I-Le succès du tissage à domicile.

Pendant longtemps, on a cru que le tissage à domicile se limitait au seul XVIIIe siècle et ne représentait plus qu’une activité résiduelle et marginale au siècle suivant, avec le triomphe de l’usine 1333 . De ce postulat, découle alors ce qui faisait l’originalité de la Fabrique lyonnaise de soieries au XIXe siècle, sa « proto-industrialisation décalée » 1334 . Avec la multiplication des études sur ce thème depuis un quart de siècle 1335 , on en vient à se demander si le tissage à domicile n’est pas la norme en France pendant une grande partie du XIXe siècle, et le tissage mécanisé et concentré l’exception. Longtemps présentée comme un vestige du passé ou un archaïsme par les historiens, l’organisation dispersée, hiérarchisée et manuelle de la Fabrique lyonnaise est, au contraire, perçue par les contemporains comme particulièrement efficace, dynamique et souple 1336 . Ses laudateurs vantent même la modernité d’une telle organisation. Au milieu du XIXe siècle, la proto-industrialisation soyeuse se présente en Bas-Dauphiné à la fois comme une pluriactivité de nécessité, de maintien et d’indépendance, car elle ne relève pas seulement de facteurs économiques 1337 . Elle assure des revenus précieux à des campagnes miséreuses tout en fixant une population tentée par l’attrait de la grande ville voisine, Lyon. Cette pluriactivité favorise l’émancipation des campagnes de la domination nobiliaire encore très présente en Bas-Dauphiné.

Notes
1333.

La majorité des études sur la proto-industrialisation, dans les années 1970, a d’abord concerné cette période. Voir les numéros spéciaux de la Revue du Nord, en 1979 et 1981.

1334.

CAYEZ (P.), 1981.

1335.

Voir par exemple pour le Nord de la France, TERRIER (D.), 1996, en particulier la carte p. 171 qui prouve la survivance du tissage rural dispersé en 1880, pour la région stéphanoise REYNAUD (B.), 1991, pour Troyes HARDEN CHENUT (H.), 2005, pour Elbeuf BECCHIA (A.), 2000, pp. 584 et sq, pour Sedan DAUMAS (J.-C.), 2004, pp. 71-75, pour Cholet CHEVALIER (J.-J.), 1988. Cette dispersion du tissage jusqu’à la fin du XIXe siècle persiste également en Ontario, au Nouveau Brunswick et au Québec. Voir CRAIG (B.) et RYGIEL (J.), 2000.

1336.

FAURE (A.), 1986.

1337.

HUBSCHER (R.), 1988b, p. 49.