Au sein même de l’espace du tissage, on assiste à des spécialisations locales. Dans le dernier quart du XIXe siècle, le centre industriel voironnais attire la production de velours et de peluches.
Le Lyonnais Camille Chavant 2642 a construit non loin de l’usine Pochoy, à Voiron , une vaste usine spécialisée dans les velours. Grâce à des brevets dont il est détenteur, il fonde une entreprise employant plus de deux cents personnes. De l’avis général, l’installation de Chavant à Voiron, permet à l’industrie textile locale de connaître une nouvelle ère de prospérité et lui permet de sortir du marasme économique dans laquelle elle est plongée depuis 1882 2643 . Dans les années 1890, il dispose de deux fabriques de velours à Voiron employant cinq cent quarante-cinq ouvriers. Les bénéfices sont même considérables à partir de 1892 selon les renseignements recueillis par les agents de la succursale de la Banque de France de Grenoble. En 1898, l’actif de Chavant, au moment de la fusion avec la firme J.-B. Martin , son principal concurrent, est évalué à 850.000 francs 2644 .
À la fin du siècle, les frères Bickert installent à leur tour une usine de velours non loin de là, à Moirans , qu’ils complètent en 1906 par l’acquisition de l’usine d’Antoine Giraud , alors en pleine liquidation. En 1910, la vénérable maison lyonnaise Riboud frères, produisant elle aussi du velours et des peluches, achète les bâtiments qui abritent les ateliers de construction Marquis, à Voiron , dans le quartier du Colombier, pour les transformer en tissage de velours. La dimension modeste de l’édifice ne permet pas, toutefois, d’y installer plus de cinquante-huit métiers à tisser. En 1913, l’actif de Riboud frères atteint 1.350.000 francs. À cette date, l’affaire est transformée par ses gérants en société anonyme, avec parmi ses nouveaux actionnaires, ses voisins et concurrents, J.B. Martin et Bickert 2645 .
L’essor de l’industrie du velours à Voiron ne doit rien au hasard. Elle exige une intensité capitalistique plus forte, des usines plus spacieuses et surtout beaucoup d’énergie. Au moins jusqu’aux années 1930, on conserve dans le velours l’attribution d’un seul métier à tisser par ouvrier. Devant l’importance de l’investissement consenti, très supérieur à celui d’un tissage de satin, peu de façonniers se risquent dans le velours à l’échelle industrielle. Cela explique aussi l’extrême concentration de cette industrie autour d’une poignée de fabricants-usiniers. Les salaires y sont également plus élevés, de 10 à 15% en raison de l’habileté de la main d’œuvre 2646 . En 1913, neuf tissages en Bas-Dauphiné sont spécialisés dans le velours, dont trois à Voiron où se concentrent 56% des huit cent vingt-trois métiers à tisser. Hormis ces trois établissements ayant chacun en moyenne cent cinquante métiers à tisser, et l’usine Bickert de Moirans et ses cent soixante-dix métiers, les cinq autres établissements sont plutôt de dimensions médiocres, à peine trente-huit métiers chacun. Dans quelques localités, comme Brezins, on trouve du tissage de velours frisé au fer à domicile 2647 .
À La Tour-du-Pin et à Saint-Clair-de-la-Tour, une commune voisine, quelques usines se spécialisent dans la fabrication du tulle, comme celle de Pierre Revol , ou dans la passementerie. André Bogey installe à La Tour-du-Pin une fabrique de passementerie, nouveautés et tissus d’ameublement vers 1844. Dès 1845, cent trente ouvrières travaillent pour lui, en majorité chez elles. En même temps, devant le succès de son projet, il entreprend la construction d’une fabrique pour recevoir trois cents ouvrières 2648 . Cependant, en 1869, son gendre, Pierre André, décide de se consacrer exclusivement à la passementerie pour l’ameublement. À son tour, André associe à ses affaires son propre gendre, Claude-Michel Contamin , et décide d’installer une seconde fabrique à Montcarra , un petit village proche de La Tour-du-Pin, ainsi qu’une teinturerie à Saint-Jean-de-Soudain 2649 . Lorsque Jean Léoutre , un petit entrepreneur de confession protestante, décède en 1878 à La Tour-du-Pin, il laisse à son épouse, Jeanne-Marie Figuet, un moulinage et un dévidage situés en ville, estimés à 16.000 francs. Comme tant d’autres, il a débuté sa carrière professionnelle à Lyon . Sa veuve s’empresse de louer les ateliers pour quelques années à Alexis Durand. Toutefois, elle décide de reprendre rapidement l’exploitation directe des biens industriels de son défunt mari. Elle choisit de les transformer en fabrique de passementerie. En 1900, sa petite entreprise travaille à façon pour trois maisons lyonnaises : Bargillat frères (dont l’un des frères est banquier à La Tour-du-Pin), Vullierme, et enfin Bouzon, Dumontier & Moujon 2650 . La famille Revol possède déjà au milieu du XIXe siècle, une maison spécialisée dans la fabrication de tulles à Lyon. Louis Revol est associé à l’entreprise paternelle de la rue Romarin, à Lyon, en 1857. En 1874, il associe à ses affaires Joseph Bossu et Louis-Joseph-Alphonse Robin, mais la société est dissoute quatre ans plus tard. Louis Revol décide dans les années 1880 de s’installer à Saint-Clair-de-la-Tour dans sa nouvelle usine, tandis que son fils, Pierre-Denis 2651 , reste à Lyon en tant qu’employé de commerce, au moins jusqu’à son mariage à l’automne 1888 avec Joséphine-Eugénie-Antoinette Joyard, la fille du directeur de l’usine de tulles 2652 . Dès 1887, Joseph Sirand et Laurent Fouquet montent une affaire de fabrication de moules en bois ou en liège destinés à la passementerie et à l’ameublement, avec un modeste capital de 8.000 francs, mais quelques mois plus tard Sirand se retire 2653 . À la fin du siècle, les deux tissages de passementerie de La Tour-du-Pin, celui de Pitiot 2654 , un fabricant de soieries installé à Lyon, ayant une autre usine dans le quartier des Brotteaux, et celui de Contamin, emploient respectivement cinquante-neuf et deux cent seize ouvriers, alors que Revol, le principal fabricant de tulles, en occupe cent quinze 2655 .
