2-Du clocher à l’esprit de clocher.

Comme dans de nombreux villages de France, les paysans se sentent liés à leur village d’origine par un profond attachement sentimental : c’est la patrie des ancêtres, c’est un espace vécu que l’on connaît et que l’on maîtrise, avec ses codes, ces saints locaux, ses patois, ses paysages, ses rites, sa parentèle. D’une certaine manière, le clocher symbolise cette relation spirituelle qui unit les paysans à la communauté ou au village. La pénétration de la société englobante y est donc plus difficile. L’étranger à la communauté surprend ou fait peur, à tel point que la gendarmerie, corps exogène au village, est régulièrement accueillie dans les villages du Bas-Dauphiné avec hostilité et vécue par les villageois comme une intrusion ou une agression 1301 .

À la veille de la Révolution, l’Isère compte près de quatre-vingts couvents et monastères, l’arrondissement de Grenoble étant le plus fourni en la matière. Mais, les biens ecclésiastiques sont rapidement vendus comme biens nationaux, tels ceux appartenant aux Augustins, à Crémieu 1302 . À partir de 1790, les ecclésiastiques du département acceptent majoritairement de prêter serment de fidélité à la constitution civile du clergé, malgré quelques résistances en Bas-Dauphiné, notamment dans les Terres Froides où se concentrent les prêtres réfractaires. La déchristianisation voulue par les révolutionnaires sous la Terreur touche inégalement le département : elle concerne davantage l’espace urbain, c’est-à-dire Grenoble, et les espaces environnants. Au contraire, les populations rurales du Bas-Dauphiné moins enthousiastes à l’égard du nouveau culte révolutionnaire, subirent les menaces d’armées révolutionnaires parisiennes et locales 1303 .

La reconstruction concordataire débute petitement si l’on se réfère aux six cent quarante lieux de culte recensés avant 1789 : il n’en reste plus que cinq cent trois au début du XIXe siècle, et encore ne sont-ils pas tous pourvus d’un desservant 1304 . Sitôt les années terribles passées, les masses populaires du Bas-Dauphiné semblent saisies de frénésie religieuse avec des manifestations collectives et publiques d’une nouvelle foi ardente, la construction de croix, le retour des reliques dans les chapelles et les églises. Les croix de pierre, de bois ou de métal fleurissent le long des routes ou dans les villages. Le pape Pie VII, lors de son périple à travers l’Isère à son retour du sacre impérial, reconnaît lui-même qu’il passe « au milieu d’un peuple à genoux ». C’est également dans les Terres Froides, là où les prêtres réfractaires sont les plus nombreux, que l’on rencontre le plus de candidats ayant reçu les ordres sacrés, sous l’Empire. En revanche, et paradoxalement, ils sont peu nombreux dans les régions les plus reculées où l’on pratique le plus le tissage de toiles comme les cantons de La Tour-du-Pin , Pont-de-Beauvoisin , Morestel , Virieu, Saint-Geoire et Voiron , malgré la présence d’écoles cléricales. Cette quête spirituelle nouvelle après la Terreur et la phase de déchristianisation, se traduit également par l’apparition d’un mouvement messianique, une secte, fondée par un ancien religieux joséphiste, André Marion, assisté de sa servante, prétendue future mère du Messie. Installée à Parménie, près de Réaumont, la secte évoque, pour séduire son auditoire, des temps de désolation et d’apocalypse. Les fanatiques, quelques centaines, originaires de Beaucroissant, Rives , Tullins , Voiron, La Buisse, des plateaux du Chambaran, parviennent à rassembler jusqu’à dix mille personnes pour certaines célébrations, mais dès 1807, la fièvre spirituelle autour de cette secte retombe 1305 .

