Troisième partie- La préservation d’une suprématie (années 1880-1910).

Les fabricants de soieries, mais aussi leurs façonniers, prennent conscience des risques de perte de compétitivité devant les poussées de la concurrence étrangère. Dès les années 1880, les discours alternent pour vanter la supériorité lyonnaise (notamment artistique) et pour montrer les progrès des Allemands, des Suisses et des Américains.

Après une période de doute, dans les années 1880, les orgueilleux fabricants lyonnais repartent à la conquête du monde, sûrs de leur supériorité :

‘« Il était bien prévu que [les fabricants lyonnais] n’avaient rien à redouter de la concurrence ; on avait la quasi certitude qu’ils couraient à de nouveaux triomphes. […] Nous pouvons dire, sans exagération, que la supériorité de Lyon s’est affirmée à Chicago avec encore plus d’éclat qu’à aucune des précédentes expositions » 2577 .’

Cette supériorité repose sur le passé glorieux de la Fabrique lyonnaise et l’accumulation d’un savoir-faire unique au fil des ans : les maisons de soieries ont accumulé les dessins dans leurs archives, prêts à être réutilisés selon les goûts de la mode. Les fabricants ont su attirer autour d’eux une main d’œuvre qualifiée pour exécuter leurs travaux, comme les dessinateurs, les mécaniciens… Dans le domaine artistique, leur suprématie ne semble pas véritablement remise en cause. Les concurrents allemands, suisses ou américains imitent, avec plus ou moins de succès, les soieries lyonnaises, sans atteindre le même degré de finition et de qualité. Ils préfèrent concentrer leurs attaques sur les coûts de revient et de vente, ainsi que sur les délais de livraison. Déjà, au milieu du XIXe siècle, les hommes d’affaires lyonnais avaient dû modifier leurs structures productives pour répondre à la demande. Ils doivent désormais accentuer leurs efforts d’organisation pour conserver leurs marchés. Les façonniers du Bas-Dauphiné sont donc mis à leur tour à contribution.

En 1906, plus du quart des ouvriers en soie de la région lyonnaise sont domiciliés dans le seul département de l’Isère, soit vingt-trois mille huit cent quarante-deux personnes dont 81% de femmes. Ce département est donc le principal sous-traitant de la Fabrique lyonnaise 2578 . Les façonniers ont su s’imposer collectivement comme des intermédiaires indispensables, sans en avoir toujours conscience.

Quelle est l’influence des façonniers en Bas-Dauphiné et au sein de la Fabrique ? En quoi se démarquent-ils des fabricants de soieries ? En quoi le Bas-Dauphiné est-il devenu un rouage essentiel pour le bon fonctionnement de la Fabrique ?

Dès les années 1880, les façonniers et les fabricants font preuve d’un esprit d’adaptation pour moderniser leurs entreprises au contexte défavorable de l’époque. Cet effort ne se traduit pas par la disparition des façonniers qui conservent de solides atouts. Cette politique d’adaptation a des effets contrastés sur la main d’œuvre. Les façonniers, malgré leur diversité, s’imposent localement comme des notables, mais ils forment un ensemble fragile et peu homogène.

Notes
2577.

CHABRIERES (A.) et GUINET (J.), 1894, p. 129.

2578.

LEQUIN (Y.), 1977, vol. 1, p. 322.