Le premier élément de cette organisation est constitué par le réseau et le service postal. En effet, le fabricant lyonnais a besoin de fournir des instructions écrites, à défaut d’être orales, à ses contremaîtres dans les campagnes ou ses directeurs de fabriques sur les étoffes à tisser, que ce soit en matière technique ou pour les délais.
Or dans la première moitié du siècle, on assiste à la mise en place d’une politique de maillage du territoire en bureaux de poste, notamment avec le vote d’une loi en avril 1832 sur le service postal rural, tandis que depuis les années 1820, les délais d’acheminement du courrier sont considérablement réduits, avec la densification du maillage des relais de poste 1550 . En Isère, le Conseil général s’engage activement à soutenir le maillage postal du département, avec l’aide des subsides versés par l’Etat. En 1840, seulement cent trente communes sur plus de cinq cents, soit un quart des communes du département, sont desservies quotidiennement par le service postal. En 1852, ce chiffre est multiplié par trois (soit trois cent quatre-vingt-sept communes), sans compter celles qui disposent d’un bureau de poste. À cette date, on estime, que cinq années supplémentaires sont encore nécessaires pour couvrir tout le territoire départemental 1551 .
De même, le marchand de soie doit pouvoir suivre au mieux les récoltes de cocons et surtout les achats quotidiens lors des marchés réalisés par ses correspondants 1552 . Jusque tard dans le siècle, matières premières et soieries sont expédiées par l’intermédiaire de voituriers qui n’ont pas le droit de distribuer le courrier, puisque celui-ci dépend du seul monopole postal. Il faut trois jours à une voiture pour livrer les soieries tissées à Corbelin (près d’Aoste) et revenir chargée de soie 1553 . Parfois, dans des situations d’urgence, quelques fabricants parviennent à convaincre des voituriers prêts à leur rendre service, de pallier les carences du service postal en milieu rural, mais au risque d’écoper d’une amende de huit francs par fraude constatée. Pour éviter des contraventions répétées, les fabricants, par l’entremise de la Chambre de Commerce de Lyon, demandent au printemps 1859 la création d’un timbre spécial pour leur correspondance commerciale avec leurs agents ruraux, leur permettant de s’affranchir d’un monopole postal défaillant dans les contrées les plus reculées. Les fabricants acceptent de fixer les droits de ce timbre spécial au même niveau que le timbre postal en vigueur. Pour eux, l’important est de pouvoir correspondre de façon régulière et efficace avec leurs correspondants ruraux 1554 .
Source : CROZET (Félix), Op. cit.
À la fin du Second Empire, le Bas-Dauphiné dispose d’un maillage postal encore incomplet pour satisfaire pleinement les façonniers et les fabricants de soieries. Cependant, les cantons les plus actifs dans le travail à domicile, comme ceux de Pont-de-Beauvoisin ou de Saint-Geoire , abritent un bureau de poste pour quatre mille cinq cents habitants environ. La densité du réseau postal est moindre dans les cantons de Bourgoin , de Voiron ou de La Tour-du-Pin , en raison de la situation centrale du chef-lieu par rapport au reste du canton, avec souvent un solide réseau routier radial autour de lui. Au total, on dénombre quarante-quatre bureaux de poste en Bas-Dauphiné à cette époque, soit plus que le seul département de l’Aveyron 1555 .
ARBELLOT (G.), 1980, STUDENY (C.), 1995, pp. 178, 182-183, RICHEZ (S.), 2004, MARCHAND (P.), 2006, pp. 110, 117-118, 148-149. Le nombre de bureau de poste en France double entre la fin de l’Ancien Régime (mille trois cent cinquante) et 1850 (deux mille six cent soixante-dix-neuf), tandis que celui des relais de poste passe de mille quatre cent vingt-trois en 1789 à deux mille cinquante-sept au milieu du XIXe siècle. La vitesse des malles-postes double également, de six kilomètres et demi par heure en 1814 à treize kilomètres par heure en 1839. Au début de la Monarchie de Juillet, plus de trente-cinq mille communes ne possèdent aucun bureau de poste. En outre, dans les communes de moins de quatre mille habitants agglomérés, il n’y a pas de distribution des lettres chez les particuliers. Ce n’est qu’à partir de cette période qu’un service de facteurs ruraux est créé, avec un service quotidien.
ADI, 1N4/18, Rapport annuel du Préfet au Conseil général de l’Isère, Session de 1852.
Voir par exemple LABASSE (J.), 1957, p. 26 : dès 1810-1811, le courrier lyonnais met au moins quatre jours pour atteindre Turin, contre deux jours pour Saint-Etienne.
DUPRAT (B.), 1982, p. 62.
ADR, 8Mp86, Extrait du registre des délibérations de la Chambre de Commerce de Lyon le 10 mars 1859.
WEBER (E.), 1983, pp. 317-318. Les informations concernant l’Isère sont extraites de CROZET (F.), 1869. Au total, en Isère, vers 1870, on dénombre près de quatre-vingts bureaux de poste.