Après la tourmente révolutionnaire et l’épisode napoléonien, les autorités religieuses de l’Isère se lancent dans la reconquête des fidèles. Sans doute inspirés par l’Essai sur l’indifférence religieuse, de Lamennais, publié en 1817, les évêques de Grenoble tentent de lutter contre l’impiété et de rétablir les principes d’autorité de Dieu dans les campagnes iséroises, grâce à « une reconquête morale et religieuse » 1306 . La politique menée par le gouvernement Villèle entre 1822 et 1828 ne peut que les encourager à agir dans ce sens. C’est d’ailleurs ce que dénonce Stendhal, originaire de l’Isère, dans son roman Le Rouge et le Noir, la première couleur symbolisant le républicanisme de son héros ou sa carrière militaire impossible depuis la chute de Napoléon, tandis que la seconde teinte désigne les milieux ecclésiastiques à l’œuvre sous le règne de Charles X et plus particulièrement la Congrégation si souvent dénoncée par cet auteur 1307 . Entre 1807 et la fin de la Monarchie de Juillet, le nombre de succursales augmente d’un quart en moyenne en Isère. Le maillage paroissial mis en œuvre alors concerne davantage l’arrondissement de La Tour-du-Pin avec la création de vingt-neuf succursales, soit un augmentation de 37% sur cette période. De même, pour l’établissement de communautés religieuses, une attention particulière est une nouvelle fois portée au Bas-Dauphiné, au détriment de la Montagne, que ce soit par les frères Maristes 1308 ou les frères de la Doctrine chrétienne 1309 , par les Dominicains à Voreppe ou par les Oblats de Marie, établis à Vinay , en ce qui concerne les ordres masculins. Le même constat s’impose pour les communautés féminines : hormis Grenoble, toutes s’établissent dans le Bas-Dauphiné, en grande majorité sous le règne de Charles X, délaissant volontiers les zones montagneuses 1310 . Cela tient probablement aux troubles religieux qu’a davantage connu le Bas-Dauphiné, sous la Révolution : cette contrée a subi quelques sévices, infligés par les représentants en mission tels que Albitte, Laporte ou Amar, de passage en Bas-Dauphiné plutôt que dans les montagnes iséroises 1311 . À la fin de l’Empire, le diocèse de Grenoble est celui de France où l’on compte le moins de religieuses (trente-neuf contre neuf cent quatre-vingt-dix pour le Rhône), de communautés et d’enfants scolarisés dans l’enseignement religieux. Sur le terrain, l’action épiscopale est activement relayée par des curés soucieux d’embellir chapelles et églises : ils sont les premiers à soutenir des projets de construction en tant que « meneurs de projets », puis à rassembler autour d’eux des fonds privés versés par de généreux souscripteurs 1312 .

Le retour et le renforcement du clergé rural après la signature du Concordat, en Isère comme dans d’autres départements, donnent une nouvelle vigueur à la structure paroissiale, souvent confondue avec la commune. En 1789, on dénombrait quelque six cent quarante lieux de culte dans le département. En 1808, la reconstruction concordataire a donné naissance à trois cent quatre-vingt-dix-sept paroisses seulement, alors qu’il y a plus de cinq cents communes. Dans les décennies qui suivent, l’objectif des autorités religieuses, mais aussi des communautés rurales, est d’accroître le nombre de paroisses et de desservants. Les revendications villageoises vont clairement dans le sens d’un développement paroissial afin de faire coïncider paroisse et commune 1313 . On dénombre au XIXe siècle, deux cent quatre-vingt-huit constructions ou reconstructions d’églises en Isère, sans compter les simples travaux de restauration, qui mobilisent non seulement les curés de campagnes mais également leurs fidèles : ainsi une paroisse sur deux est concernée par ce vaste mouvement de rechristianisation départementale. Cela fait de l’Isère le principal département bâtisseur de France au XIXe siècle 1314 .

