Il est probable, au moins pour la génération débutant sous le Second Empire, que beaucoup ont eu un cursus scolaire limité, à l’exception des Voironnais. Poursuivent-ils des études supérieures ? Partent-ils à l’étranger ? Nous l’ignorons.
Comme à Lille et Roubaix 1599 ou à Lyon 1600 , plusieurs éléments laissent penser que la formation la plus usitée associe les humanités à l’apprentissage sur le tas. Les façonniers ont dû, cependant, se contenter de l’école primaire puis d’un apprentissage. La rupture se situe vers 1870, avec l’apparition de nouvelles institutions. Pierre Mignot , grâce à l’apprentissage qu’il a reçu comme serrurier tourneur, effectue son service militaire à la 6e Compagnie d’Ouvriers d’artillerie, à Lyon 1601 . Certains se démarquent grâce à de brillants cursus. Mais dans ce dernier cas, ils ne débutent leur carrière qu’après 1870, lorsque l’offre dans de prestigieuses écoles commence à s’élargir. Ainsi, Jules Tivollier , durant ses études secondaires au Lycée de Grenoble, brille surtout par ses résultats en latin et en grec 1602 . Quelques années plus tard, il s’installe à Lyon où il occupe un poste de commis. Entre-temps, il a peut-être appris les rudiments du commerce dans l’entreprise paternelle de négoce en toiles de Voiron . Michel Brunet-Lecomte , dont le père possède une importante et réputée manufacture d’impression sur étoffes à Jallieu , quitte l’école une fois son baccalauréat ès lettres en poche pour rejoindre l’entreprise familiale. A-t-il voyagé, notamment en Alsace et en Suisse, pour compléter sa formation technique ? Sans doute. Marc Crozel se distingue au Lycée de Saint-Marcellin pour ses prestations en latin, en mathématiques et en physique. On peut légitimement penser que quelques fondateurs d’entreprises ont suivi un cursus scolaire honorable, mais les preuves manquent. Benoît Clémençon n’a probablement pas fait d’études aussi prestigieuses, pourtant il possède une petite bibliothèque dans sa chambre contenant soixante-cinq volumes et dix-huit cartes de France. Féru d’histoire (notamment du XVIIe siècle et de l’époque napoléonienne), il est un lecteur assidu de Chateaubriand (vingt volumes) et de la Bible (trois volumes). Pour compléter sa formation professionnelle, il se repose sur un Traité de la fabrication des soies, seul ouvrage technique de sa bibliothèque 1603 .
Tel est le cas de Pierre-Joseph Moyroud , dont la famille est solidement établie dans la bonne société voironnaise, avec un grand-père membre du conseil municipal et greffier de la justice de paix. L’aisance matérielle de ses parents lui permet de suivre les cours de la nouvelle Ecole Centrale de Lyon, pour finir ingénieur civil. Fort de son titre, de l’argent familial et du réseau voironnais de ses parents, il s’associe à vingt-cinq ans, en février 1867, avec Félix Manuel, l’ancien directeur de la fabrique Albert, de Lyon, pour fonder un tissage mécanique à Vinay : c’est l’alliance encore atypique pour le textile local, de la théorie et de la pratique. Bien qu’à l’écart du centre du territoire textile, Vinay offre des avantages non négligeables aux deux associés : des chutes d’eau encore disponibles, une main d’œuvre qui n’a pas encore été sollicitée par le travail de la soie… Le prestige que lui confère son titre d’ingénieur civil facilite aussi sa carrière politique avec la conquête rapide de la mairie puis du canton.
Une situation sociale paternelle en ascension augmente les possibilités d’études supérieures 1604 . Ainsi, Séraphin Martin , fils d’un propriétaire aisé, maire de Saint-Etienne-de-Crossey , ou encore André Michal-Ladichère , dont l’oncle est un ancien conseiller général opposant à l’Empire, suivent des cours de droit à l’université de Grenoble. Aimé II Baratin et Marius Poncet, appartenant à la deuxième génération de façonniers, sont parmi les premiers à bénéficier du nouvel enseignement secondaire spécial créé au Lycée impérial de Grenoble, selon la loi Duruy de 1865 : ce nouveau cursus correspond sans doute davantage aux attentes des chefs d’entreprises, avec des cours de comptabilité, d’économie, de dessin, des travaux manuels, mais sans latin 1605 … malgré les critiques dont il a fait l’objet.
