L’historien québécois Jean-Marie Fecteau relève un étrange paradoxe à propos du XIXe siècle : alors que ce siècle « est celui de la liberté et de la démocratie libérale, c’est aussi […] celui de l’enfermement » 2115 . Dès la première moitié du XIXe siècle, publicistes, économistes et intellectuels se préoccupent du paupérisme, pour mieux dénoncer l’immoralité de la classe laborieuse. Les uns accusent les patrons, les autres, le système politique, le manque d’instruction ou l’irréligion, comme seuls responsables de la misère, de l’alcoolisme.
Comme au célèbre Familistère de Guise, les usines-pensionnats cherchent à recréer un univers industriel entièrement clos et isolé, en quelque sorte hors du monde et de ses tracas. Mais contrairement à cette illustre organisation industrielle, les usines-pensionnats ne laissent aucune initiative à leur personnel : le patron y règne en seul maître. L’autorité patronale des propriétaires d’usines-pensionnats s’exerce plus difficilement à l’extérieur de l’enceinte usinière. Les façonniers les plus importants et les plus puissants, proches d’ailleurs des milieux protestants et progressistes, parviennent à construire une voie intermédiaire en créant de nombreuses institutions paternalistes 2116 dans leurs usines (crèches, écoles, dortoirs…) sans que cela n’entraîne l’élaboration d’un monde clos. Fabricants lyonnais et façonniers du Bas-Dauphiné poursuivent donc deux stratégies de gestion de la main d’œuvre diamétralement opposées. L’Eglise catholique retrouve momentanément son pouvoir dans les campagnes en s’appuyant sur deux piliers différents : d’une part, le patronat, d’autre part les filles les plus pauvres de la société, par l’intermédiaire de ces usines-pensionnats.
Comment les industriels gèrent-ils leur main d’œuvre ? Comment s’organisent les usines-pensionnats ? Quelles sont les pratiques paternalistes mises en place par les façonniers ?
Tout d’abord, il faut s’intéresser au contexte dans lequel les usines-pensionnats font leur apparition, avant d’examiner leur fonctionnement interne. Les façonniers mettent en place, eux aussi des éléments rejoignant le paternalisme des fabricants de soieries, mais ils sont davantage soumis aux contingences villageoises pour recruter leur main d’œuvre.
FECTEAU (J.-M.), 2005.
GUESLIN (A.), 1992. Cet auteur définit le paternalisme comme « un système régissant les relations entre employeur et salariés d’une entreprise dans leur totalité [… qui] a vocation non universel mais intégral. Il […] vise à intégrer donc à protéger l’homme avant, pendant et après, à l’échelle de la journée, de la semaine, de l’année, de la vie ».