Au printemps 1868, les frères Trapadoux , Alphonse et Louis 2437 , de riches héritiers lyonnais, prennent la suite de la société Le Mire, une vénérable maison de fabricants de soieries, installée dans la rue du Puits Gaillot. La famille Le Mire accepte de les commanditer à hauteur de 200.000 francs, tandis que les Trapadoux apportent 450.000 francs, dont 350.000 francs pour l’aîné des frères Trapadoux, Alphonse, dans le capital de la nouvelle société, A.L. Trapadoux frères & Cie.
Fort de ce capital de 650.000 francs, ces nouveaux fabricants de soieries ambitionnent de créer une vaste entreprise tout en profitant de la forte croissance que connaissent les soieries lyonnaises à l’exportation. La maison possède déjà son propre cabinet de gravure, alors que la plupart de ses rivales en sont dépourvues. Rapidement, elle se spécialise dans la « grande cavalerie », c’est-à-dire la grosse production de soieries imprimées, soit à la plaque de cuivre, soit au rouleau, plutôt qu’à la planche de bois. Cependant, la société des Trapadoux débute alors que la conjoncture change. Le krach boursier de Vienne en 1873 marque un arrêt dans la prospérité lyonnaise. Dès l’année suivante, le capital social est porté à 900.000 francs pour faire face aux transformations des marchés. Plus le fabricant a de l’importance, plus il a de fournisseurs : en croisant différentes sources, il est possible de reconstituer, en partie, l’organisation de la maison Trapadoux frères, qui a recours pour le tissage exclusivement au travail à façon, préférant investir ses capitaux en aval dans l’impression des étoffes, avec l’acquisition de l’ancienne manufacture Perrégaux en 1875. Parmi ses tisseurs à façon, on dénombre Benoît Clémençon à Veyrins 2438 , Bouvard à Moirans 2439 à qui la maison Trapadoux a prêté 50.000 francs en 1872, L. Clément & Cie à Jallieu 2440 (ancien tissage de coton Perrégaux qui était intégré à une manufacture d’impression vendue à … Trapadoux), Claude-Marie Chapuis à La Tour-du-Pin , puis Mignot à Saint-Bueil à la fin du siècle 2441 .
Jusqu’en 1875, les Trapadoux utilisent pour leurs impressions, les services de Brunet-Lecomte, à Bourgoin , dont ils sont d’ailleurs, pendant quelques années, le premier client 2442 . Pour répondre à une demande en forte croissance, mais aussi pour pallier les faiblesses de leur propre manufacture d’impression (sur la qualité notamment), les Trapadoux tentent d’obtenir de leur ancien fournisseur, et désormais concurrent, Brunet-Lecomte, l’engagement d’avoir cinq ou six tables d’impression réservées pour leur compte chez lui. Michel Brunet-Lecomte ne manifeste pour sa part qu’un enthousiasme modéré : il ne souhaite pas favoriser un concurrent au détriment de ses autres clients 2443 .
Afin de réduire leurs coûts de production et de mieux contrôler la fabrication, les frères Trapadoux saisissent l’occasion d’intégrer un outil industriel déjà opérationnel, en faisant l’acquisition de la vieille manufacture Perrégaux, alors en plein marasme sous la direction de Bernard Troëster puis de son remplaçant, Perrenoud. En février 1875, Louis-Emile Perrégaux , toujours propriétaire des murs, leur vend son établissement de Jallieu . Autre preuve de l’extension des affaires de la maison, le siège social est déplacé : les frères Trapadoux quittent le 29 de l’étroite rue Puits Gaillot au profit du 17 de la rue du Griffon où les grandes maisons de la place sont établies 2444 .
En juin 1882, quelques mois après le krach boursier de l’Union Générale et la chute de plusieurs officines boursico-bancaire, les frères Trapadoux doivent solliciter des investisseurs pour renflouer leur maison. Le capital social est porté à deux millions de francs grâce à l’arrivée de quarante et un commanditaires à côté de la famille Le Mire, recrutés en grande partie dans les milieux d’affaires de la Fabrique 2445 . Un an plus tard, Louis Trapadoux emprunte vingt mille francs à sa belle-famille 2446 .
Dans les années 1870, la manufacture d’impression Trapadoux , héritière de celle des Perrégaux, dépasse en taille la fabrique des Brunet-Lecomte : les Trapadoux emploient cent quarante-neuf ouvriers pour cent quinze chez leurs confrères. Les deux manufactures d’impression ont deux profils légèrement différents : chez Trapadoux, les ouvriers de moins de 16 ans représentent le cinquième du personnel, contre à peine 6% chez Brunet-Lecomte. Michel Brunet-Lecomte , et sans doute son père avant lui, ont fait le choix de réduire leurs coûts salariaux par la féminisation du personnel : les femmes âgées de plus seize ans forment 41,7% du personnel pour 26,1% chez Trapadoux. Mais au total, ces deux catégories d’ouvriers composent 46 à 47% du personnel des deux fabriques 2447 .
