non plus. Au total, pour l’ensemble du département, ce sont deux cent dix-huit maires qui doivent alors quitter leurs fonctions. En 1830, l’épuration est moindre, avec cent soixante-treize maires révoqués par le nouveau pouvoir, soit tout de même le tiers de l’effectif 1245 . Au début de la Restauration, 12% des maires du département sont d’origine noble, soit un chiffre sensiblement équivalent à la moyenne nationale (11%). Cependant, une étude plus fine, par arrondissements ou cantons, montrerait probablement que cette proportion est plus élevée dans l’arrondissement de La Tour-du-Pin. Leur notoriété et leur notabilité dépassent souvent le cadre de leur commune, ne serait-ce que par la possession de vastes domaines répartis sur plusieurs localités voisines. Les nobles conservent toujours en Isère une position dominante, quoique déclinante : en 1812, ils représentent encore un quart des plus imposés de l’Isère 1246 . Sur les quarante-sept plus imposés de l’Isère en 1819, au moins trente et un possèdent des propriétés en Bas-Dauphiné, dont quelques grands noms de la noblesse dauphinoise 1247 . Le retour des Bourbons sous la Restauration s’accompagne d’une certaine épuration administrative au fil des complots et des soulèvements 1248 .

Par l’ordonnance royale du 18 avril 1816, les nobles légitimistes effectuent une entrée en force au Conseil général de l’Isère : six des neufs nominations les concernent. Tous possèdent –ou possédaient – des attaches patrimoniales et familiales avec le Bas-Dauphiné : Charles-Laurent Planelli de Lavalette appartient à la famille des marquis de Maubec et des seigneurs engagistes des terres de Bourgoin avant 1789, Alexis de Gauteron contrôle un domaine de plusieurs centaines d’hectares dans la région de Tullins et à Virieu (pour son épouse), Berger de Moydieu est, quant à lui, le plus gros propriétaire foncier du canton de La Verpillière. Jean de Bellescize vient de récupérer une partie de ses terres au Nord-ouest du département grâce à un procès au détriment des habitants, Sibeud de Saint-Ferréol est allié aux Langon et à Gauteron, Claude de Trivio a longtemps demeuré en Viennois avant la Révolution, tandis que le comte du Bouchage est apparenté à une famille solidement implantée dans le canton de Morestel . De 1818 à 1830, dix-huit nouvelles nominations affectent la composition de l’assemblée départementale, dont onze au profit de nobles, tous nommés après le départ de Decaze du pouvoir, ayant là encore presque tous des intérêts en Bas-Dauphiné. Toutefois, les libéraux, rassemblés autour de la personnalité d’Augustin Perier , contrôlent l’assemblée départementale 1249 . Lors de la restructuration du conseil général avec l’arrivée de Louis-Philippe sur le trône, il ne reste plus que six nobles en son sein : les légitimistes les plus en vue sont écartés.

Même les conseils d’arrondissement, réputés plus bourgeois, se peuplent de nobles. Dans celui de La Tour-du-Pin , le signal du retour aux affaires de la noblesse est donné dès 1809 avec la nomination de Léonard Bathéon de Vertrieu. Sous la Restauration, toute la noblesse de l’arrondissement semble s’y être fixée rendez-vous : hormis les Donin de Rosière, les nobles libéraux y sont rares. Au contraire, les légitimistes contrôlent l’assemblée avec la présence de Luc-André Barge de Certeau, Joseph-César du Colombier, Eugène Rivoire de la Batie, du marquis de Vaulserre, de Timoléon de Murinais et de Scipion de Drujon en remplacement de Bathéon de Vertrieu décédé. On retrouve le même phénomène, mais à un degré moindre, dans l’arrondissement de Saint-Marcellin , alors que dans celui de Grenoble, la noblesse boude le conseil d’arrondissement. Guy-Joseph -François-Louis Timoléon Auberjon de Murinais 1250 , député de l’Isère à la Constituante à partir de 1790, pourfend systématiquement ses confrères révolutionnaires, tel Robespierre. L’échec de la monarchie le pousse à émigrer jusqu’à la paix d’Amiens. Dès l’Empire, il retrouve son influence politique, d’abord comme maire de Murinais, puis au Conseil d’Arrondissement de Saint-Marcellin. En septembre 1830, âgé de plus de soixante-dix ans, il abandonne son fauteuil de maire après l’échec de Charles X 1251 . Lors des élections de 1833, seul Adolphe Flocard de Mépieu parvient à se faire élire au conseil d’arrondissement de La Tour-du-Pin 1252 .

