Chapitre 5-Production dispersée, production concentrée.

Le passage du cycle des toiles à celui des soieries après 1830, constitue une rupture plus profonde qu’il ne paraît de prime abord. Loin d’être la simple substitution d’un produit par un autre, le cycle inauguré dans les années 1830 repose sur un verlagsystem, contrairement à son prédécesseur, organisé dans le cadre d’un kaufsystem. Désormais, la matière première est fournie par le fabricant lyonnais, qui en conserve la propriété, ainsi que le métier à tisser (mais pas systématiquement), tandis que l’ouvrier reçoit pour rémunération de son travail le tarif de la façon. Les tisseurs qui entrent dans le verlagsystem soyeux perdent donc une partie de leur autonomie. Cela se traduit par un net progrès du salariat au détriment du travail indépendant.

La nouvelle organisation de la Fabrique lyonnaise qui se structure lentement au milieu du XIXe siècle ne correspond pas aux schémas traditionnels d’efficience économique. Pour répondre à la forte croissance de la demande, les fabricants lyonnais font le choix de l’essaimage et de l’augmentation du nombre de métiers à bras, alors que les industriels cotonniers américains ou anglais, imités par les soyeux anglais, privilégient le capital au détriment du travail pour accroître leur production, avec la mécanisation de leur outillage 1331 . Les patrons du coton et de la laine français entament eux aussi la mécanisation de la production, mais les fabricants de soieries lyonnais font le pari inverse, peu rationnel économiquement. Pourtant, la mécanisation semble l’alternative la plus crédible, d’autant que l’heure est à l’industrialisme triomphant. Les solutions les plus efficaces, comme la concentration des métiers dans des proto-fabriques urbaines ou la mécanisation, ne s’imposent pas. Plutôt que l’efficience économique, les fabricants lyonnais cherchent à affermir leur autorité et leur pouvoir sérieusement ébranlés par les soulèvements des canuts de 1831 et 1834 1332 . La cohésion et la forte solidarité des chefs d’atelier les poussent à s’éloigner de la cité.

Comment se diffuse le tissage de soieries dans les campagnes du Bas-Dauphiné ? Comment s’organise la production ? Quels foyers émergent au sein du Bas-Dauphiné ?

Alors que les fabricants de soieries s’étaient surtout développés en Bas-Dauphiné grâce à la concentration de leurs métiers dans des établissements avant 1850, ils adoptent une autre stratégie pour répondre à la forte demande : ils préfèrent essaimer leurs métiers chez des tisseurs après cette date. Pourtant, des fabriques sont construites dans la seconde moitié du siècle, surtout par des façonniers qui sont les premiers à utiliser massivement le tissage mécanique. La « ruralisation » de la Fabrique lyonnaise n’est possible que si les campagnes sont étroitement connectées à la métropole lyonnaise.

Notes
1331.

CHANDLER (A. D.), 1977, pp. 66-67.

1332.

Voir les travaux de Perrow sur le pouvoir pour justifier l’existence de certaines organisations économiques, alors qu’il rejette ou nuance le rôle de l’efficience. PERROW (C.), 1986.