L’ascension de Léon Permezel , devenu le plus important fabricant de soieries de la place dans le dernier quart du XIXe siècle, ne peut se comprendre que par l’appui de réseaux lyonnais, patiemment et rapidement construits 2751 .
Fils d’ancien fabricant de bougies originaire de Pont-de-Beauvoisin et ayant exercé son art à La Côte-Saint-André (Isère), Léon Permezel débute sa carrière à l’âge de dix-huit ans en entrant chez un de ses parents, Landru, fabricant de soieries à Lyon , dans les années 1860. Il quitte en 1870 la maison Landru, pour fonder sa propre maison à Lyon. Grâce à ses économies (80 ou 100.000 francs) et commandité par Bernard Perret à hauteur de 100.000 francs aussi, il crée la maison L. Permezel & Cie, au capital de 200.000 francs et dont le siège social est dans un premier temps établi dans la rue des Capucins. Déjà, il ambitionne de réaliser un chiffre d’affaires supérieur au million de francs 2752 .
Notre jeune et entreprenant fabricant – il n’a que vingt-cinq ans – décide d’appliquer aux prestigieuses soieries lyonnaises les méthodes de fabrication en vigueur pour l’élaboration des tissus pour parapluies, des étoffes bon marché tissées mécaniquement, comme il l’a appris chez Landru qui exploite alors une partie du tissage mécanique Perrégaux de Jallieu . Il n’invente rien, il se contente de mettre en pratique à grande échelle des préceptes déjà existant, notamment à Créfeld . Pour « avoir des produits de bonne qualité, mais surtout apparents et bon marché », destinés « à la masse des consommateurs », il lui faut comprimer au maximum ses prix de revient, en employant massivement des soies étrangères, moins chères, avec de la schappe, du coton et de la laine pour créer des étoffes mélangées, tissées mécaniquement et teintes en pièce 2753 . Pour conserver à ses étoffes « l’apparence, le brillant et le toucher des étoffes pure soie », il perfectionne également son outil industriel par de nouvelles machines à polir et à broder, et par des flambages pour supprimer le duvet du coton. Par la création de nouveaux tissus, dans la catégorie du demi luxe, il donne un nouvel essor à la Fabrique lyonnaise :
‘« La maison L. Permezel et Cie, en un mot, s’est attachée à démocratiser l’étoffe de soie et à la faire pénétrer dans tous les pays et dans toutes les classes ». ’Là où ses prédécesseurs fabricants se contentaient d’un magasin avec un ou deux employés, dans un immeuble qu’ils partageaient entre plusieurs collègues, Léon Permezel voit rapidement les choses en grand, avec l’installation de sa société dans deux immeubles de cinq étages chacun, à Lyon , rue Pizay et rue de l’Arbre-Sec, « divisés en dix départements, tous reliés entre eux par un service télégraphique ». Il y a treize départements, dont dix commerciaux (direction, achat et vente, livraison, expédition aux agences, caisse et comptabilité, service de la teinture, vente des tissus écrus, service des fabriques, magasin des matières, stocks) et trois industriels (flambage et rasage, polissage, broderie), chacun étant dirigé par un chef de bureau. Au total, ces différents services, rassemblés à Lyon, occupent soixante-deux employés en 1880 et cent quarante-six trois ans plus tard. À la même époque, la société des Petits-fils de C.-J. Bonnet , maison qui figure elle aussi parmi les cinq premières de la place, ne compte que quatre départements : le département des soies 2754 , dirigé par Cyrille Cottin assisté de son beau-frère Octave Payen ; celui des ouvriers 2755 ; le département de la vente 2756 ; et la comptabilité 2757 , soit au total, vingt-cinq employés, commis et chefs de départements environ, qui travaillent dans les bureaux de la rue du Griffon en 1874. Le vrai changement, pour cette dernière maison, se produit avec l’adoption des étoffes teintes en pièces, entraînant un doublement du personnel de bureau 2758 .