Grâce au système électoral fondé sur le suffrage censitaire, la noblesse dauphinoise s’empare également des sièges de la représentation nationale : Planelli de Lavalette, Meffray de Césarges, Gratet du Bouchage… entrent à la Chambre des députés. Quelques uns intègrent également la Chambre des Pairs comme les Gratet du Bouchage, oncle et neveu ou Joseph-Octavien-Marie Pourroy de Quinsonnas en 1827, tandis que son frère, Emmanuel-Victor siège à la Chambre entre 1824 et 1827. Entre 1815 et 1830, on dénombre en Isère onze députés nobles, contre trois seulement sous le régime suivant 1253 .

Les légitimistes, même s’ils ont un poids politique faible, occupent une place discrète mais de premier plan dans la société locale. L’appareil judiciaire est soigneusement épuré. Royer-Deloche, ancien avocat consistorial au parlement de Grenoble, président du tribunal de Bourgoin et député, est dessaisi en 1816 de son poste de procureur général à la Cour de Grenoble, comme d’ailleurs Joseph-Marie de Barral , le président de la Cour de Grenoble, qui avait réussi à traverser la Révolution. Ainsi, dans les rangs légitimistes, on retrouve le président du Tribunal de Grenoble, Accarias, le président du Tribunal d’Instance, Jacquemet, le procureur général Achard de Germane, le nouveau grand prévôt, Planta, mais aussi l’un des plus importants notaires de la cité, Jocteur-Monrozier qui possède d’ailleurs de solides attaches à Châtonnay , un village du Bas-Dauphiné, le principal fabricant de gants de Grenoble, la veuve Jouvin, l’homme d’affaires Eugène Nicolet… tandis que la garde nationale à cheval de l’Isère est sous leur contrôle. Charles-Laurent-Joseph-Marie Planelli de Lavalette, parent de Gabriel Gratet du Bouchage et du ministre de la Marine de Louis XVIII, occupe la fonction d’inspecteur des gardes nationales du département. Le même Gabriel Gratet du Bouchage commande en 1816 les gardes nationales de l’arrondissement de La Tour-du-Pin . Le marquis de Leyssin parcourt à cheval l’arrondissement de La Tour-du-Pin afin de s’assurer de la fidélité de la population. Réunis au sein d’une société secrète à Grenoble, Le Casino, évoqué d’ailleurs par Stendhal dans Le Rouge et le noir, et dirigé par le marquis de Chaléon, les légitimistes surveillent discrètement et activement le département. M. de Pujol, le gendre de Chaléon, met à profit ses originaires nobiliaires pour correspondre avec ses amis propriétaires de châteaux en Isère afin de mieux connaître l’état d’esprit des campagnes. Planelli de Lavalette, Gratet du Bouchage, Auberjon de Murinais , Chaléon, Bellescize, tous membres de la garde nationale, figurent parmi ses correspondants, au service du maréchal Mac Carthy, propriétaire d’un château en Bas-Dauphiné, et proche conseiller du comte d’Artois. Parmi les adversaires du Casino, on relève, pêle-mêle, d’anciens jacobins, des partisans de l’Empire et des acquéreurs de biens nationaux, autant d’individus qui ont construit et assis leurs carrières sur les décombres de l’ordre ancien 1254 . D’ailleurs, Stendhal n’écrivait-il pas à ce sujet : « ouvrez l’Almanach royal de 1829, vous verrez la noblesse occuper toutes les places » 1255 .

Le maréchal de camp Emmanuel-Victor Pourroy de Quinsonnas , élu député ultra en 1824, avant de rejoindre la Chambre des Pairs quelques années plus tard, préside le collège électoral de l’arrondissement de La Tour-du-Pin lors de son élection. On les retrouve également siégeant au Conseil de Préfecture, celui-là même qui est chargé de régler les litiges sur les biens nationaux et de faire appliquer la loi dite du « Milliard des émigrés » en 1825 1256 . Cependant, en mai 1823, la souscription ouverte en faveur du jeune duc de Bordeaux pour lui offrir le château de Chambord, ne recueille que 5.600 francs dans le département 1257 . Alors que Charles X rencontre de plus en plus d’opposition, deux anciens députés « ultras », élus en 1815 avec la Chambre « introuvable », retrouvent leurs sièges à l’occasion d’élections législatives partielles en 1829, Louis-Achille de Meffray et Charles-Laurent-Joseph-Marie Planelli de Lavalette, après le décès de deux députés jugés moins réactionnaires, Michoud et Chenavas 1258 .

