Rapidement, le façonnier doit offrir d’autres prestations à ses donneurs d’ordres s’il veut conserver leur clientèle. Outre le tissage proprement dit, les façonniers s’occupent également du dévidage de la trame à leurs frais 2033 . Un façonnier comme Paillet, à Nivolas , sollicite à son tour un autre façonnier pour réaliser cette opération, s’il ne possède pas lui-même le matériel nécessaire. Eventuellement, Mouly & Schulz , l’un des fabricants lyonnais ayant recours à ses services, propose de lui prêter exceptionnellement ses ateliers de dévidage installés à Vizille 2034 .
Les manufactures d’impression acceptent de stocker dans leurs magasins les planches et les rouleaux d’impression de leurs clients, à titre gracieux. L’indienneur Brunet-Lecomte, à Jallieu , propose à ses clients d’assurer leurs planches d’impression en dépôt chez lui et de faire les démarches nécessaires, après l’incendie dont est victime son confrère Révilliod, à Vizille 2035 .
Le graveur, par sa position d’intermédiaire dans le procès industriel entre le dessinateur et l’imprimeur, occupe une position valorisante, puisqu’il n’est pas un simple exécutant. À lui, revient l’interprétation de l’esquisse faite par le dessinateur. Il doit en trouver une application industrielle pour l’imprimeur, afin de lui en faciliter l’exécution au moment de l’impression, que ce soit pour le tracé ou les couleurs. Cela suppose de sa part des qualités artistiques afin de ne pas dénaturer l’œuvre du dessinateur. Sa mission va même plus loin puisque certains imprimeurs, dont Brunet-Lecomte, considèrent que « le dessinateur [a] ébauché une idée laissant au graveur le soin d’achever son dessin en en arrêtant les formes plus nettement, comme cela a lieu assez souvent », avec l’accord final du fabricant qui peut très bien refuser les modifications apportées par le graveur 2036 .
Chaque manufacture d’impression possède son propre cabinet de gravure. Mais, pour certains travaux de précision, son patron peut recourir à des cabinets lyonnais indépendants. Ainsi, entre 1862 et 1880, la manufacture Brunet-Lecomte fait travailler à façon une dizaine de graveurs lyonnais 2037 . Cependant, le recours à des sous-traitants lyonnais par une manufacture d’impression de Jallieu augmente les délais, puisque les dessins sont d’abord envoyés par le fabricant lyonnais à son imprimeur, Perrégaux ou Brunet-Lecomte, qui prend alors la décision de confier la gravure à son propre atelier ou à un cabinet extérieur. Parfois, le fabricant impose le choix d’un graveur à l’imprimeur. Quelle que soit la solution choisie, celui-ci expédie au graveur lyonnais l’esquisse avec ses instructions et les planches à graver au moyen des fourgons-poste du Dauphiné, plutôt que par voie ferrée plus onéreuse. Le metteur sur bois de la manufacture a préalablement étudié l’esquisse puis reporté le dessin sur différentes planches avant de confier le tout au graveur. Le graveur retire le tout aux bureaux des fourgons-poste, place de la Bourse, non loin du quartier des fabricants. Parmi les instructions, le metteur sur bois et l’imprimeur indiquent pour le graveur, les rapports du dessin, le nombre de planches (il y autant de planches que de couleurs), le tracé… En outre, un représentant de la maison Brunet-Lecomte se rendant régulièrement à Lyon pour y chercher des commissions ou discuter des tarifs, peut fournir de vive voix des indications complémentaires aux graveurs. Avec l’adoption de la plombine, Brunet-Lecomte confie également à des graveurs lyonnais le soin de réaliser le brûlage des tilleuls et la fonte de l’alliage. Préalablement, quelle que soit la technique employée pour l’impression, le metteur sur bois de la manufacture a pris soin de reporter les motifs figurant sur l’esquisse, sur chacune des deux faces du tilleul (par économie de bois, les deux faces sont utilisées) 2038 . Les fabricants lyonnais les plus importants possèdent leur propre cabinet de gravure. La distance entre l’exécutant lyonnais et l’imprimeur ne facilite en rien la tâche de ce dernier pour surveiller l’exécution du travail et pour faire respecter les délais au graveur. Le choix de ces graveurs lyonnais repose sur plusieurs éléments : les industriels ont à leur disposition des annuaires professionnels. Ils connaissent parfois personnellement certains graveurs qui ont pu travailler chez eux par le passé. Enfin, et non des moindres, les patrons s’appuient sur des informations fournies par leur personnel. Ainsi, à la fin de l’année 1878, Michel Brunet-Lecomte recrute pour occuper le poste de metteur sur bois dans sa fabrique de Jallieu, le fils d’un de ses graveurs sous-traitants, Gros. Gros fils arrive donc à Jallieu et met aussitôt à la disposition de son nouveau patron son propre carnet d’adresses en matière de graveurs lyonnais : à peine embauché, il propose, sous le couvert de son employeur, de solliciter de nouveaux graveurs lyonnais de sa connaissance. Par courrier, il leur suggère d’accepter des commissions de la part de la maison Brunet-Lecomte. Lui, Gros fils, en tant que metteur sur bois, reporte les dessins sur les planches qu’ils doivent graver, s’ils consentent à répondre favorablement à cette proposition 2039 .
