1-L’arrivée des Brunet-Lecomte.

Les frères Brunet-Lecomte, originaires de Normandie, suivent leur père, Nicolas-Boniface, à Vizille , lorsqu’il entre au service de la manufacture d’impression Révilliod 2391 . Nicolas Lecomte, le père d’Henry-Edouard, quitte sa Normandie natale pour rejoindre au début du XIXe siècle les Perier à Vizille. Chimiste de formation, il gravit les échelons au sein de l’établissement aux côtés de Révilliod. Nicolas-Boniface, y a travaillé à partir de 1825 jusqu’à son brusque décès en 1834 en pleine force de l’âge, comme bras droit d’Augustin Perier . À son initiative, la manufacture d’impression Perier, spécialisée jusque là dans l’impression des étoffes de coton, se lance dans l’impression des soieries au début de la Monarchie de Juillet. Il prévoit de leur attribuer cent cinquante à deux cents tables d’impression et d’employer quatre cent cinquante ouvriers 2392 .

Le jeune Henry-Edouard a donc grandi à ses côtés, entouré d’imprimeurs et de graveurs. Henry-Edouard Brunet-Lecomte est promu au rang d’associé à seulement vingt-trois ans, par François Révilliod qui exploite en location la manufacture d’impression Perier à Vizille 2393 . Malgré son jeune âge, il parvient à ce statut grâce à deux atouts : des études de chimie et une solide connaissance de l’établissement et de son personnel. Lorsque Fritz Perrégaux recrute Edouard-Henry Brunet-Lecomte en 1844 pour diriger sa manufacture d’impression à Jallieu , il sollicite un éminent spécialiste, connu dans la profession. Il débauche le fils de l’ancien directeur de la manufacture d’impression Perier, de Vizille.

En 1843, il quitte Revilliod pour rejoindre la manufacture d’impression de Fritz Perrégaux à Jallieu , mais il n’est toujours pas l’associé principal. La même année, Fritz fait entrer son fils, Louis-Emile dans l’affaire familiale. Mais Brunet-Lecomte doit aussi apporter des capitaux frais à ses nouveaux partenaires. Il emprunte rapidement des fonds (24.000 francs) chez un notaire 2394 . En quelques années, Brunet-Lecomte assure le développement de la maison Perrégaux & Brunet-Lecomte, après une période de stagnation dans les années 1830. En 1852, trois cent vingt-cinq ouvriers travaillent dans les ateliers d’impression et de tissage, à Jallieu. Trois ans plus tard, c’est la consécration avec la remise d’une médaille de première classe à l’Exposition Universelle de Paris 2395 . Il est probable que Brunet-Lecomte est à l’origine de l’ouverture de la manufacture d’impression Perrégaux en direction des fabricants de soieries au détriment des étoffes de coton. Dès le milieu des années 1840, la part des calicots dans le chiffre d’affaires de la manufacture d’impression a diminué (79%), tandis que les mouchoirs de laine et de soie représentent respectivement 11,5 et 8,5% des ventes. Les ouvriers impriment plus de cent vingt mille mouchoirs de coton, contre vingt mille en laine et autant en soie. À cela, il faut ajouter quarante-deux mille mètres de calicots divers imprimés 2396 .

Cette nouvelle fortune favorise le mariage de Louis-Emile Perrégaux , le fils de Fritz , avec Victorine Morin, la fille d’Adrien Morin , gérant de la banque lyonnaise Veuve Morin-Pons & Morin, lui-même gendre de Samuel Debar , le propriétaire de la filature de La Grive (Bourgoin), en avril 1853. La jeune femme apporte en dot 115.000 francs à son mari 2397 .

Alors qu’Henry Brunet-Lecomte rejoint Fritz Perrégaux à Jallieu comme associé, son frère René 2398 part à Lyon où il fonde sa maison de soieries. Les Perrégaux ont besoin de ses talents et de ses secrets. Les premiers pas de René, à Lyon, sont modestes : la maison qu’il fonde en 1844, avec un dénommé Guichard, n’a que 30.000 francs de capital, fourni à hauteur des deux tiers par Brunet-Lecomte, Guichard apportant son talent, tandis qu’un commanditaire, Chatel, un ancien agent de change, fournit le solde. En outre, Brunet-Lecomte fournit 20.000 francs en compte obligé et Chatel le double 2399 . On peut supposer, mais sans certitude, que cette nouvelle maison lyonnaise fournit du travail à façon à la manufacture d’impression de Fritz Perrégaux. La correspondance commerciale de la manufacture d’impression Brunet-Lecomte, dans les années 1860, indique clairement qu’elle travaille à façon pour la maison Brunet-Lecomte de Lyon, même si leurs relations, au fil du temps, finissent par devenir moins fortes. Une trentaine d’années plus tard, en 1877, le capital de la maison lyonnaise Brunet-Lecomte, Devillaine & Cie se monte à 400.000 francs.