De même, tout au long du XIXe siècle, les ordinations de prêtres, en Isère, ne cessent pas de croître, à tel point qu’en 1871, on dénombre huit cent quatre-vingt-onze prêtres pour sept cent vingt paroisses. L’artisan de ce renouveau des vocations est Mgr de Bruillard (1823-1852) qui organise les premières visites pastorales dans son diocèse, au rythme d’un arrondissement par an, avec également une abondante correspondance pastorale destinée aux fidèles par l’entremise des homélies dominicales. Le même évêque organise des missions paroissiales parcourant l’Isère au rythme des sermons, de cérémonies ouvertes à toute la population afin de raviver la ferveur religieuse 1315 . Même si les curés se plaignent régulièrement du déclin de la pratique pascale et de la désertion des églises, il n’en reste pas moins qu’il existe une religiosité assez forte en Isère dans la première moitié du XIXe siècle : les reconstructions d’églises et le succès des vocations religieuses l’attestent. De même, le succès immédiat – quoique contesté par les autorités religieuses – du pèlerinage de la Salette à partir de 1846, confirme cette recherche de spiritualité dans le département 1316 . S’ils délaissent parfois la messe du dimanche, les Bas-Dauphinois accordent en revanche beaucoup d’importance aux messes en faveur des défunts, à tel point que le clergé rural se plaint régulièrement de la surcharge de travail que cela leur procure 1317 .

À la fin du XVIIIe siècle, le clergé rural détient toujours une place importante dans les communautés villageoises du Bas-Dauphiné, détenteur d’un pouvoir spirituel et temporel reconnu. Par la maîtrise des cloches, c’est lui qui contrôle le temps à la campagne, lorsqu’elles retentissent pour marquer l’angélus. Le tintement quotidien des cloches rythme la vie des paysans. Cependant, cette influence est battue en brèche dans la partie Nord du Bas-Dauphiné, c’est-à-dire dans les cantons de Crémieu, Heyrieu et Saint-Jean-de-Bournay et dans une moindre mesure dans celui de Morestel , ainsi que dans la vallée de l’Isère dans les cantons de Rives , Tullins , Vinay et Saint-Marcellin . En effet, tous ces cantons ont en commun de disposer du plus grand nombre de cadrans solaires. On dénombre alors seulement cent soixante-seize cadrans en Bas-Dauphiné, dont cent cinquante sur les murs de maisons particulières. Vingt-quatre cadrans sont placés dans des chefs-lieux de cantons. Pour le seul arrondissement de La Tour-du-Pin , une majorité des gnomons est postérieure à 1780, signe d’une lente transformation dans l’appréhension du temps, avec la mention souvent de devises révolutionnaires ou paillardes. Les cantons les plus ruraux (La Tour-du-Pin, Pont-de-Beauvoisin , Saint-Geoire , Le Grand-Lemps , Beaurepaire, Roybon, Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs et Virieu) abritent au mieux trois cadrans solaires. Dans ces cantons, où l’industrie rurale est la plus implantée, les curés conservent donc la maîtrise du temps. Au contraire, on rencontre davantage de cadrans dans la vallée de l’Isère (trente cadrans dans le canton de Saint-Marcellin et quarante-deux dans celui de Pont-en-Royans ) ou dans le canton industriel de Rives (vingt-quatre cadrans) 1318 .

Dès 1789, un fort « sentiment provincialiste » se développe dans les campagnes françaises 1319 . Le projet de départementalisation échafaudé par les constituants trouve un écho particulier en Bas-Dauphiné, ballotté entre la multiplicité des intérêts locaux. Alors que les Français rejetaient dans les cahiers de doléances les limites administratives incompréhensibles de l’Ancien Régime, ils manifestent une certaine méfiance dans les nouveaux départements, ce qui entraîne par ricochet un nouvel attachement aux racines locales.