Chez Permezel , la matière première est entreposée à Lyon , dans les magasins de la société, puis elle est répartie entre les différents façonniers travaillant pour elle. Le tissu écru revient alors à Lyon, « où selon les besoins de la consommation, il subit les préparations finales » (grillage, teinture, polissage…) et une quinzaine de jours plus tard, les étoffes sont proposées à la vente. Au siège social, Léon Permezel a pris soin d’ajouter des agences commerciales à l’échelle mondiale, pour acheter la matière première, mais aussi pour y vendre le produit fini. En cela, il se démarque de ses confrères, qui confient la commercialisation de leurs soieries à des intermédiaires locaux, souvent d’origine anglaise ou allemande, tandis que l’achat des soies était confié à des négociants spécialisés. Lui, choisit de créer sa propre maison d’achat de matières premières, avec des ramifications aussi bien en Europe qu’en Asie, ce qui lui assure un contrôle permanent et direct sur la qualité de la matière achetée, mais aussi une régularité quant à l’approvisionnement. L’existence d’un réseau commercial propre n’est pas à négliger : il permet à l’entreprise de « se pourvoir de renseignements sûrs permettant la production anticipée des tissus écrus, afin de satisfaire les exigences de la consommation, au moment où elles se manifestent » et « d’écouler les produits au consommateur lui-même ». En 1880, la société L. Permezel & Cie est présente à Paris , New York , Londres , Bombay, Calcutta, Yokohama, Zurich , Côme, Barcelone et Melbourne. Dans les mois qui suivent, d’autres succursales sont ouvertes à Berlin et Vienne. À la fin de la décennie, le réseau commercial est étendu et réorganisé autour de deux éléments, les maisons de vente (Paris, Londres, Berlin et New York) et les agences au nombre de cinquante-six 2759 , ayant chacune à leur tête un fondé de pouvoir assisté de vingt-cinq à quarante employés.
Chaque semaine, un des associés visite les maisons de Paris et de Londres , tandis qu’un fondé de pouvoir se rend à Berlin tous les deux mois. En revanche, pour New York , ce sont les deux « chefs » de cette maison qui se rendent à Lyon chaque saison (soit deux fois par an) pendant deux mois. Quant aux agences, elles sont inspectées au mieux une fois par mois, pour les plus proches, voire une fois par an pour celles établies en Extrême-Orient, ce qui signifie qu’elle « a donc constamment en route un associé, un intéressé, trois fondés de pouvoir », sans doute Pierre Chabert ou Paul-Henri Barbezat 2760 , deux de ses employés intéressés devenus également ses associés en 1888. Au vu d’une telle organisation, on se demande comment les frères Bellon pouvaient gérer leur entreprise, avec le soutien de quelques commis !
Source : coll. Privée.
Le succès est à ce point rapide qu’en juin 1876, six ans après avoir fondé son affaire, il est en mesure d’afficher une fortune estimée à 1.316.000 francs. Entre 1870 et 1876, sa maison de soieries a réalisé un bénéfice cumulé de 1.412.500 francs environ. Cette fortune rapide lui permet alors d’épouser Anne-Marie Côte, dont le père, l’un des banquiers privés de la place, lui fait donation de 140.000 francs en espèces. Six mois plus tard, Perret, son ancien commanditaire, se retire. Il est aussitôt remplacé par Gabriel Permezel , le frère cadet de Léon et gendre de Louis-Joseph-Edouard Caffarel . Désormais, la nouvelle société dispose d’un capital social de 1.500.000 francs, chiffre considérable pour l’époque, que seuls les fabricants de crêpes et de tulles surpassent 2761 .
L’importance des affaires de la société justifie à elle seule une telle organisation : en 1880, plus de huit mille six cents ouvriers travaillent pour la firme lyonnaise, aussi bien au tissage, qu’à la filature, à la teinture ou à l’apprêt, fabriquant plus de onze millions de mètres d’étoffe par an. En 1883, par son chiffre d’affaires, entre vingt et vingt-deux millions de francs, et le nombre de ses clients, plus de onze mille, elle figure parmi les principales maisons de la place, alors qu’elle n’a pas quinze années d’existence. À la même époque, plus de trois mille deux cents métiers mécaniques (cinq mille trois cents en 1883, six mille en 1889), spécialement construits par Théophile I Diederichs avec qui il a conclu un fructueux accord, fonctionnent pour son compte dans une quinzaine d’usines façonnières, à Bourgoin (tissage Diederichs), à Saint-Geoire (Michal-Ladichère), Saint-Bueil (Mignot), à Saint-Albin-de-Vaulserre (Vittoz ), à Tullins (Baratin), à Saint-Nicolas-de-Macherin (Constantin de Chanay), en Savoie, en Ardèche, en Haute-Loire, dans la Drôme, dans l’Aisne et dans les Vosges. Une telle organisation a forcément un coût : en 1883, la firme verse pour plusieurs millions de francs en salaires. Mais plus important est sans doute l’immobilisation en capitaux qu’elle exige. Tout repose en effet sur la rapidité d’exécution des commandes pour répondre à la demande, ce qui suppose d’abondants stocks en tissu écru ou teint en pièce afin de servir immédiatement les clients : à Paris , les magasins de la société contiennent plus de trente-cinq mille pièces de cinquante mètres chacune, tandis que ceux de Londres en accueille à peine moins (trente mille pièces), ceux de New York regorgent de quarante-cinq mille pièces prêtes à être livrées à la consommation. Là où ses confrères n’ont besoin que de quelques milliers de francs, la machinerie de Permezel ne peut fonctionner qu’avec des capitaux estimés à plusieurs millions de francs. En 1883, le capital de la nouvelle société qu’il contracte avec son frère Gabriel, atteint les cinq millions de francs (dont 3.750.000 fournis par Léon et le solde par son frère) 2762 .
