La crise de confiance n’affecte pas seulement la clientèle, mais aussi les producteurs. En effet, avec les maladies des vers à soie qui se propagent au milieu du XIXe siècle, les éducateurs ont besoin d’être rassurés sur les graines à éclore qu’ils achètent. Des graines non écloses représentent un solide manque à gagner pour les éducateurs les plus modestes, d’autant qu’ils les ont souvent achetées à crédit. Pour les rassurer, les graineurs professionnels instaurent le principe d’une certification.
Ainsi, lorsque le filateur Cuchet consent à placer en Isère des graines provenant d’Algérie, au début des années 1870, il sollicite de son graineur, Boissier, qu’il lui expédie également des certificats d’origine pour les montrer à ses acheteurs potentiels : « Nous même nous garantissons ce genre de produits [c’est-à-dire des cocons verts] aux colons & que nous ne voudrions pas les tromper, ni comme vendeurs de graines, ni surtout comme filateurs de cocons. Nous tenons donc essentiellement à l’uniformité du produit » 2534 . Comme argument publicitaire, le graineur algérien doit joindre à son envoi de graines, plusieurs cocons-types ayant servi à faire la graine, lesdits cocons servant de démonstration auprès des clients. Le même Cuchet a compris l’intérêt qu’il avait à créer sa propre marque pour les soies qui passent dans son moulinage. Selon la qualité de l’ouvraison et de la soie, il appose sur les balles de soie qui quittent sa fabrique pour subir un contrôle à la Condition des Soies de Valence, un cachet mentionnant « Soie de France, Filature C. Hiltebrand, récolte 1871, ouvraison Cuchet à Chatte (Isère) ». Ainsi, le marchand de soie lyonnais, propriétaire de la balle, dispose de sa traçabilité. C’est un moyen de garantie que lui offrent ses façonniers 2535 . Au milieu des années 1860, on estime qu’une once donne, en Bas-Dauphiné, environ trente kilogrammes de cocons, lorsqu’elle réussit 2536 . Mais les magnaneries ferment leurs portes les unes après les autres.
Par ces moyens, il s’agit de restaurer la confiance chez les sériciculteurs et de lever toute forme d’incertitudes. En effet, pour les masses miséreuses du Bas-Dauphiné, les quelques dizaines de francs issues de la récolte de cocons représentent une source de revenus indispensables à la survie du foyer : les éducateurs ont donc besoin de passer d’une situation d’incertitude susceptible d’anéantir un fragile équilibre financier, à une situation de risque connu et limité.
Logiquement, la crise touche les marchands de graines de ver à soie. Soumis aux pressions de leurs clients et la rareté d’une marchandises saines, ils disparaissent, terrassés par les plaintes contre la qualité de leurs graines et la mévente. Jules Pey ronnier, l’un d’eux, domicilié à La Sône , au cœur d’une région très active dans la sériciculture, se déclare en faillite à l’automne 1875 : son maigre actif (3.860 francs) ne permet pas de régler son passif (14.092 francs) 2537 . Plus modestement et plus discrètement, son confrère François Colliard, de Crémieu, l’a précédé dans la faillite dans la faillite.
APAG, Registre de copies de lettres, Lettres ms de Cuchet & Crozel à Jacques Hildebrand à Romans le 16 avril et à Boissier, à Alger, les 7 et 21 juin 1871.
APAG, Registre de copies de lettres, Lettre ms de Crozel adressée à Hiltebrand, son filateur installé à Romans, au sujet d’une balle appartenant à la maison Louis Desgrand & Cie, le 22 août 1872.
Ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics, Enquête agricole, 2 e série, enquêtes départementales, 25 e circonscription, Hautes-Alpes, Haute-Savoie, Isère, Paris, Imprimerie Impériale, 1867, p. 47.
ADI, 7U1073, Tribunal civil de Saint-Marcellin , Répertoire des faillites (1837-1881).