III-Les débuts des principaux façonniers.

Quelques anciens ouvriers parviennent à s’élever socialement en s’installant à leur compte comme façonniers. D’une part, ils possèdent des compétences techniques, d’autre part, le seuil d’entrée en termes de capitaux est suffisamment faible pour permettre une installation facile à moindre coût 1673 . Pour des ouvriers adroits de leurs mains, détenteurs d’un savoir professionnel et d’un modeste capital, accéder au monde des petits patrons indépendants représente l’horizon des plus ambitieux, à une époque où ils recherchent reconnaissance sociale et réussite financière 1674 . Malheureusement, cette indépendance reste pour eux un objectif inaccessible, car ils sont étroitement dépendants de leurs donneurs d’ordres lyonnais, tant pour leurs commandes que leurs paiements. Une commande interrompue ou impayée, et le petit façonnier doit se déclarer en faillite 1675 . En changeant de statut, ils abandonnent officiellement le monde du travail manuel, réservé aux ouvriers. Les patrons les plus modestes continuent à pratiquer leur art, mais avec le statut de patron.

Le plus souvent, les façonniers se mettent à leur compte vers l’âge de trente ans (la moyenne du tableau suivant s’établit à trente-cinq ans). L’aisance financière facilite l’entrée à un âge plus précoce, sans forcément effectuer une carrière préalable comme employé ou contremaître, comme pour Rabatel, les frères Michal-Ladichère, Moyroud, Coulon et Jacques-Maximilien Jamet . D’autres, dans des situations plus délicates, doivent attendre d’avoir économiser un solide capital, comme Antoine Genin , Baratin, Bourgeat , Brochay , Brun, Gonnet ou Paillet. La carrière de directeur ou d’associé secondaire peut même être un frein à l’ascension sociale et au changement de statut, comme dans les cas de Théophile I Diederichs , de Joseph I Guinet, de Paillet ou de Joseph Heppe . La conjoncture économique est un autre stimulant : en période de croissance, il est plus facile de s’établir à son compte (dans les années 1850, 1860 et 1870 par exemple) pour ceux qui savent saisir les opportunités, tandis qu’une phase de crise peut repousser des projets dans le temps. Quant à Alphonse Couturier , sa jeunesse est compensée par la présence de ses frères, plus âgés, lors de la fondation de leur première entreprise.

Tableau 30–Âge des principaux façonniers (fondateurs) en devenant patrons .
Nom Lieu Date Age
(en années)
Auger Victor 1677 Ruy 1849-1863 25-39
Baratin Aimé I Moirans 1853 64
BargillatGabriel La Tour-du-Pin 1876 31
BelinAimé Saint-Jean-de-Bournay 1868 28
Béridot Adrien Voiron Vers 1880-1884 52-56
Berlioz Jules Voiron 1878 36
BertetPierre Coublevie 1860 27
BlachotPhilippe Voiron 1890 35
BourgeatRomain Nivolas 1884 44
Bouvard Maurice Moirans 1846 22
BrochayEdouard Nivolas 1857 43
Brun Jean-Marie Coublevie 1867 38
Brunet-Lecomte Henry 1678 Jallieu 1843-1855 27-39
BrunyHonoré Saint-Blaise-du-Buis 1886 34
Constantin de Chanay Alfred Saint-Nicolas-de-Macherin 1855 52
Chapuis Claude-Antoine La Tour-du-Pin 1853 32
Clément Louis Jallieu 1874 31
Combe Louis-Eugène Renage 1882 32
CoulonGustave Saint-Blaise-du-Buis 1880 27
Couturier Alphonse Bévenais 1847 25
Couturier François-Régis Bévenais 1847 34
Couturier Joseph Bévenais 1847 33
Couturier Auguste Bévenais 1847 31
CuchetFrançois-Fleury Saint-Antoine- Chatte 1826 22
DévigneAndré La Tour-du-Pin 1853 38
Diederichs Théophile I Jallieu 1872-1882 40-50
DonatGeorges Corbelin 1887 34
Genin Antoine Moirans 1845 41
Gillet Léonce La Murette- Apprieu 1882 34
GonnetFrançois Saint-Blaise-du-Buis Vers 1860 39
Guinet Joseph I Voiron- Apprieu 1849 52
Heppe Joseph Saint-Bueil 1875-1882 65-72
Jamet Alexis Les Abrets Vers 1855 33
Jamet Jacques-Maximilien Les Avenières 1871 22
Landru Joseph Coublevie 1853 33
LangjahrEmile Saint-Genis-L’Argentière-Voiron 1880 31
Michal-Ladichère André Saint-Geoire 1865 22
Michal-Ladichère HenriI Saint-Geoire 1865 26
Mignot Pierre Saint-Bueil 1882 42
MoninJules Voiron 1869 30
Moyroud Pierre-Joseph Vinay 1867 26
Ogier Claude 1679 Voiron 1863-1889 27-53
Paillet Joseph-Paulin Nivolas 1879 42
Pochoy Claude-Victor Voiron 1851 36
Pollaud-Dulian Alexandre Les Avenières 1884 29
Poncet Florentin Voiron 1853 33
Rabatel Constant Corbelin 1863 24
Tivollier Jules Voiron 1860 28
TournachonEugène Voiron 1869 30
Tournier Claude-Ferdinand Voiron 1857 30
Veyre Ambroise Saint-Bueil 1851 46
VignalJules Saint-Antoine 1850 26

Avec trente-cinq ans d’âge moyen, les entrepreneurs à façon au service de la Fabrique lyonnaise fondent leurs entreprises deux ans plus tôt que les filateurs de coton dans la première moitié du siècle 1680 . Un quart seulement des façonniers a plus de quarante ans à la fondation de son affaire et autant a moins de trente ans.

Notes
1673.

Voir par exemple HARDEN CHENUT (H.), 2005, pp. 76-77.

1674.

FAURE (A.), 1986 et DEMIER (F.), 2007, p. 50.

1675.

Voir les remarques de HAUPT (H.-G.), 1996.

1676.

Ne sont mentionnés que les patrons pour lesquels nous disposons des renseignements.

1677.

La première date mentionne la fondation probable de fondation de sa maison de soieries à Lyon. En 1863, Auger peut-être considéré comme un façonnier puisqu’il exploite seulement la fabrique de Boussieu .

1678.

En 1843, Brunet-Lecomte n’est qu’un simple associé à l’affaire des Perrégaux. Il est seul à conduire son entreprise douze ans plus tard.

1679.

Ogier débute comme fabricant de soieries en 1863 et ne devient façonnier qu’en 1889.

1680.

CHASSAGNE (S.), 1991, pp. 302-303.