Les menaces et invectives en tous genres ne sont pas rares de la part de l’imprimeur contre le travailleur indépendant qui adopte volontiers la Saint-Lundi :
‘« Malgré vos promesses, nous ne voyons pas arriver les gravures des dessins qui étaient finis, ou sur le point de l’être. Ce retard nous contrarie et nous fait regretter de vous avoir confié des dessins pressés qui sont attendus très impatiemment. Nous saurons à l’avenir, qu’il ne faut pas compter sur vos promesses et nous aviserons pour nos nouvelles gravures » ’ou encore :
‘« Malgré nos demandes répétées contre le retard que vous apportez à nous livrer les dessins dont vous avez à exécuter la gravure, vous ne nous expédiez rien, et vous ne daignez même pas nous répondre ». ’Les Brunet-Lecomte, dans leur correspondance commerciale, cherchent à stimuler leurs graveurs indépendants, par des invectives répétées et régulières, par des formules lapidaires comme « excessivement pressée », « très promptement », « immédiatement », « de suite » ou encore « vous m’adresserez ces dessins sitôt faits » dans chaque lettre 2040 . À travers ces expressions, les patrons cherchent à exercer un contrôle du temps, à favoriser – par lettre interposée – la productivité de leurs sous-traitants les plus éloignés, à défaut de pouvoir les surveiller directement, en exerçant sur eux des pressions morales, voire un harcèlement pour obtenir gain de cause. Tout repose donc sur la crédibilité des menaces faites par les auteurs de ces courriers. Pour quelques cas exceptionnels, Brunet-Lecomte s’adresse à des graveurs de Mulhouse ou de Puteaux, ayant des spécialités uniques et recherchées par leurs clients 2041 . Les graveurs mulhousiens sont particulièrement recherchés pour leurs compétences dans la gravure des rouleaux et cylindres de cuivre. Une fois la gravure achevée, l’imprimeur réalise une empreinte qu’il adresse à son client afin que celui-ci autorise le lancement de l’impression définitive de ses étoffes.