D’ailleurs, plusieurs nobles originaires du Bas-Dauphiné gravitent dans le proche entourage de Charles X  et de la Cour des Bourbons : l’épouse de Louis-Achille Meffray de Césarges est demoiselle d’honneur de la duchesse de Berry et plus tard, l’un de ses petits-fils a pour parrain le comte de Chambord. François-Joseph Gratet du Bouchage retrouve en septembre 1815 le portefeuille de ministre de la Marine, qu’il avait déjà géré dans les derniers mois de la monarchie en 1792. Il reste en poste jusqu’en juin 1817 auprès de Louis XVIII. Jean-Pierre Gallien de Châbons occupe, quant à lui, la place d’aumônier du Comte d’Artois lors de la Restauration avant de rejoindre le service de sa belle-fille, la duchesse de Berry en 1821 comme premier aumônier. La proximité de l’entourage royal lui permet alors d’obtenir en 1822 l’évêché d’Amiens et la pairie deux ans plus tard. Chaléon est le principal agent d’information du Comte d’Artois en Bas-Dauphiné. Quant à Emmanuel-Victor Pourroy de Quinsonnas , militaire de carrière, il suit Louis XVIII pendant les Cent Jours à Gand, tandis que Antoine-Jean d’Agoult est promu premier écuyer de la Dauphine par le même Louis XVIII, après avoir été nommé maréchal de camp dans « l’armée des princes » en 1797. Son parent, Hector-Philippe d’Agoult est lui aussi au service de la Cour de France, comme ministre plénipotentiaire auprès des cours de Hanovre, de Suède puis des Pays-Bas. Le comte Victor Auberjon de Murinais , neveu de Timoléon de Murinais, est jusqu’à sa mise en retraite en janvier 1820 officier supérieur dans les gardes du corps de Louis XVIII. Son cousin, Charles-Antoine Auberjon de Murinais, entame une carrière diplomatique auprès du comte de la Ferronnays, avant de rejoindre la Cour de Florence comme attaché d’ambassade. Les nobles les plus puissants en Bas-Dauphiné sous la Restauration ont tous connu les affres de l’émigration pendant les premières années de la Révolution, que ce soit les membres de la famille Gratet du Bouchage, les Pourroy de Quinsonnas, les Virieu et autre Langon.

Avec l’échec de Charles X en 1830, la noblesse légitimiste de l’Isère, comme d’ailleurs dans tout le reste du pays, préfère se retirer de la vie politique 1259 , refusant de prêter serment de fidélité à Louis-Philippe, au profit d’une « stratégie régionale, terrienne, défensive », qui repose sur la détention de vastes propriétés foncières, sur un prestige social intact, mais les nobles doivent composer avec la méfiance des paysans à leur égard. Cette mise à l’écart contribue indéniablement à lever l’un des obstacles à la modernisation de la société locale. Plusieurs membres de la noblesse du Bas-Dauphiné gravitent dans les cercles de la Cour de Charles X. Hector-Philippe d’Agoult, propriétaire de terres en Bas-Dauphiné, abandonne la carrière diplomatique et son poste à Berlin en 1830. Son frère, Alphonse, lieutenant des gardes du corps de la compagnie de Noailles, accompagne le monarque déchu jusqu’à Saint-Lô 1260 . Tous n’adoptent pas l’attitude de Louis-Achille de Meffray , député, ou de Gallien de Châbons , maire, qui démissionnent de leurs fonctions publiques pour manifester leur opposition. Ainsi, Adolphe Flocard de Mépieu 1261 , maire de Sermérieu, parvient à se faire élire par le corps électoral au Conseil général en 1836, où il siège jusqu’en 1869, tandis qu’Othon de Moidière est maire de Bonnefamille entre 1840 et 1848. D’ailleurs, la majorité des légitimistes dauphinois se contenterait d’une monarchie parlementaire telle qu’elle a existé sous la Restauration.