Au niveau local, on assiste à l’exaltation de « l’esprit de clocher » et à son enracinement grâce à ces nouvelles églises. Pour s’imposer de nouveau dans les communautés rurales, le clergé rural cherche à valoriser l’identité villageoise autour de l’édifice cultuel, renforçant ainsi l’isolement – moral et spirituel ici – des habitants des campagnes 1320 . Ces rivalités entre villages ressurgissent régulièrement. Lorsque la reconstruction concordataire s’engage, l’évêque de Grenoble décide de réunir plusieurs communes autour d’une seule église pour faire face à la pénurie de desservants. Pour certains, cela signifie une rupture profonde avec le passé et les ancêtres, car il faut désormais aller se marier ou se faire enterrer dans une autre église. Suppliques et protestations se multiplient auprès des autorités ecclésiastiques. Rattachés à l’église de Saint-Alban, les habitants de Domarin auraient mille fois préféré aller suivre la messe à Maubec «  à cause d’une haine aussi vieille que ridicule qui existe entre les deux communes et qui se manifeste brutalement toutes les fois que ces chrétiens se trouvent réunis ». À Blandin et à Panissage, on fait appel à d’anciens prêtres que l’évêque n’avait pas désignés, pour assurer le service dominical plutôt que d’aller dans une autre église. À Saint-Martin-de-Vaulserre, les pénitents assurent la continuité religieuse dans la commune puisque la messe se déroule dans une autre commune. Dans les premières années de la Restauration, les jeunes gens du Bas-Dauphiné qui se rendent au pèlerinage et à la foire de la Milin, au cœur des Terres Froides, prennent l’habitude de se battre sur place avec les habitants d’autres villages, par simple « esprit de clocher » 1321 . Habitués à vivre au sein d’une communauté rurale isolée, les paysans du Bas-Dauphiné n’ont aucune envie d’aller prier, de se marier ou de se confesser dans l’église du village voisin, car « c’était pour ce peuple enraciné dans sa terre, perdre un peu de son âme » 1322 .

Déjà sous l’Ancien Régime, le Bas-Dauphiné se distingue par une endogamie paroissiale plus faible que dans la partie montagneuse de la province de Dauphiné, signe d’une certaine ouverture et de l’existence d’une mobilité géographique de courte distance. Cela entraîne une consanguinité quasiment nulle en Bas-Dauphiné (2% des mariages ont recours à une dispense religieuse de consanguinité). Le Bas-Dauphiné conserve cependant des structures démographiques formées au Moyen Age, autour des Communautés (composées de plusieurs paroisses), plutôt que sur une seule paroisse 1323 . En Dauphiné, chaque communauté s’organise autour d’une assemblée générale des habitants, à laquelle seule une minorité participe régulièrement, pour élire les consuls, approuver les comptes de la communauté, décider de l’entretien et de la construction de chemins 1324

Les facteurs économiques expliquent partiellement l’installation de la pluriactivité dans les campagnes du Bas-Dauphiné. Incontestablement, la contrée est pauvre, surpeuplée et possède une agriculture peu performante pour nourrir les siens. Jusqu’à la fin de la Restauration, les vivres manquent régulièrement. La petite propriété paysanne suffit rarement à assurer l’existence de toute une famille.

Deux alternatives s’offrent aux paysans du Bas-Dauphiné dans la première moitié du XIXe siècle : quitter le terroir qui les a vus grandir ou rester. Ceux qui migrent, gagnent la grande ville voisine, Lyon. Ils offrent leurs bras à l’industrie la plus importante de la cité : la fabrication des soieries. Ceux qui choisissent de rester, doivent affronter la misère : la médiocrité des sols et la faible taille des parcelles les poussent à chercher d’autres revenus. Les uns deviennent journaliers, les autres (ou les mêmes) se font tisseurs en chambre. Avec les quelques dizaines de francs qu’ils retirent de la pluriactivité, les ménages paysans consolident leur autonomie sociale et économique : ils règlent leurs impôts et leurs dettes, achètent quelques ares de vignes ou de forêts au lieu de vendre leurs terres. La diaspora des ouvriers en soie bas-dauphinois installés à Lyon constitue une filière qui assure la promotion de la contrée auprès des fabricants lyonnais de soieries. L’essaimage des métiers à tisser doit se faire de façon rationnelle : les fabricants utilisent alors leur savoir-faire technique et leur connaissance du Bas-Dauphiné pour organiser la « ruralisation » des métiers.