Même Léon Permezel , qui pendant longtemps a préféré employer des façonniers indépendants, s’offre une usine, saisissant l’opportunité de la faillite de Florentin Poncet , à Voiron , pour lui racheter sa principale usine (La Patinière) en 1890 pour 401.850 francs (inclus certaines propriétés rurales) 2763 .
Pour la méthode, nous nous appuyons sur ZELLER (O.), 1996b.
ADR, 6UP, Acte de société du 22 juin 1870 et ADI, 23M20, Dossier de Légion d’Honneur, rapport ms du cabinet du Préfet de l’Isère du 7 août 1900.
CAYEZ (P.), 1980, pp. 118-122 et 130-137, CHASSAGNE (S.), 2000 et MELINAND (P.), 1998.
Ce département comprend : « l’achat des soies, les rapports avec les fileurs et mouliniers, la correspondance pour achat, les écritures concernant les soies, les études et notes sur les résultats des soies en étoffes ».
Ce département comprend : « disposition aux ourdisseuses, emploi des soies, service aux écritures et service des ouvriers, ronde pour 7 à 800 métiers, passage des soies en numéros, mise en teinture, expéditions pour Jujurieux , visite des teintures, visites de l’étoffe ».
Ce département comprend : « direction des vendeurs, vente sur banque, prise des commissions, tenue des livres et registres concernant la vente, passage des pièces en numéros, factures, livre de défalcage, correspondance pour vente, copie des observations sur les pièces, prix de revient des étoffes ».
Ce département comprend : « grande caisse et portefeuille travaux afférant, petite caisse, achat pour Jujurieux et fournitures diverses pour Lyon , tenue des grands livres à Lyon et à Jujurieux ».
PANSU (H.), 2003, pp. 336-339.
Adélaïde, Alep, Alger, Amristar, Bagdad, Barcelone, Batavia, Beyrouth, Bombay, Bruxelles, Bucarest, Bushire, Le Caire, Calcutta, Cawnspore, Chemulpo, Colombo, Constantine, Copenhague, Damas, Delhi, Dunedin, Gênes, Gibraltar, Glasgow, Kobé, Kurrachee [Karachi ?], Lausanne, Macassar, Madras, Madrid, Manchester, Manille, Milan, Naples, New-Chwang, Oran, Padang, Palerme, Pnom-Penh, Rangoon, Saïgon, Salonique, Samarang, Shanghaï, Singapour, Soerabaya, Smyrne, Tien-Tsin, Tunis, Turin, Valence, Vienne, Yokohama, Zanzibar.
Descendant d’un coloriste suisse de Perrégaux, à Jallieu .
ADR, 49Q187, ACP du 22 juin 1876 (contrat de mariage chez Me Mitiffiot, à Lyon , le 19 juin), 6Up, Acte de société sous sein privé du 30 décembre 1876 et ROJON (J.), 1996a, p. 41. Gabriel Permezel n’apporte que 300.000 francs et son aîné le solde. Le beau-père de Gabriel, Caffarel , possède à la même époque un compte courant chez L. Permezel & Cie de 117.900 francs. Caffarel décède le 25 juin 1876 en laissant à ses huit enfants une fortune évaluée à 796.629 francs.
ADR, 6UP, Actes de société du 30 août 1883 et du 13 juillet 1888. L. Permezel & Cie, Lyon , fabrique de soieries, Exposition universelle de Melbourne, 1880, Lyon, Imprimerie Louis Perrin, 1880 et L. Permezel & Cie, Lyon, fabrique de soieries, Exposition universelle d’Amsterdam, 1883, Lyon, imp. Mougin-Rusand, 1883 et L. Permezel & Cie, Lyon, Imprimerie Pitrat aîné, 1889. Voir également notre étude, ROJON (J.), 1996a.
ADI, 6U761, Adjudication du 18 janvier 1890.