La Monarchie de Juillet porte un coup sérieux à l’influence politique de la noblesse en Bas-Dauphiné. Les légitimistes farouches préfèrent se retirer tandis que l’élargissement du corps électoral lamine ceux qui émettent des velléités de se présenter à des élections. En 1833, il n’y a plus qu’un seul conseil général légitimiste en Isère, Jacquier de Terrebasse. Ici, le courant légitimiste réalise désormais moins de 10% des voix, comme d’ailleurs en 1839. De même, il n’y a plus qu’un seul député légitimiste dans le département 1262 . Sous la Monarchie de Juillet, le Conseil général de l’Isère est plutôt délaissé, volontairement ou non, par la noblesse : celle-ci représente alors une part réduite des élus. Les élites conservatrices font un retour en force sous le Second Empire : la noblesse, plus particulièrement, rejoint en masse le Conseil général de l’Isère autour de l’indéboulonnable Adolphe Flocard de Mépieu, constamment réélu depuis 1836 dans le canton de Morestel 1263 . Les Flocard de Mépieu et les Virieu sont à la tête de véritables « bourgs pourris ».

En 1833, les légitimistes représentent dans l’arrondissement de La Tour-du-Pin au maximum cinquante-deux électeurs sur deux cent soixante-huit, soit un cinquième du corps électoral 1264 . Ils compensent la faiblesse du nombre par le prestige de leur nom ou de leurs fonction, et par l’importance de leur poids économique. Leur influence doit davantage s’analyser à une échelle locale que départementale ou nationale. Cet accaparement du champ politique par une minorité explique peut-être l’apathie dans laquelle se trouve la population du Bas-Dauphiné à la veille de la révolution de 1848. Certes, il ne s’agit pas ici d’exagérer leur influence politique 1265 . Cependant, la quasi-totalité des grands propriétaires nobles du Bas-Dauphiné peuvent se rattacher de près ou de loin au « Parti vert » de Grenoble, c’est-à-dire aux légitimistes. En revanche, il est vrai que leurs idées ne trouvent pas un grand écho ici 1266 . Or, souvent ces notables de la Monarchie de juillet sont nés avant 1789 : en Isère, parmi les notables imposés de plus de mille francs, les deux tiers ont été témoins des événements révolutionnaires 1267 . Cela ne peut que renforcer chez certains, leur conservatisme social et politique et leur volonté de rejeter l’héritage révolutionnaire. Cette génération de notables exerce pendant toute la première moitié du XIXe siècle une pesante tutelle en Bas-Dauphiné, qui s’estompe après 1830. Plus que jamais dans cette première moitié du XIXe siècle, les notables isérois disposent d’une réelle influence locale, au détriment des autorités officielles : maires, conseillers municipaux, conseillers généraux ou nobliaux de campagne détiennent le pouvoir en Isère, contre l’Etat central. Préfets et sous-préfets ont besoin de leurs appuis et de leurs réseaux pour s’imposer localement 1268 .

Jusqu’à la Révolution de 1848 et l’instauration par la Seconde République du suffrage universel, l’arrondissement de La Tour-du-Pin se distingue par la faiblesse de son corps électoral. La monarchie constitutionnelle, tant la Restauration que la Monarchie de Juillet, repose sur le suffrage censitaire, c’est-à-dire sur un nombre d’électeurs limité par un niveau de fortune, déterminé par le cens. Malgré les mesures prises par les gouvernements de Louis-Philippe pour élargir le suffrage censitaire, cet arrondissement conserve dans les dernières années de la Monarchie censitaire, un indice électoral 1269 moyen d’environ 3,8‰, alors que dans l’arrondissement de Saint-Marcellin , plus au Sud, autour de la riche vallée de l’Isère, cet indice est presque deux fois supérieur. Même dans la région viennoise, les indices sont plus élevés. Dans certains cantons de l’arrondissement de La Tour-du-Pin, l’indice électoral ne parvient pas à dépasser le seuil des 3‰, comme dans celui de Morestel , de Crémieu et de Saint-Geoire 1270 . En d’autres termes, jusqu’à l’instauration du suffrage universel en 1848, ces cantons sont dominés politiquement par un corps électoral très restreint, peu représentatif d’une population très pauvre. Cela renforce donc le poids des élites nobiliaires dans la vie politique locale. Autrement dit, pouvoir et représentation politiques appartiennent aux détenteurs de la puissance économique et du prestige social.

Il n’y a pas de jacquerie en Bas-Dauphiné dans les années 1830 contre la noblesse et ses châteaux, semblable à celles de l’été 1789 ou à celles dans l’ouest du pays, signe peut-être que la noblesse ne fait plus peur et que son emprise diminue 1271 . Pourtant, chez les Auberjon de Murinais , on prépare activement les bagages à l’annonce de la révolution parisienne et du départ de Charles X au cœur de l’été 1830. Le souvenir des événements de l’été 1789 déclenche une nouvelle alerte. Finalement, le départ est repoussé et annulé 1272 . Leurs craintes sont néanmoins justifiées par des mouvements de paysans signalés dans le Bas-Dauphiné, pour s’emparer des communaux 1273 .

