Les relations inégalitaires et conflictuelles entre les fabricants de soieries et leurs façonniers s’accompagnent aussi d’échanges techniques.
L’exemple le mieux connu concerne la relation entre Théophile I Diederichs , façonnier à Bourgoin , et Léon Permezel , fabricant de soieries à Lyon. Lorsque les deux hommes scellent leur accord en 1872, il est prévu tacitement des échanges d’informations entre eux pour rendre leurs relations le plus profitable possible aux deux parties.
Diederichs élabore et fabrique des métiers à tisser. De son côté, Permezel possède des brevets et des informations techniques sur des machines textiles donnant aux soieries mélangées l’apparence, le brillant et le toucher des soieries pures, comme des machines à polir ou à broder. Dans ces échanges d’informations et de données, Permezel et Diederichs détiennent à chaque fois l’exclusivité :
‘« Ce métier peut être adapté au tissage des façonnés aussi bien qu’à celui des unis et des armures ; on l’emploie aussi pour la fabrication des foulards, satins, crêpes… Il est susceptible de battre 200 coups à la minute et donne une moyenne de production de 35 à 45% supérieure à celle obtenue avec les autres systèmes » 2073 .’Permezel adresse à Diederichs un mécanicien, Cécillon, spécialement chargé de la transmission des secrets techniques entre les deux hommes et de leur mise en application dans les ateliers. Au début des années 1880, Permezel se lance dans la fabrication de velours teints en pièces. Comme par le passé, ils mettent en commun leurs informations pour élaborer une machine à couper le velours, les frais de recherche et de fabrication étant partagés en parts égales. Mais rapidement, la discorde s’établit quant à la répartition des bénéfices et des droits de propriété sur la machine. Pour calmer le jeune fabricant, Diederichs accepte de verser 75% des bénéfices à Permezel dans cette affaire de machine à couper le velours 2074 .
En retour, Permezel oblige tous ses façonniers à choisir des métiers à tisser Diederichs, soit 3.200 métiers à tisser mécaniques que Diederichs doit fabriquer, assurant ainsi sa fortune.
Mais cet accord offre aussi un caractère exceptionnel, car il associe deux hommes dans des situations sociales finalement assez proches alors. Léon Permezel n’est pas originaire de Lyon et n’a pas grandi dans l’univers des soyeux. De même, Diederichs est né en Alsace et ne s’est installé en Isère qu’à l’adolescence. Tous les deux en commun d’avoir des pères qui ont connu des revers de fortune. Tous les deux ambitionnent de se mettre à leur compte et d’asseoir leur indépendance au début des années 1870. Il y a donc entre eux une certaine proximité sociale, une certaine connivence et une ambition partagée. Finalement, on ne retrouve pas entre eux la relation inégalitaire qui existe souvent entre le bourgeois lyonnais et le petit patron fruste du Bas-Dauphiné.
Brochure imprimée Exposition universelle de Melbourne, 1880, L. Permezel & Cie, 1880.
ROJON (J.), 1996a, p. 53.