Fabricant de soieries, ingénieur de formation, Camille Chavant forme une entreprise en novembre 1872 avec Martin d’Angers, mais elle est dissoute au printemps 1874. En 1885, Chavant apporte la moitié du capital de la société A. Ponchon & Cie, soit 25.000 francs, chargée d’exploiter un tissage mécanique de velours situé à Villeurbanne, équipée en métiers conçus par Chavant. Il est membre du Cercle du Commerce. Il se retire à Evian et décède en 1911.
ADI, 155M2, Rapport imprimé sur la situation des principales industries de la circonscription de la Chambre de Commerce de Grenoble, séance du 7 août 1888.
Voir La notice de J.-B. Martin dans CAYEZ (P.) et CHASSAGNE (S.), 2007, pp. 205-209.
ADI, 9U363, Justice de Paix de Bourgoin , Acte de société du 25 juillet 1898, 9U3160, Justice de Paix de Voiron , Acte de société sous seing privé du 28 mai 1913 et déclaration de souscription des actions devant Me Rodet, à Lyon , le 3 juin suivant et ADR, 10M446, Statistiques ms de l’inspection du travail dans l’industrie pour le département de l’Isère, en août 1894, ABdF, Rapport d’inspection de la Banque de France à Grenoble, année 1897.
JOUANNY (J.), 1931, pp. 112-113.
JOUANNY (J.), 1931, pp. 112.
ADI, 2N4/2, Rapport du sous-préfet de La Tour-du-Pin destiné au Conseil d’arrondissement, session 1845.
ADR, 46Q233, ACP du 19 mai 1886 (cession de droits devant Me Chaine, à Lyon , le 18 mai), Lyon à l’Exposition Universelle, 1889, tome 2, les exposants lyonnais, Lyon, A. Storck, 1891, pp. 121-122. Contamin , alors employé de commerce, épouse Marie-Claire André en juin 1886. Les apports de Marie-Claire André s’élèvent à 63.500 francs contre 21.000 francs pour Claude-Michel Contamin.
ADI, 3Q32/324, Mutation par décès de Jean Léoutre du 5 juillet 1878, 3Q32/353, Mutation par décès de Jeanne-Marie Figuet le 25 février 1901.
Fabricant de tulles, Pierre-Denis Revol est né à Lyon le 18 avril 1858, d’un père « fabricant de tulles », tout comme son grand-père maternel, Hubert Sibille. Il poursuit des études secondaires et passe un baccalauréat ès lettres. Participant de bonne heure aux affaires familiales, il s’installe entre 1893 et 1895 au Chili comme chargé de mission pour développer le commerce français. À son retour en France, il se fait élire conseiller municipal de Saint-Clair-de-la-Tour au printemps 1896. Quelques jours plus tôt, il avait reçu, avec son frère Hubert, de leurs parents, en donation partage, les ateliers de Saint-Clair. À partir de cette date, il poursuit une carrière politique en parallèle à celle d’homme d’affaires. En 1904, il devient adjoint puis maire dix ans plus tard de la commune. En 1916, il renouvelle avec son frère, Hubert, la société Revol frères. Au lendemain de la Grande Guerre, en 1919, il se fait élire conseiller d’arrondissement (et vice-président de cette assemblée). Il entame alors une carrière qui dépasse le cadre de sa commune d’adoption. Il prend la tête la Société de secours mutuels de Saint-Clair et préside le syndicat d’électrification de Saint-Clair, La Chapelle et Saint-Didier. Toujours en 1919, il intègre le conseil de perfectionnement de l’Ecole Pratique de Pont-de-Beauvoisin . On le retrouve également comme membre de l’Office départemental des Pupilles de la Nation et de la commission des Allocations militaires ou encore vice-président du Crédit Agricole local. Revol décède à Saint-Clair le 26 mars 1937, en laissant trois enfants.
ADR, 3E24551, Contrat de mariage devant Me Deloche, à Lyon , le 8 décembre 1856, 6Up, Dissolution de société le 23 juillet 1878.
ADI, 9U2403, Justice de paix de La Tour-du-Pin , Acte de société devant Me Faulcon, à La Tour-du-Pin le 26 janvier 1887.
Maison spécialisée dans les ornements d’église. Voir MOULIN (C.), 1990-1991, pp. 25-26.
ADR, 10M448, Statistiques ms de l’inspection du travail dans l’industrie en Isère, en février 1895.