La maison Trapadoux se lance d’emblée dans les soieries imprimées en grande série : à la fin du siècle, elle possède un fonds de sept mille six cent quarante-sept dessins, estimés à 20.000 francs, ainsi que mille huit cent trente-quatre cylindres d’impression. La fabrique d’impression de Jallieu est alors évaluée à 240.000 francs 2448 . Alors que la société est prorogée à l’automne 1895, moins d’un an plus tard, Alphonse décide de la liquider et de louer la fabrique de Jallieu à une nouvelle société, Beaurepaire & Zuber 2449 .
Charles-Etienne-Alphonse Trapadoux est né à Lyon le 6 janvier 1828 et son frère cadet, Marie-Louis-Joseph le 14 octobre 1831. Tous deux ont pour père un « négociant », Jean Trapadoux, décédé à Lyon le 8 décembre 1845. Jean Trapadoux laisse à ses dix enfants une succession supérieure à 310.000 francs, avec trois maisons non évaluées à Lyon. Alphonse épouse en 1854 Elisa-Françoise Dupasquier, la fille d’un agent de change. Louis épouse en 1867 Marie-Antoinette Bélingard, appartenant à une famille de fabricants de soieries, qui lui apporte 80.000 francs en espèces. En 1874, la part de Louis dans le capital social de l’entreprise familiale est portée à 300.000 francs, alors que celle de son frère aîné passe à 400.000 francs. En 1876, Alphonse marie sa fille Marie-Louise-Augustine-Elisabeth (Alphonse lui donne à cette occasion 110.000 francs) avec Jacques-Vincent-François Desgrand , le fils de Louis Desgrand, l’un des principaux négociants en soie de la place. Alphonse laisse une succession de 713.799 francs contre 133.696 francs pour son frère cadet. À partir de 1899, Alphonse siège dans le conseil d’administration de la S.A. Manufacture de Réaumont.
ADI, 5U1191, Reddition des comptes et distribution de l’actif par le Tribunal civil de Bourgoin , le 28 septembre 1885.
ADI, 3E20823, Obligation devant Me Damieux, à Moirans , le 3 mai 1877.
ADI, 5U1194, Inventaire ms de la fabrique L. Clément & Cie du 18 décembre 1877 dans le cadre de la procédure de faillite.
ADI, 5U1192, Reddition des comptes de la faillite Chapuis, le 15 janvier 1886.
Chiffre d’affaires de Trapadoux avec la manufacture d’impression Brunet-Lecomte :
Mai 1868 à avril 1869= 129.000 francsMai 1869 à avril 1870= 95.338 francsMai 1870 à avril 1871= 31.735 francsMai 1871 à avril 1872= 17.125 francsMai 1872 à avril 1873= 6.093 francs
AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Lettre ms d’Auguste Ferrier à Trapadoux frères & Cie, le 29 janvier 1879.
ADR, 6Up, Actes de sociétés sous seing privé du 1er avril 1868, du 18 juillet 1874, 49Q187, ACP du 23 juin 1876 (Quittance devant Me Coste, à Lyon, le 23 juin 1876) et REGUDY (F.), 1996.
ADR, 6Up, Acte de société sous seing privé du 6 juin 1882. Parmi eux, on distingue des marchands de soie (Armandy & Cie, Alexandre Pirjantz, Forrer & Vergnier), des teinturiers (Guillon oncle, neveu & Vignet, F. Boiron, et Renard, Villet & Burnand, l’un des plus importants de la profession ou encore Joseph Vulliod, Gantillon, Garnier, Vignet & Cie), le plus gros fabricant de schappe de la place (Franc père, fils & Martelin) et même des confrères fabricants de soieries (Jean Ritton , Cornu frères & Favier, Eugène Bouvard) ou des façonniers (Alphonse Couturier qui possède des tissages à Bévenais et Charavines , ainsi que la maison Bertet & Tivollier, de Voiron ). Peut-on en déduire alors qu’il s’agit des partenaires industriels habituels de la maison Trapadoux , prêts à soutenir un de leurs clients ?
ADR, 49Q224, ACP du 27 novembre 1883 (obligation devant Me Morand, à Lyon, le 23 novembre).
ACB, 1.832.26, Tableau statistique ms, sd [1875].
ADR, 446Q98, Mutation par décès d’Alphonse Trapadoux du 16 octobre 1901.
ADR, 6Up, Acte de société sous seing privé du 28 septembre 1895 et ADI, 9U362, Justice de paix de Bourgoin , Acte de société du 31 juillet 1896.