Cependant, des facteurs socioculturels doivent être pris en compte. La Révolution française a temporairement mis fin à la grande propriété aristocratique : les grands domaines ont été dépecés par les paysans en milliers de lots. Attachés à leur seul bien, les habitants du Bas-Dauphiné assistent avec méfiance au retour de leurs anciens seigneurs. Les rumeurs d’un rétablissement de l’Ancien Régime se propagent dans les campagnes pendant toute la première moitié du XIXe siècle. Pour les Isérois, avides de liberté depuis la fin du XVIIIe siècle, le retour en force d’une noblesse particulièrement réactionnaire ne peut que briser leurs attentes. Rapidement, la vieille noblesse dauphinoise assoie son emprise sur les campagnes de l’arrondissement de La Tour-du-Pin  : les châteaux sont restaurés, les grands domaines reconstitués, comme d’ailleurs les fortunes, tandis que le pouvoir politique est capté par cette minorité. Dans quelques dizaines de communes, la noblesse établit son patronage. À défaut de pouvoir s’exprimer librement par les urnes, les paysans cherchent à éliminer l’influence de la noblesse par une autre voie. Plusieurs indices prouvent qu’une majorité de la population rejette cette suprématie, alors que d’autres s’en accommodent très bien. Les résultats des élections de 1848 dans le Bas-Dauphiné montrent un véritable rejet du système social et politique établi en 1815. Dans de telles conditions, le tissage à domicile, d’abord de toiles puis de soieries, constitue pour tous la solution aux grands maux de l’époque : il assure l’autonomie financière et sociale des familles qui le pratiquent, réduisant ainsi l’influence du patronage nobiliaire, d’autant que cet arrondissement compte le plus grand nombre de journaliers. On comprend mieux alors pourquoi les habitants des Terres Froides ont accepté aussi facilement de mettre leurs bras au service des fabricants, pour un salaire aussi miséreux (1 francs par jour pour les femmes, selon Yves Lequin). En fin de compte, le tissage à domicile assure la stabilité et le renforcement de la communauté villageoise, autant d’éléments qui ont les faveurs des paysans, mais aussi de la noblesse. Autour de Corbelin , où la propriété aristocratique est plus faible au XIXe siècle, la paysannerie voit dans le tissage un moyen de maintenir son style de vie et sa cohésion.

Le tissage de soieries se concentre en partie dans l’ancien territoire de la nébuleuse toilière, là où la main d’œuvre est déjà habituée à travailler à domicile pour des marchés lointains. L’autre caractéristique, et non des moindres, est sa localisation dans les régions où les anciennes structures seigneuriales demeurent les plus vivaces, là où les antagonismes sociaux et politiques sont les plus forts. Contrairement au district drapier du West Yorkshire cher à Pat Hudson, la résistance de l’Ancien Régime en Bas-Dauphiné favorise l’émergence d’un verlagsystem organisé depuis Lyon. Certes, la présence d’une grande propriété aristocratique est compensée par une petite propriété diffuse et non moins importante. La déliquescence de l’Ancien Régime favorise donc la proto-industrialisation soyeuse et inversement cette dernière assène les coups fatals à l’ordre ancien. Le verlagsystem pour la production de peigné étudié par Hudson s’épanouit dans les espaces de petites propriétés, en l’absence de structures manoriales 1325 . Mais dans d’autres communes, en particulier autour de Corbelin , la faible présence nobiliaire stimule aussi l’implantation du tissage de soieries, car il offre des revenus supplémentaires et contribue à fixer les habitants. Dans tous les cas de figure, le tissage à domicile sert de ciment à la communauté villageoise et assure son indépendance sur le plan social et économique.

