Seconde partie-La reine-soie (milieu XIXe siècle-années 1880).

Le milieu du siècle marque un tournant important dans l’industrialisation locale : l’activité toilière marque définitivement le pas devant la forte croissance du tissage de soieries, celui-ci devenant l’activité dominante. Paradoxalement, le tissage à domicile se diffuse largement dans les campagnes sous le Second Empire. Jamais, il n’y a eu autant de métiers à tisser dans les chaumières du Bas-Dauphiné, à l’heure de l’industrialisation triomphante. La croissance du tissage n’avait pas été aussi forte dans les décennies précédentes. La troisième rupture concerne l’organisation du tissage : les fabricants lyonnais font désormais massivement appel à des entrepreneurs à façon pour tisser leurs soieries, alors que, jusque-là, la sous-traitance ne concernait que la filature et le moulinage. Jusqu’à la fin des années 1840, les fabricants de soieries se chargent eux-mêmes du tissage en Bas-Dauphiné. À partir du milieu du siècle, ils utilisent aussi les services de nouveaux intermédiaires, les tisseurs à façon. Après deux décennies de restructuration, l’industrie cotonnière entre dans une nouvelle phase de prospérité, tandis que la production de cocons en Bas-Dauphiné atteint son apogée entre 1850 et 1853.

D’une certaine manière, le Bas-Dauphiné soyeux se trouve dans une situation analogue à celle de l’Alsace : une pauvreté rurale, marquée par la pénurie de terres pour une frange de la population, une pression démographique et une certaine malnutrition. Pourtant, ces contraintes n’empêchent nullement l’Alsace de se développer. Michel Hau fait même de cette pauvreté un atout d’un point de vue salarial pour le développement industriel de l’Alsace. L’Isère diffère cependant de la situation alsacienne par un produit végétal par actif très inférieur 1328 . La Double, en Périgord, elle aussi marquée par une extrême pauvreté, ne connaît pas malheureusement d’industrialisation au XIXe siècle 1329 . Le Midi toulousain a, lui, connu une autre trajectoire avec une croissance ralentie voire une désindustrialisation prononcée tout au long du siècle 1330 . Dans l’aire d’influence lyonnaise, le Bas-Dauphiné évite de subir un tel sort.

Comment le tissage de soieries se substitue-t-il aux industries cotonnières et toilières ? Comment fait-il la conquête du Bas-Dauphiné ? Comment les fabricants de soieries gèrent-ils la « ruralisation » des métiers à tisser ?

Le mouvement de « ruralisation » de la Fabrique lyonnaise amorcé dans la première moitié du siècle, s’accélère après 1850 : le Bas-Dauphiné se couvre de métiers à tisser. Pour organiser la diffusion du tissage de soieries, les fabricants font appel à de nouveaux intermédiaires, des façonniers, chargés de fabriquer une partie des étoffes. Rapidement, des relations interentreprises inégalitaires s’établissent entre eux, au profit des fabricants de soieries. Tous les exploitants de fabriques mettent en place, à des degrés divers, de nouvelles méthodes de gestion de leur personnel. Cette conquête de la reine-soie entraîne la marginalisation des industries cotonnière et toilière, tandis que la sériciculture s’efface très rapidement, victime de la maladie du ver à soie.

Notes
1328.

HAU (M.), 1987b.

1329.

MARACHE (C.), 2006.

1330.

MINOVEZ (J.-M.), 1997.