Façonniers |
Génération de façonniers | Cursus scolaires |
Anselme Henri | Héritier | Petit séminaire du Rondeau |
Anselme Victor | Héritier | Petit séminaire du Rondeau |
Baratin Aimé II | Héritier | Cours secondaire spécial au Lycée de Grenoble (école professionnelle) |
BlachotPhilippe | Fondateur | Apprentissage de gareur à l’usine Girodon, de Saint-Siméon-de-Bressieux |
Brunet-Lecomte Michel | Héritier | Baccalauréat ès Lettres |
Constantin de Chanay Alfred | Fondateur | Etudes secondaires au Lycée de Grenoble |
Crozel Marc | Gendre | Lycée de Saint-Marcellin |
Diederichs Louis | Héritier | Ecole Supérieure de Commerce de Lyon |
Diederichs Théophile II | Héritier | Ecole Supérieure de Commerce de Lyon |
Giraud Antoine | Gendre | Licence de droit |
Guinet Joseph II | Héritier | Ecole professionnelle de Grenoble (lycée Vaucanson) |
Martin Séraphin | Gendre | Licence de droit (Université de Grenoble) |
Michal-Ladichère André | Fondateur | Collège royal de Grenoble, Licence de droit |
MoninJules | Fondateur | Son frère Joseph est ingénieur civil et devient architecte. |
Moyroud Pierre-Joseph | Fondateur | Ecole Centrale de Lyon |
Paillet Joseph-Paulin | Fondateur | Son frère Jean François a fait des études de droit pour être notaire. |
Pochoy Joseph-Victor | Héritier | Etude de médecine |
Pollaud-Dulian Alexandre | Fondateur | Ecole Supérieure de Commerce de Lyon |
Poncet Marius | Héritier | Cours secondaire spécial au Lycée de Grenoble (école professionnelle) |
Tivollier Jules | Fondateur | Etudes secondaires au Lycée de Grenoble |
Institution lyonnaise de prestige, l’Ecole Centrale rencontre peu de succès. Pierre-Joseph Moyroud est le seul façonnier parmi le groupe retenu, à y avoir fait ses études supérieures. Joseph-Victor Pochoy , le fils unique du principal façonnier voironnais, se détourne d’une formation en rapport avec l’entreprise paternelle, alors qu’il est le seul membre de la famille à pouvoir la reprendre. Il suit des études de médecine et finit docteur 1606 . Cela ne l’empêche pas de reprendre la tête de l’affaire familiale, après la mort de son père en 1892, mais de façon distanciée.
DAUMAS (J.-C.), 2004, p. 251.
AMBJ, Fond Brunet-Lecomte, Contrat d’apprentissage du 25 décembre 1869, PELLISSIER (C.),1996a, p. 73. Encore au milieu du XIXe siècle, en l’absence d’institutions de formation spécifiques pour leurs héritiers, quelques fabricants lyonnais envoient leurs fils faire un apprentissage, comme au temps de l’âge d’or des Canuts. Louis-Rose Gindre envoie son fils Claude chez un tisseur apprendre le métier. René Brunet-Lecomte , en 1869, place son fils Joseph chez Audibert , un professeur de théorie de la rue Imbert-Colomès, pour une année contre une rétribution évaluée à 400 francs. Cyrille Cottin , petit-fils de C.-J. Bonnet , suit des études assez brèves avant d’être placé chez des canuts puis dans la maison familiale pour découvrir les différentes parties du métier.
APM, Attestation ms du capitaine commandant la 6e compagnie d’ouvriers d’artillerie, du 27 mars 1861.
Université de France, Collège royal de Grenoble, Distribution solennelle des prix le 27 août 1846, Grenoble, Baratier, 1846, pp. 19-20 : il est alors en classe de quatrième et obtient deux récompenses, le 5e accessit de vers latins et le 5e accessit de version grecque, Université de France, Lycée de Grenoble, Distribution solennelle des prix le 28 août 1848, Grenoble, Baratier, 1848, pp. 12, 17, 35 : en classe de seconde, il obtient le 4e accessit de thème grec et de géométrie, le 2e accessit de langue allemande et de dessin (catégorie paysages), Université de France, Lycée de Grenoble, Distribution solennelle des prix le 27 août 1849, Grenoble, Baratier, 1849, p. 9 : en classe de Rhétorique, il reçoit le 5e accessit de version latine, Université de France, Lycée de Grenoble, Distribution solennelle des prix le 26 août 1850, Grenoble, Baratier, 1850, p. 4 : il reçoit le 6e accessit de dissertation latine.
ADI, 5U1191, Tribunal civil de Bourgoin , Inventaire ms des biens de la faillite Clémençon le 18 juillet 1883.
Voir CHARLE (C.), 2006, pp. 43 et sq.
DAY (C. R.), 1991, pp. 57-60.
Comme à Saint-Etienne, les enfants de la bourgeoisie d’affaires sont peu nombreux à se lancer dans les professions médicales. VERNEY-CARRON (N.), 1999, pp. 137-140.