Une industrie chimique.

« L’industrie chimique est fille du textile ». C’est par cette phrase que Michel Laferrère débutait sa présentation de l’industrie chimique lyonnaise lors du colloque international de Lyon en 1970. Tous les grands centres industriels textiles favorisent l’éclosion d’une activité chimique 1943 . L’impression sur étoffes subsiste à Jallieu en partie grâce à la présence d’une puissante industrie chimique lyonnaise, stimulante pour les échanges industriels.

En effet, pour le traitement ou la coloration de leurs étoffes, les fabricants lyonnais ont de bonne heure accordé un vif intérêt à l’éclosion d’une industrie chimique locale. Comme Manchester, Lyon est l’une des rares villes industrielles du XIXe siècle à développer une industrie chimique fondée sur l’acide sulfurique, les produits chloro-sodés et les colorants d’aniline 1944 . Dès la fin du XVIIIe siècle, vitrioleries et soudières se multiplient au bord du Rhône. Dans le cadre de la spécialisation régionale qui s’amorce au milieu du XIXe siècle, l’industrie chimique se concentre dans l’agglomération lyonnaise, près du Rhône et de la Saône et à proximité des grands axes de transport qui leur apportent les produits naturels dont elle a besoin. Elle s’installe également près de ses clients, teinturiers, imprimeurs et surtout fabricants lyonnais. Au milieu du XIXe siècle, les teinturiers se concentrent encore surtout dans le quartier des Brotteaux. Les plus audacieux, tel que François Gillet, déplacent leurs ateliers de teinture sur des espaces plus vastes, comme le quai de Serin, au bord de la Saône 1945

À maints égards, Lyon apparaît comme une pépinière d’entreprises dans le domaine des colorants et de la teinture avec Coignet, Guinon, Verguin, Renard, La Fuschine 1946 , Guimet 1947 , Gillet 1948 … fondées la plupart du temps sur la chimie minérale et devenues par la suite de grandes entreprises, au même titre que peut l’être Mulhouse autour de la Société Industrielle de Mulhouse 1949 . Au début du Second Empire, on ne dénombre pas moins de cent quatre entreprises de teinture des soies à Lyon, certaines d’entre elles employant déjà plus de cent cinquante ouvriers. Cette concentration géographique d’entreprises favorise l’émulation au service des fabricants lyonnais au milieu du siècle : toutes les sociétés chimiques rivalisent d’ingéniosité pour élaborer de nouveaux colorants afin de profiter elles aussi de la formidable croissance des soieries lyonnaises sur les marchés internationaux, tel Guimet et son bleu outremer, Guinon et son jaune à l’acide picrique en 1849, Marnas et la pourpre française, Monnet et son harmaline, Verguin et sa fuschine... Elles proposent de multiples solutions et procédés pour mettre en valeur les soies lyonnaises : charge, assouplissage, progrès dans la teinture en noir, essai sur des végétaux… la mode exige désormais des étoffes aux nuances nouvelles et variées, surtout pour les soieries unies, très en vogue. L’apparition de ces nouveaux colorants résulte des transformations de la consommation. L’exemple le plus fameux demeure l’alliance conclue entre le fabricant Claude-Joseph Bonnet et le teinturier François Gillet dans la mise au point de soieries noires 1950 . Un tournant scientifique majeur s’amorce dans l’histoire de la teinture lyonnaise avec la mise au point des colorants artificiels extraits du goudron de houille ou d’aniline, avec la Fuschine 1951 .

Les besoins de la Fabrique lyonnaise sont tels, que l’industrie chimique locale attire des spécialistes venus de l’étranger, notamment de Suisse. Déjà présents dans La Fuschine, sous le Second Empire, les Suisses investissent des capitaux dans la région lyonnaise surtout à partir des années 1880. En 1881, une maison bâloise, Durand, Huguenin & Cie, s’installe dans la proche banlieue lyonnaise, à Saint-Fons, puis c’est au tour de la Badische Anilin de fonder une usine au nord de la métropole lyonnaise, à Neuville-sur-Saône 1952 . Les efforts de la recherche et du développement se poursuivent à la fin du siècle, d’abord sur les produits colorants, puis, par exemple, sur l’acétate de cellulose. Une firme comme Gilliard , Monnet & Cartier (future Rhône-Poulenc), dépose entre 1883 et 1916, quatre cent dix-sept brevets dont cent seize en France déposés pour la première fois 1953 .

Cependant, l’industrie chimique lyonnaise ne parvient pas à se transformer en industrie des colorants artificiels afin de rivaliser avec les firmes allemandes.

Notes
1943.

En guise d’exemple, l’industrie mulhousienne a donné naissance à la fabrique de Thann en 1808. Voir DROUOT (M.), ROHMER (A.), STOSKOPF (N.), 1991.

1944.

LAFERRERE (M.), 1972.

1945.

LAFERRERE (M.), 1960, pp. 28-29 et 1972, LAFERRERE (M.), « Des colorants à la grande chimie organique (XIXe-XXe siècle) », in LEQUIN (Y.), 1991, pp. 182-206.

1946.

CAYEZ (P.), 1980, pp. 226-231.

1947.

ANGLERAUD (B.) et PELLISSIER (C.), 2003, pp. 50-52, CAYEZ (P.) et CHASSAGNE (S.), 2007, pp. 187-190.

1948.

CAYEZ (P.), 1980, pp. 112-113.

1949.

CAYEZ (P.), 1980, pp. 115-118.

1950.

PANSU (H.), 2003.

1951.

EMPTOZ (G. J.), 1999.

1952.

LABASSE (J.), 1955, pp. 477-478.

1953.

CAYEZ (P.), 1998.