En février 1848, dans le sillage de la Révolution parisienne, les habitants des campagnes du Bas-Dauphiné se soulèvent une nouvelle fois contre les notables et les nobles pour recouvrer d’anciens droits d’usage abolis 1274 . La révolution de février 1848 surprend les Isérois, qui acceptent d’emblée la nouvelle république et son programme. Dans les jours qui suivent, l’enthousiasme évident de la population succède à une réelle atonie politique. D’une certaine manière, cela marque pour elle, la fin de la domination de l’aristocratie sur la vie politique locale. Rapidement, des banquets patriotiques sont organisés. À suivre les propos de Philippe Vigier, on a le sentiment que l’espoir renaît pour les habitants des Terres Froides. Mieux, un verrou psychologique saute définitivement. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les taux de participation aux premières élections organisées au suffrage universel dès le mois d’avril suivant : les taux les plus élevés se retrouvent dans les cantons où l’indice électoral était le plus faible avant 1848, c’est-à-dire surtout l’arrondissement de La Tour-du-Pin où le taux de participation est compris entre 88 et 97 %. Dans son ensemble, l’Isère réserve un triomphe aux candidats républicains. On peut cependant préciser cette géographie électorale en constatant que les candidats conservateurs obtiennent leurs meilleurs résultats dans le Bas-Dauphiné rural. De même, lors des premières élections présidentielles à la fin de l’année, le candidat des conservateurs, Louis-Napoléon Bonaparte, réalise ses meilleurs scores en Bas-Dauphiné. Dans l’arrondissement de La Tour-du-Pin et dans les cantons limitrophes – à l’exception du canton industriel de Voiron – il obtient au moins 82% des suffrages, avec des taux de participation très élevés. Mais, dès les élections législatives du printemps suivant, les conservateurs s’effondrent en Bas-Dauphiné 1275 .

Notes
1242.

CONARD (P.), 1904.

1243.

COULOMB (C.), 2006, p. 12.

1244.

COULOMB (C.), 2006, p. 19.

1245.

ROLLAND (M.), 1955, p. 58 et THORAL (M.-C.), 2004, p. 691.

1246.

THORAL (M.-C.), 2004, pp. 136-137 et p. 190. En guise de comparaison, dans les dernières années de la Restauration, dans le département de la Sarthe, 21% des maires sont des nobles, mais cette part chute à 5,3% après la Révolution de 1830. Voir VIVIER (N.), 2003. Dans le département de la Manche, la noblesse conserve une partie de son pouvoir et de son influence au moins jusqu’en 1875 selon GUILLEMIN (A.), 1976.

1247.

TURC (S.), 2005, vol. 2, pp. 1034-1036.

1248.

CLINQUART (J.), 2000, THORAL (M.-C.), 2005b.

1249.

THORAL (M.-C.), 2006. En Dordogne, les nobles occupent 29% des sièges au Conseil général en 1820, contre 20% en 1840 et à peine 12,6% vingt ans plus tard.

1250.

Né en 1759, Guy-Joseph -François-Louis-Timoléon Auberjon de Murinais est orphelin de père dès sa naissance. À l’âge de seize ans, il entame une carrière militaire dans le régiment Dauphin. Chevalier de l’Ordre de Malte, il rejoint les rangs des députés de la noblesse au printemps 1789 aux Etats Généraux puis siège à l’Assemblée Constituante où il se distingue par son opposition à Robespierre. Il finit par rejoindre l’armée de Condé puis émigre en Angleterre. En 1802, après son retour en France, il épouse la fille du marquis de Loras, un riche seigneur des Terres-Froides et ancien confrère député de Lyon à la Constituante, qui lui donne quatre enfants, trois filles (Adèle-Louise-Mélanie, Aglaé et Francine) et un fils, Charles-Antoine. Jusqu’au décès de son frère ainé, Antoine-Louis-Victor à Lyon, vers 1815, il porte le titre de chevalier de Murinais. Peu de temps avant son mariage, Timoléon de Murinais a reçu de son frère le château familial de Murinais et les terres attenantes, tandis que l’aîné, titré marquis de Murinais, se réserve le château de Marlieu, non loin de La Tour-du-Pin . Malade et affecté par le départ de Charles X, Timoléon de Murinais décède le 28 février 1831. Son oncle, le comte de Murinais, et ancien lieutenant du roi en Bretagne, siège comme député au Conseil des Cinq-Cents.