Les Brunet-Lecomte aiment rappeler à leur clientèle lyonnaise que leur métier principal est l’impression, et qu’ils ne se chargent de la gravure que pour lui rendre service, comme « une facilité offerte à [leurs] clients et pour leur éviter un embarras ». À cette fin, ils s’engagent à ne prendre aucun bénéfice sur la gravure 2042 . Parmi les autres prestations que l’imprimeur propose au fabricant lyonnais, il y a le gardiennage des plaques de cuivre et des planches de bois qui leur appartiennent. Pour le fabricant, cela évite le transport incessant des planches en cas de réimpression. Pour l’imprimeur, cela lui garantit la clientèle des ordres futurs en conservant les planches de ses clients. Brunet-Lecomte propose également de mettre son carnet d’adresses au service de ses clients, par exemple, pour trouver un dessinateur capable d’exécuter les esquisses souhaitées. Toujours pour leur plaire, il achète des fonds de dessins (pour disposer des droits légaux de reproduction) pour la réalisation d’essais. Vers 1864, Henry Brunet-Lecomte fait ainsi l’acquisition de dessins de la société mulhousienne Mattmann & Koenig, alors en liquidation 2043 . Pour se prémunir contre tous risques, et plus particulièrement contre l’incendie, la maison Brunet-Lecomte s’occupe également de gérer les contrats d’assurances des planches et plaques qu’elle conserve dans ses locaux pour une longue période. Elle se charge aussi de coordonner, le cas échéant l’ensemble des opérations industrielles en amont ou en aval de l’impression comme le grillage et le décruage, la teinture et l’apprêt en s’adressant, comme pour la gravure, à des sous-traitants au nom de ses clients lyonnais pour leur éviter des démarches. En offrant autant de services aux fabricants lyonnais, sans leur facturer de suppléments autres que les coûts prélevés par les divers sous-traitants, la maison Brunet-Lecomte cherche à fidéliser sa clientèle et à compenser certaines faiblesses, telles que la distance géographique entre Lyon et Jallieu ou des coûts d’impression plus élevés. Parmi ses prestataires habituels, on retrouve les sociétés Picot & Fayard, de Lyon, pour le grillage et le décruage, mais aussi Grobon, de Miribel, près de Lyon pour la teinture 2044 .
Les tisseurs et les imprimeurs à façon, pour plaire à leurs donneurs d’ordres, acceptent d’élargir leurs compétences et de faire des sacrifices financiers. Ils déchargent les fabricants de certaines tâches supplémentaires.
PERMEZEL (L.), 1883, p. 21.
APRP, Lettre ms de la maison Mouly & Schulz du 4 novembre 1910.
AMBJ, Registre de lettres, Lettres ms d’Auguste Ferrier adressées à onze maisons clientes le 6 mars 1865.
AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Lettre ms la maison Brunet-Lecomte adressée à la maison G. Hooper, Carroz, Tabourier & Cie le 4 décembre 1866, lettre ms adressée à la maison Lachard, Besson & Cie le 29 janvier 1870.
Graveurs lyonnais en relation avec les Brunet-Lecomte : Jaëger frères, Gros, J.B. Dirringer, Henri Charles, Auguste Hammer, Finet, Lauber, Eugène Werlien, louis Bourdet, Charles Gunther, Anglade, Lamellet & Leroux, Fleury Besson, Emile Charles, E. Bonny, Weslin, Henri Charles, Hagenbach.
AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Lettres ms de Brunet-Lecomte adressées à Jaeger frères le 10 octobre 1877, à Emile Charles le 22 novembre 1871 et à Hagenbach le 11 novembre 1878.
AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Courriers adressés à Gunther, Bourdet et Engel en janvier 1879.
AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Lettres ms la maison Brunet-Lecomte adressée au graveur Gros, à lyon, le 5 décembre 1866 et à Anglade le 14 novembre 1877.
AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Lettre ms la maison Brunet-Lecomte adressée aux graveurs Moreau & Deminière, de Puteaux, le 3 septembre 1874. À Mulhouse, Brunet-Lecomte se fournit chez J. Ducommun & Cie pour ses pièces de cuivres. A Mulhouse, Brunet-Lecomte s’adresse aux graveurs Jean Schott et Iltiss Frères. Ces derniers possèdent également un atelier à Lyon. A Saint-Denis (Puteaux), il utilise les services de Jean Hussig et de la société Moreau & Deminière. Sur l’essor du centre d’impression de Puteaux, voir GRIGNON (M.), 1993.
AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Lettre ms de la maison Brunet-Lecomte adressée à la maison A. Lamy & A. Giraud, le 15 décembre 1877.
AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Lettres ms d’Auguste Ferrier du 5 décembre 1864 à Koenig et du 8 mai 1878 à Clayette & Mantelier Jeune.
AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Lettres ms la maison Brunet-Lecomte adressée à Picot & Fayard le 28 février 1871 et à la maison Tabourier, Perreau & Bisson le 4 juin 1874.