En 1855, Henry Brunet-Lecomte quitte ses partenaires, les Perrégaux, pour prendre définitivement son indépendance. Sans doute, existe-t-il des divergences profondes entre eux ? Mais, on peut légitimement supposer que Victor-René Brunet-Lecomte a proposé à son frère de lui fournir des commandes régulières pour assurer la pérennité de son entreprise. Au printemps 1855, un partenaire lyonnais, Henri Miège 2400 , lui propose de placer 10.000 francs dans sa nouvelle affaire, ce qu’il s’empresse d’accepter. Puis en juillet, ce sont 20.000 francs que Miège avance à Brunet-Lecomte. En septembre, Miège lui confie de nouveau des capitaux, 30.000 francs supplémentaires, pour couvrir les frais d’installation de sa nouvelle fabrique. En six mois, Miège lui a versé 61.894 francs avec les intérêts 2401 .

D’emblée, Henry Brunet-Lecomte peut compter sur les commissions de son frère, solidement installé à Lyon depuis une dizaine d’années. Mais cela ne lui suffit pas pour assurer le développement de son entreprise. Il recrute donc de nouveaux clients parmi les fabricants lyonnais, puis au milieu des années 1860, il commence à recevoir des ordres des rubaniers stéphanois. Dès l’automne 1866, il accepte de traiter des ordres en provenance de la maison P. Troyet & Cie 2402 .

Notes
2391.

ADI, 11J32, Fonds Perier, Lettre ms de Nicolas Lecomte du 19 février 1833 et HUSS (V.), 1996. Nicolas-Boniface Brunet, de son vrai nom, originaire du Calvados, débute sa carrière comme commis de comptoir. De mauvaises opérations le poussent à émigrer en Espagne. A son retour en France, il change de nom. Devenu Jean-Baptiste Lecomte, il se fait embaucher en 1825 par Augustin Perier dans sa manufacture d’impression, à Vizille , où il s’occupe de la cuisine aux couleurs. Il obtient rapidement la confiance de son patron qui le charge de développer son entreprise

2392.

ADI, 11J32, Fonds Perier, Lettres ms de Nicolas Lecomte les 10 janvier 1832 et 19 février 1833.

2393.

HUSS (V.), 1996.

2394.

AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Quittance et obligation devant Me Viallet, à Grenoble, le 15 juillet 1845.

2395.

ACJ, 2.078, Tableau statistique des industries du canton de Bourgoin en 1852 et 1.824.508, Lettre ms de Fritz Perrégaux à Caffarel le 16 mars 1856.

2396.

ADI, 162M10, Tableau statistique ms, sd [1840-1845].

2397.

ROJON (J.), 1996a, p. 18.

2398.

Fabricant de soieries, Victor-René Brunet-Lecomte est né à Caudebec, dans le département de Seine-inférieure le 1er mai 1822. Il suit son père et son frère à Vizille chez Révilliod, puis, devenu adulte, il gagne Lyon où il fonde sa propre maison de soieries en 1844. Catholique très pratiquant, il épouse pendant l’été 1848 Andrée-Marie Faidy qui lui apporte cinquante mille francs en espèces avec son trousseau. En 1856, un de ses employés intéressé, Devillaine, est promu au rang d’associé. Il siège à la Chambre de la Fabrique lyonnaise lors de sa constitution, entre 1868 et 1870. Monarchiste, il reçoit néanmoins la Légion d’honneur en 1860 puis rejoint comme plusieurs de ses collègues l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand. En 1865, il est fait chevalier du Christ du Portugal. Sous le gouvernement de l’Ordre moral, il est l’un des organisateurs du pèlerinage qui se rend à Rome. Il décède le 22 octobre 1897 en laissant à ses deux enfants une fortune évaluée à 752.959 francs, dont près de 450.000 francs dans son affaire.

2399.

AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Acte de société sous seing privé du 14 avril 1844. La société Brunet-Lecomte, Guichard & Cie devient en janvier 1859 Brunet-Lecomte, Devillaine & Cie, avec le décès de Guichard et son remplacement par Devillaine, marié à une Denantes de Voiron .

2400.

Miège semble posséder des attaches familiales à Jallieu où il effectue de nombreux séjours.

2401.

AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Lettre ms du 20 avril 1855 écrite par Henry-Edouard Brunet-Lecomte , Note imprimée du 24 juin 1855 annonçant la création de sa manufacture d’impression : « Encouragé par la bienveillance que j’ai toujours rencontré sur la place de Lyon et par les sympathies de cette localité, je me suis décidé à monter un établissement […] ». Reconnaissance de dettes ms du 12 juillet 1855, Lettre ms de Brunet-Lecomte du 4 septembre 1855, Lettre ms adressée à Miège du 12 février 1856 avec le relevé de compte de Miège chez Brunet-Lecomte à Jallieu .

2402.

AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Lettre ms d’Auguste Ferrier du 2 octobre 1866.