1251.

PILOT (J.J.A.D.), 1847, pp. 141-142.

1252.

THORAL (M.-C.), 2004, voir les annexes pp. 13-28. Font leur entrée au conseil général de l’Isère entre 1821 et 1830 : Frédéric de Glasson, Hector de Monteynard, Joseph du Bouchage, Joseph Ferrier de Montal, Benoît Drié de la Forte, Calixte de Pina, Philippe de Miremont, Planelli de Lavallette, le baron Quiot (noble d’Empire), Thimoléon d’Auberjon de Murinais .

1253.

TUDESQ (A.-J.), 1973. C’est en 1824 que l’on dénombre en France le plus de députés nobles, soit 58% des députés.

1254.

THOMÉ DE MAISONNEUVE (P.), 1938-1939.

1255.

CHAMPOLLION-FIGEAC (A.), 1892, p. 16, VERMALE (F.), 1944, ROLLAND (M.), 1955, pp. 60, 67, 70, 75, 89 et STENDHAL, Mémoires d’un touriste, 19 avril 1837, cité par SOBOUL (A.), 1976, p. 298.

1256.

CHAGNY (R.), 2001.

1257.

AVEZOU (R.), 1954, pp. 14-35.

1258.

PILOT (J.J.A.D.), 1847, p. 167.

1259.

Voir DENIS (M.), 1977.

1260.

BASSETTE (L.), 1953-1955.

1261.

Sous le Second Empire, il siège également au Corps législatif. Voir ANCEAU (E.), 1999, p. 241.

1262.

PILOT (J.J.A.), 1847, pp. 162-173, TUDESQ (A.-J.), 1973, pp. 199-214, JACQUIER (B.), 1976, p. 106, PINKNEY (D.), 1988, p. 330, 340, FIETTE (S.), 1997, pp. 131-132 et CHANGY (H. de), 2004, pp. 23-27, 32 et sq., et 58-59, ainsi que les cartes 3, 4, 5.

1263.

FIETTE (S.), 1997, pp. 280-283 : au niveau national, Fiette relève également un retour des nobles dans les conseils généraux sous le règne de Napoléon III puisqu’ils occupent alors un quart des cantons contre un sixième en 1840. Pourtant, en Isère, la proportion est bien moindre.

1264.

JACQUIER (B.), 1976, pp. 50-52 et 69.

1265.

VIGIER (P.), 1963a, vol 1, p. 140. Cet auteur montre que les grands propriétaires du Bas-Dauphiné ont en général une influence faible.

1266.

JACQUIER (B.), 1976, p. 39 et diverses : au fur et à mesure de notre lecture, nous pouvons relever les noms des principaux représentants du légitimisme en Bas-Dauphiné, qui coïncident avec la liste des principaux propriétaires fonciers établie par nos soins : Pina, Meffray , E.-V. de Quinsonnas , Planelli de Lavalette, Murinais, Barge de Certeau, Rivoire de la Batie, Euvrard de Courtenay, Cara de Labatie, Flocard de Mépieu, Dauphin de Vernas, Corbeau de Vaulserre , Leusse, Mortillet, Chaléon…

1267.

TUDESQ (A.-J.), 1964, vol. 1, p. 95.

1268.

THORAL (M.-C.), 2005c.

1269.

L’indice électoral calculé par Philippe Vigier indique le nombre d’électeurs au suffrage censitaire pour mille habitants.

1270.

VIGIER (P.) et ARGENTON (G.), 1949, pp. 5-6. Ce phénomène est d’ailleurs confirmé par TUDESQ (A.-J.), 1964, vol. 1, p. 93 : la carte de la répartition des électeurs censitaires par arrondissement électoral dressée pour l’année 1842, confirme une nette opposition entre la région grenobloise et les Terres-Froides. L’arrondissement de La Tour-du-Pin se situe dans la classe comportant entre deux cents et quatre cents électeurs inscrits. Feyel indique qu’en Isère il y a 5,12 électeurs pour mille habitants sous la Monarchie de Juillet, ce qui le place parmi la moitié des départements français ayant le moins d’électeurs, voir FEYEL (G.), 1987.

1271.

PLOUX (F.), 2002.

1272.

PRAT (J.M.), 1872, pp. 121-122.

1273.

VIVIER (N.), 1998, p. 230.

1274.

LE GALL (L.), 2005, p. 107.

1275.

VIGIER (P.) et ARGENTON (G.), 1949, voir les cartes électorales situées entre les pp. 16-17 et 36-37.