Dans l’arrondissement de La Tour-du-Pin , l’épanouissement du tissage à domicile pendant tout le XIXe siècle renforce l’esprit communautaire des villageois. Le tissage à domicile encourage le maintien de la population au village et contribue, ainsi, au repli des habitants sur le village. L’esprit de clocher, déjà très répandu et favorisé par l’isolement de la contrée, s’affermit dans la partie orientale du Bas-Dauphiné. Lorsque les fabricants lyonnais proposent aux villageois de prendre un de leurs métiers, plutôt que de migrer vers la grande ville, ceux-ci acceptent et évitent une rupture du lien familial et communautaire. Le tissage à domicile, dans le cadre du kaufsystem toilier, garantit à ses adeptes une large liberté individuelle, puisque le négociant voironnais n’intervient qu’au moment de la vente de la pièce par le tisserand. Personne ne surveille l’avancement du travail. Sous le Second Empire, le retour de la noblesse correspond à une nouvelle poussée du tissage à domicile.

Notes
1301.

STUDENY (C.), 1995, pp. 19-22 et THORAL (M.-C.), 2005a, pp. 193-211.

1302.

LASSERRE (P.), 1989.

1303.

ROBIN (F.), 2002, pp. 262-268 et GODEL (J.), 1968, pp. 37-38.

1304.

GODEL (J.), 1968, pp. 129-131.

1305.

FAUCHON (G.), 1954 et GODEL (J.), 1968, pp. 214-220, 228-230 et 288-290.

1306.

DEMIER (F.), 2000, p. 93.

1307.

MARTINEAU (H.), 1951, pp. 385-386.

1308.

À La Côte-Saint-André, Viriville , Saint-Quentin.

1309.

À Vienne, Bourgoin , Saint-Marcellin , La Tour-du-Pin , Crémieu, Voreppe , La Bâtie-Montgascon .

1310.

PILOT (J.J.A.), 1847, pp. 272-277.

1311.

Voir ROBIN (F.), 2002, pp. 141-144, 153, 186. Robin dénombre, pour l’Isère, au moins 525 individus considérés comme suspects, dont un tiers de religieux.

1312.

GODEL (J.), 1968, p. 224.

1313.

BOUTRY (P.), 2006, pp. 289-290.

1314.

AVENIER (C.), 2004, pp. 110, 118-119, BOUTRY (P.), 1997, vol. 3, pp. 3081-3107.

1315.

GODEL (J.), 1968, BLIGNY (B.), 1979, pp. 199-208 et p. 239.

1316.

BOURGEOIS (R.), 2006.

1317.

FRECHET (J.), 1984, pp. 16-17.

1318.

AVENIER (C.), 1999, pp. 7-22. Les cantons reculés de Crémieu et de Morestel ont respectivement onze et douze cadrans solaires.

1319.

REVEL (J.), 2006, p. 356.

1320.

PLOUX (F.), 2006, pp. 42-43.

1321.

GODEL (J.), 1968, pp. 133-136 et FRECHET (J.), 1984, p. 151.

1322.

GODEL (J.), 1968, p. 133.

1323.

PROST (M.) et REVOL (M.), 2000, pp. 391-414. L’endogamie paroissiale permet de comparer le lieu de naissance des deux époux, avec comme unité de bas la paroisse : en Bas-Dauphiné, la moyenne est de 0,5 contre 0,86 pour le Briançonnais, 0,67 pour l’Oisans. En revanche, si l’on examine l’endogamie au niveau de la communauté (mandement) ou de la province, le Bas-Dauphiné ne se démarque plus de l’ensemble de la province. Pour les paroisses frontalières comme Pont-de-Beauvoisin ou Saint-Albin-de-Vaulserre , l’endogamie paroissiale est encore plus faible.

1324.

BONNIN (B.), 1978, pp. 19-45.

1325.

Voir BERG (M.), HUDSON (P.) et SONENSCHER (M.), 1983, citée par ZEITLIN (J.), 1985. Dans le West Yorkshire, l’activité drapière se développe sous la forme d’un kaufsystem dans les régions où dominent les structures manoriales, ce que l’on constate au XVIIIe siècle en Bas-Dauphiné avec la nébuleuse toilière.